Critique Ciné : Une Femme en Jeu (2024, Netflix)

Critique Ciné : Une Femme en Jeu (2024, Netflix)

Une Femme en Jeu // De Anna Kendrick. Avec Anna Kendrick, Tony Hale et Jedidiah Goodacre.

 

Une Femme en Jeu, le premier film réalisé par Anna Kendrick, marque un tournant audacieux dans sa carrière. Jusqu’ici, Kendrick était surtout connue pour ses rôles dans des comédies et des drames, mais cette incursion dans le thriller psychologique nous offre un tout autre aperçu de son talent. À la fois devant et derrière la caméra, Kendrick livre une performance saisissante dans ce récit sombre inspiré de faits réels, celui du meurtrier Rodney Alcala, célèbre pour ses crimes perpétrés pendant les années 70. Elle met en scène avec une sobriété glaciale l’horreur tapie sous les apparences et l’indifférence de la société face aux dangers que ces prédateurs incarnent. Le film est indéniablement bien rythmé et habilement construit pour maintenir une tension constante, avec une alternance fluide entre scènes du passé et du présent. 

 

Los Angeles dans les années 1970. Tandis qu’une vague de meurtres défraie la chronique , une jeune femme qui aspire à devenir comédienne et un tueur en série se croisent à l’occasion d’un épisode de l’émission The Dating Game (Tournez Manège).

 

Cette construction narrative ne cherche pas seulement à raconter les crimes d’Alcala, mais aussi à illustrer la misogynie rampante de l’époque, autant dans les interactions sociales que dans les institutions, dont l’indifférence permit à Alcala de sévir si longtemps. Kendrick jongle ainsi avec plusieurs niveaux de lecture, et bien que parfois ces aspects paraissent manquer de liens explicites, ils composent un portrait complexe et dérangeant de la société des années 70, un contexte où la violence envers les femmes était souvent minimisée. Dans Une Femme en Jeu, Daniel Zovatto campe le rôle de Rodney Alcala avec une aisance glaçante. Sa prestation dépeint parfaitement le visage charmant d'un psychopathe, ajoutant une dimension horrifique à chaque interaction qu’il a avec ses victimes. La tension culmine surtout dans les scènes où Alcala tente de charmer les femmes avant de révéler ses véritables intentions, un contraste troublant qui laisse un impact durable. 

 

Kendrick, quant à elle, apporte une direction sans fioritures qui contribue à cette ambiance anxiogène, en s’attachant à montrer la brutalité des actions d’Alcala sans tomber dans le voyeurisme. Le résultat est un film à la fois sombre et respectueux, qui fait preuve d’un souci rare pour la dignité des victimes. Pour sa première réalisation, Kendrick prend des risques en mêlant deux récits parallèles : d’un côté, l’histoire du tueur en série et de l’autre, celle de Sheryl, une jeune femme tentant de se faire une place dans un environnement misogyne. Ce choix de narration permet d’étoffer le contexte et d’offrir une critique acerbe de l’époque. Cependant, ce choix narratif n’est pas sans failles. Parfois, la transition entre la traque meurtrière d’Alcala et les luttes quotidiennes de Sheryl manque de clarté, et le spectateur peut se retrouver quelque peu désorienté. 

 

On ressent une hésitation de la part de Kendrick quant au sujet principal, comme si elle avait voulu embrasser les deux perspectives sans en privilégier réellement une. Cet aspect pourrait déconcerter certains, mais cela n’enlève rien à l’audace de l’entreprise. Kendrick et son équipe ont pris des libertés scénaristiques notables, parfois au prix de la véracité historique, afin de renforcer le caractère dramatique du film. Ces choix se ressentent notamment dans certaines scènes qui, bien que frappantes, semblent artificielles, comme celle de l’émission de télévision où Alcala participe à un jeu de questions-réponses. Cette scène dégage une tension palpable, mais le comportement soudain de Kendrick envers Alcala, devenant hostile sans raison apparente, déroute un peu. En dépit de ces faiblesses, la scène finale se révèle particulièrement mémorable et surprenante, marquant les esprits et offrant une conclusion puissante au récit.

 

L’élément le plus décevant pour moi est probablement le manque de suspense soutenu, alors que le sujet s’y prêtait parfaitement. Certaines scènes, bien que maîtrisées dans leur exécution, manquent de cet élan qui aurait pu les rendre captivantes. On reste parfois en attente d’un moment de bascule, un retournement qui n’arrive jamais vraiment. Peut-être aurait-il été intéressant d’approfondir le jeu psychologique entre Sheryl et Alcala, en accentuant le parallèle entre les deux récits pour donner plus de profondeur à l’ensemble. Ce film soulève aussi une question de fond sur le traitement des faits réels au cinéma. La difficulté d’adapter une histoire vraie tout en conservant l’engagement du spectateur est ici palpable. Bien que le scénario repose sur des événements véridiques, il est difficile de donner à l’histoire un souffle dramatique sans sacrifier la réalité des faits. 

 

Kendrick parvient globalement à naviguer dans cette zone grise, mais cela reste un exercice délicat, d’autant plus pour une première réalisation. Elle se distingue cependant par sa capacité à capter l’essence tragique de ces faits tout en respectant les victimes, un équilibre difficile mais qui témoigne d’une certaine maturité artistique. En somme, Une Femme en Jeu est un premier film prometteur pour Anna Kendrick en tant que réalisatrice. Bien que certains aspects de la narration puissent prêter à confusion, le film réussit à aborder des thèmes complexes, allant de la violence misogyne à l’indifférence institutionnelle, tout en maintenant un respect certain pour les victimes. Avec une tension palpable, une ambiance oppressante et des prestations d’acteurs solides, Kendrick livre un thriller psychologique qui ne laisse pas indifférent, même s’il laisse entrevoir quelques maladresses. 

 

Ce film, même s’il n’est pas parfait, est un ajout notable à l’univers des thrillers et marque une étape importante dans la carrière de Kendrick. Pour les amateurs de thrillers sombres et psychologiques, c’est un visionnage incontournable de cette année.

 

Note : 6/10. En bref, un thriller à double tranchant pour les débuts d’Anna Kendrick derrière la caméra.

Sorti le 18 octobre 2024 directement sur Netflix

 

Retour à l'accueil
Partager cet article
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
À propos
delromainzika

Retrouvez sur mon blog des critiques de cinéma et de séries télé du monde entier tous les jours
Voir le profil de delromainzika sur le portail Overblog

Commenter cet article