1 Novembre 2024
La nouvelle série Disclaimer, réalisée par Alfonso Cuarón et diffusée sur Apple TV+, captive dès les premiers instants avec un avertissement inhabituel : "Attention au récit et à la forme." Ce conseil, bien que lancé de manière informelle par une maîtresse de cérémonie fictive, résonne en filigrane tout au long de l’histoire. En effet, cette fiction basée sur le thriller noir de Renée Knight ne s’embarrasse d’aucun préambule : elle déstabilise, enchevêtre les perspectives et manipule le spectateur à chaque nouvelle scène. Le pari est osé, mais l’audace a un prix : en déployant des récits non linéaires et multiples points de vue, Disclaimer s’engage dans une narration complexe, parfois déroutante. Pour ceux qui s’attendaient à une intrigue traditionnelle, ces premiers épisodes posent une question essentielle : comment capter la vérité quand elle se dissimule derrière tant de couches de souvenirs et d’émotions ?
Dès le premier épisode, Disclaimer nous plonge dans trois époques distinctes, toutes entremêlées dans une alternance continue. Il y a tout d'abord la période de jeunesse de Jonathan, un adolescent britannique un peu téméraire, explorant l’Europe avec sa petite amie, Sasha. Ces séquences nous ramènent à des souvenirs idéalisés, teintés d’innocence et de folie juvénile, où les erreurs de jugement semblent inoffensives, du moins en apparence. Mais à travers une mise en scène ponctuée de transitions irisées, le spectateur sent déjà que le drame n’est jamais loin. Puis, il y a l’histoire au présent de Catherine Ravenscroft, une documentariste reconnue, incarnée par Cate Blanchett. Cuarón nous présente une femme apparemment comblée, en pleine réception de prix, mais dont la vie bien ordonnée vacille lorsqu'elle reçoit un livre qui semble la viser directement. Dès lors, des souvenirs refoulés ressurgissent et l'amènent à affronter un passé qu'elle pensait enterré.
Les flashbacks de cette époque plus récente nous révèlent une Catherine passionnée, mais aussi impétueuse, dont les erreurs de jeunesse resurgissent de manière dévastatrice. Enfin, le personnage de Stephen, un enseignant retraité incarné par Kevin Kline, constitue le troisième fil narratif de la série. Après des décennies à refouler le deuil de son fils Jonathan, Stephen découvre des éléments perturbants sur la vie de son fils et se décide à utiliser cette connaissance pour se venger de Catherine, qu’il estime responsable de la mort de Jonathan. C’est une perspective plus sombre, amère et vindicative qui nous est ici proposée, alors que Stephen cherche à ruiner la vie de Catherine méthodiquement. Cette utilisation de temporalités alternées et de perspectives multiples enrichit indéniablement la narration, tout en nous laissant dans l’incertitude quant aux enjeux réels de cette intrigue.
Chacune de ces époques révèle des facettes différentes des personnages, mais impose également au spectateur une gymnastique mentale, tant les détails de chaque époque influencent et transforment notre perception de la suivante. Si l’intrigue de Disclaimer est à première vue celle d’une quête de vengeance, elle se double d’une réflexion sur le poids des souvenirs et sur la manière dont ceux-ci modèlent nos existences. Catherine, en particulier, incarne ce que la mémoire peut produire de plus accablant. Dans les premiers épisodes, ses gestes, ses mimiques, son anxiété palpable à la lecture du fameux livre qu’elle reçoit dans son courrier, témoignent d’un passé qu’elle voudrait effacer. Les bribes de ses souvenirs illustrent une vie marquée par la dissimulation, la culpabilité, et un lourd secret.
Dans ce contexte, la confrontation entre Catherine et son mari, Robert, met en lumière un autre aspect du fardeau de la mémoire : celui de devoir assumer, coûte que coûte, le poids de son passé. Cette dynamique entre Catherine et Robert est fascinante, et la prestation de Sacha Baron Cohen (qui incarne Robert) apporte une complexité supplémentaire, entre fascination, déception et ressentiment. Lorsque Robert découvre des preuves compromettantes sur la relation passée de Catherine avec Jonathan, l'éclat de leur mariage s'éteint peu à peu, remettant en cause des décennies de vie commune. Le contraste entre la réussite sociale et matérielle du couple et la fragilité de leur relation crée une ironie amère, que la série explore avec justesse.
