7 Mai 2025
Trois épisodes peuvent-ils à eux seuls faire basculer la perception d’une série ? C’est une question qui revient souvent lorsqu’un arc narratif atteint une telle intensité qu’il semble redéfinir l’ensemble de l’œuvre. Dans le cas d’Andor, les épisodes 7 à 9 de la saison 2 marquent un point de bascule, à la fois dans le ton, le rythme et les enjeux. Sans chercher à imiter ce qui a déjà été fait dans l’univers Star Wars, cette trilogie d’épisodes affirme sa singularité : une narration qui ne sacrifie jamais la complexité sur l’autel du spectaculaire. Dès les premières scènes de l’épisode 7, l’atmosphère change.
La construction patiente des semaines précédentes trouve ici un aboutissement : tout s’accélère, non pas avec fracas, mais avec une tension pesante, constante, presque étouffante. La planète Ghorman, théâtre principal de cet arc, est au centre d’un conflit bien plus politique que militaire. Ce qui s’y joue dépasse largement les frontières du système local. L’Empire y applique une stratégie bien rodée de désinformation et de manipulation, en prenant soin de contrôler le récit avant même de lâcher ses troupes. Ce choix narratif est révélateur de l’intention de la série : montrer le pouvoir comme un système plutôt qu’un simple affrontement entre le bien et le mal. L’Empire ne se contente pas de réprimer ; il fabrique aussi le consentement par le biais de la propagande.
Ce qui se déroule sur Ghorman est présenté par l’Empire comme une réponse à une rébellion violente. Dans les faits, on assiste à la mise en place méthodique d’un massacre. L’épisode 8 est sans doute le moment le plus marquant de cette saison. Non pas par l’ampleur de l’action ou la surenchère visuelle, mais par le traitement de la violence. Celle-ci n’a rien d’héroïque. Elle surgit comme une fatalité, la conséquence logique de semaines de tensions, de manipulations, d’injustices. Les citoyens de Ghorman, montrés comme organisés, pacifiques et déterminés, finissent par être écrasés dans une mise en scène orchestrée par l’Empire pour justifier une répression aveugle.
Le montage est particulièrement efficace. Les chants de la foule, les discours étouffés, les regards inquiets, tout est là pour souligner le décalage entre la dignité des protestataires et la brutalité de la répression. Chaque décès est filmé avec gravité. Rien ne cherche à minimiser les conséquences ou à glorifier la violence. Cela rend le visionnage difficile par moments, mais profondément honnête. Dans ce contexte, Cassian Andor n’est pas un héros au sens traditionnel. Il agit, il doute, il hésite. Loin de l’image d’un meneur charismatique, il ressemble davantage à un homme acculé, confronté à des choix impossibles. Sa tentative d’assassinat, au cœur de l’épisode 8, ne ressemble pas à une mission glorieuse.
Elle s’inscrit dans une logique d’urgence, de désespoir même. C’est précisément ce qui rend le personnage intéressant : son engagement n’est pas motivé par des idéaux flamboyants, mais par un constat d’impossibilité à continuer de fuir. Dans l’épisode 9, son rôle évolue encore. Cassian devient un agent actif du sauvetage de Mon Mothma, figure politique de plus en plus centrale. Cette mission d’extraction, qui se déroule sur Coruscant, ramène la série vers un registre plus proche de l’espionnage. Là encore, la tension prime sur l’action. Tout repose sur la parole, les silences, les regards échangés dans les couloirs d’un pouvoir à bout de souffle.
Si l’arc de Ghorman permet à Cassian de revenir au premier plan, il offre aussi à Mon Mothma l’un de ses moments les plus forts. Son discours au Sénat, dans l’épisode 9, constitue un point de bascule symbolique. Elle ne peut plus se taire. Confrontée à l’ampleur de la violence impériale, elle choisit de parler, même si elle sait que cela la condamne. Ce moment n’est pas présenté comme une grande scène de triomphe. Il est au contraire empreint d’une certaine mélancolie. Le Sénat, presque vide, résonne comme une chambre d’échos morte. Pourtant, les mots de Mothma portent. Ils s’adressent aux absents autant qu’aux survivants. C’est un appel à la conscience dans un univers qui n’en veut plus.
L’un des aspects les plus réussis de cette série reste sans doute le traitement des antagonistes. À commencer par Syril Karn, dont l’évolution dans ces épisodes le rend à la fois pathétique et inquiétant. Son ressentiment, sa frustration, son obsession à vouloir servir une cause qui le méprise le transforment peu à peu. Sa colère, lorsqu’elle explose, ne le rend pas plus fort, mais plus isolé. Cela n’en fait pas un héros tragique, mais un symptôme de la machine impériale. Dedra Meero, quant à elle, incarne l’efficacité froide de la répression. Son inconfort face à certains ordres n’efface en rien sa loyauté au système. Elle n’est pas une victime. Elle participe pleinement à la stratégie de domination.
La série prend soin de ne jamais l’humaniser pour l’excuser, mais pour mieux montrer les mécanismes internes d’une autorité qui délègue la cruauté à des individus convaincus d’agir pour le bien. Ce qui se dégage de ces trois épisodes, c’est une volonté de faire du Star Wars autrement. Pas de sabres laser, pas de Jedi, pas d’effets spectaculaires à chaque coin de plan. Et pourtant, tout y est : l’oppression, la révolte, les sacrifices, les dilemmes moraux. La série n’a pas besoin d’inventer une nouvelle mythologie. Elle s’appuie sur ce qui existe déjà dans l’univers étendu pour creuser les angles morts, les zones grises. Le lien avec Rebels, par exemple, est habilement intégré sans devenir un prétexte à fan service.
Le départ de Bix, son discours final, et la dernière scène avec K-2SO préparent la transition vers Rogue One de manière fluide, sans jamais forcer le trait. On sent que chaque décision narrative est pensée pour enrichir le personnage de Cassian, pas pour cocher des cases. Ce qui distingue cet arc narratif, c’est l’équilibre entre politique, émotion et action. Rien n’est gratuit. Chaque décision, chaque scène, chaque silence, participe à construire un monde cohérent, dense, crédible. Il ne s’agit pas d’un divertissement, mais d’un récit profondément ancré dans la question du pouvoir, de la résistance, de l’engagement.
Les épisodes 7 à 9 de cette saison montrent que Andor ne cherche pas à plaire à tout prix. La série impose son rythme, ses thèmes, son esthétique. Elle n’essaie pas de ressembler à ce que Star Wars a souvent été. C’est ce choix de rester à distance, de refuser le spectaculaire pour mieux explorer le réel, qui en fait un objet singulier, parfois difficile à regarder, mais toujours nécessaire.
Note : 10/10. En bref, est-ce que l’on se dirige vers le meilleur de ce que Andor a pu produire ? Indéniablement. Ces trois épisodes incarnent la perfection de ce que la série a créé depuis ses débuts.
Disponible sur Disney+
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