Critique Ciné : Only the River Flows (2024)

Critique Ciné : Only the River Flows (2024)

Only the River Flows // De Shujun Wei. Avec Yilong Zhu, Zeng Meihuizi et Tialai Hou.

 

Le cinéma chinois contemporain, riche en nuances et en audaces narratives, continue de surprendre avec des œuvres qui interrogent la condition humaine et les travers de la société. Only the River Flows, le troisième long-métrage de Wei Shujun, s’inscrit dans cette veine avec une approche singulière qui ne laisse pas indifférent. Inspiré de la novella de Yu Hua, écrivain majeur en Chine, ce film oscille entre polar noir, exploration métaphysique et peinture sociale d’une époque révolue. Dès les premières minutes, Only the River Flows impose un univers visuel unique, magnifié par un tournage en pellicule 16 mm. Cette texture granuleuse, associée à des teintes grisâtres et une pluie omniprésente, confère au film une ambiance lourde et poisseuse. Nous sommes plongés dans une petite ville chinoise des années 90, un cadre marqué par une certaine mélancolie, où le temps semble suspendu.

 

En Chine, dans les années 1990, trois meurtres sont commis dans la petite ville de Banpo. Ma Zhe, le chef de la police criminelle, est chargé d'élucider l'affaire. Un sac à main abandonné au bord de la rivière et des témoignages de passants désignent plusieurs suspects. Alors que l’affaire piétine, l’inspecteur Ma est confronté à la noirceur de l’âme humaine et s'enfonce dans le doute...

 

L’esthétique, si soignée soit-elle, n’est pas là pour plaire à tout le monde. Certains pourraient percevoir une certaine affectation dans cette photographie étudiée, presque maniériste par moments. Pour ma part, j’y vois une force qui sert à souligner l’aspect oppressant de l’enquête. L’atmosphère prend presque le pas sur l’intrigue, capturant un univers où la désillusion s’infiltre dans chaque recoin. L’histoire tourne autour d’un triple meurtre qui hante l’officier chargé de l’enquête. Ce policier, loin du héros classique, est un personnage fragile dont les failles personnelles interfèrent avec son travail. Ce choix de narration apporte une dimension humaine au récit, mais également une certaine instabilité. Le film suit une progression lente, parfois languissante, qui peut décourager ceux en quête d’un récit haletant. Le rythme lancinant reflète l’état psychologique du personnage principal, mais finit par peser sur l’immersion. 

 

L’intrigue, bien qu’intrigante au départ, s’égare peu à peu dans des territoires métaphysiques, rendant la résolution de l’énigme presque insaisissable. Cette transition du polar classique vers une exploration plus introspective divise : certains y voient une richesse, d’autres un manque de clarté narrative. Sous son apparence de film noir, Only the River Flows s’aventure dans une critique subtile de la société chinoise des années 90. Le poids des structures hiérarchiques – que ce soit dans la police ou les usines – y est omniprésent, reflétant une époque où l’individu s’efface souvent devant le collectif. Plus surprenant encore, le film aborde des sujets rarement explorés dans le cinéma chinois, tels que l’homophobie ou le regard porté sur les personnes handicapées. Ces thématiques, bien que périphériques, enrichissent le récit et ancrent le film dans une réalité sociale complexe. Malgré ces qualités indéniables, Only the River Flows m’a laissé un sentiment mitigé. 

 

Si l’ambiance visuelle et la profondeur psychologique du personnage principal sont marquantes, le rythme extrêmement lent freine l’implication émotionnelle. De plus, la fin du film, qui s’aventure dans des sphères métaphysiques, laisse un goût d’inachevé. Ce basculement, bien qu’audacieux, brouille le message du réalisateur et dilue l’impact de l’histoire. Le parallèle avec des œuvres comme Memories of Murder de Bong Joon-ho est évident, notamment dans l’esthétique pluvieuse et l’enquête qui s’enlise. Cependant, là où le film coréen reste ancré dans une narration solide, Only the River Flows s’autorise des digressions qui peuvent dérouter. Wei Shujun propose avec Only the River Flows une œuvre singulière, où la frontière entre réalité et introspection devient floue. Ce film ne cherche pas à plaire à tout le monde, et c’est peut-être là sa plus grande force comme sa principale faiblesse. Il séduira ceux en quête d’un cinéma d’auteur audacieux, prêt à sacrifier la linéarité pour explorer les tréfonds de l’âme humaine.  

 

En revanche, pour moi, ce voyage cinématographique s’apparente à une traversée où l’on admire le paysage, mais où le chemin reste parfois trop obscur pour en saisir pleinement le sens. Si vous aimez les films qui vous laissent réfléchir longtemps après le générique, Only the River Flows pourrait bien vous captiver. Mais si vous préférez une intrigue claire et un rythme soutenu, ce film risque de vous désorienter.

 

Note : 6/10. En bref, un polar chinois singulier mais qui parfois, avec toute son audace, peut perdre le spectateur. 

Sorti le 10 juillet 2024 au cinéma 

 

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