À travers l'histoire de Catherine, la série aborde également des thèmes essentiels liés à la vérité et à la manipulation. En tant que documentariste, Catherine est perçue comme une figure d'intégrité et d'honnêteté, recevant même un prix pour son rôle de "phare de la vérité". Mais cette réputation de probité se heurte au récit de sa propre vie, où des choix personnels viennent entacher cette image. Disclaimer montre ainsi la distance entre l’image publique et la réalité intime, explorant le fossé entre ce que l’on montre au monde et ce que l’on cache. Cette exploration de la vérité est également liée aux questions de pouvoir et de contrôle. Les trois principaux personnages de la série – Catherine, Robert, et Stephen – exercent chacun, à leur manière, une forme de pouvoir qui finit par leur échapper. Catherine cherche à contrôler sa réputation et à réprimer les fantômes de son passé, mais elle est rattrapée par des événements qu'elle ne peut plus ignorer.
Stephen, quant à lui, devient obsédé par la vengeance, voyant dans la ruine de Catherine une manière de reprendre le contrôle de sa vie après des années de passivité et de souffrance. Le spectateur se retrouve pris dans ce jeu de pouvoir, de vérité et de tromperie, à mesure que les intrigues se dévoilent. Chaque personnage utilise la vérité à sa manière, et la série interroge la manière dont les récits, même personnels, peuvent être façonnés pour servir des fins personnelles. La réalisation d'Alfonso Cuarón mérite également une mention particulière, tant elle est essentielle à l'ambiance unique de Disclaimer. Avec son talent bien connu pour créer des atmosphères intenses et immersives, Cuarón emploie ici des techniques visuelles qui servent parfaitement l'histoire. Les transitions irisées, par exemple, ajoutent une dimension nostalgique aux scènes de jeunesse de Jonathan, tout en rappelant l'ouverture d'un objectif de caméra.
Ces détails visuels rendent chaque temporalité immédiatement reconnaissable, malgré la complexité de la narration. Les deux premiers épisodes regorgent de moments cinématographiques puissants, comme la scène où Stephen retrouve un vieux flacon de parfum appartenant à son fils disparu. Ce parfum, dans lequel il plonge son nez avec une mélancolie palpable, ravive son désir de vengeance en rappelant l'odeur de son fils, disparue depuis longtemps. Ces détails visuels, associés aux performances d’acteurs de talent, confèrent à la série une profondeur émotionnelle indéniable. Avec Disclaimer, Alfonso Cuarón signe une série ambitieuse et captivante, qui, dès ses premiers épisodes, interroge les limites de la vérité et de la mémoire. Par une narration fragmentée et des personnages aux motivations troubles, la série met en scène un drame psychologique qui explore les conséquences des choix du passé sur le présent.
La série invite également le spectateur à se questionner : peut-on vraiment échapper aux erreurs de jeunesse ? Jusqu'où peut-on aller pour contrôler une vérité qui nous échappe ? Ces premiers épisodes laissent entrevoir une série qui ne se contentera pas de poser des questions, mais cherchera à les déconstruire par le prisme de personnages tourmentés, de dilemmes moraux, et d'une intrigue aussi captivante qu'implacable. Pour ceux qui apprécient les drames psychologiques complexes et les récits entremêlés, Disclaimer promet d’être un rendez-vous incontournable, un défi narratif qui mérite qu'on s’y attarde.
Note : 6/10. En bref, un récit déroutant et complexe qui peut parfois égarer un peu le spectateur. Le casting, impeccable et la mise en scène d’Alfonso Cuaron font une bonne partie de l’intérêt de Disclaimer pour le moment.
Disponible sur Apple TV+
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