Critique Ciné : Il reste encore demain (2024)

Critique Ciné : Il reste encore demain (2024)

Il reste encore demain // De Paola Cortellesi. Avec Paola Cortellesi, Valerio Mastandrea et Romana Maggiora Vergano.

 

Il reste encore demain, réalisé par Paola Cortellesi, est bien plus qu’un simple film : c’est une œuvre vibrante qui mêle émotion, esthétique et réflexion sur des problématiques intemporelles. Découvert en VOD, ce bijou cinématographique italien, tourné en noir et blanc, impressionne par son ambition artistique et narrative. C’est une expérience qui marque, non seulement pour son histoire captivante, mais aussi pour la maîtrise dont fait preuve Cortellesi dans sa première réalisation. Le choix du noir et blanc donne au film une authenticité rare. L’image, à la fois granuleuse et soignée, évoque les grandes heures du cinéma italien des années 50 et 60. Chaque plan semble pensé pour transporter le spectateur dans une époque révolue, tout en insufflant une modernité subtile grâce à une mise en scène audacieuse. 

 

Mariée à Ivano, Delia, mère de trois enfants, vit à Rome dans la seconde moitié des années 40. La ville est alors partagée entre l’espoir né de la Libération et les difficultés matérielles engendrées par la guerre qui vient à peine de s’achever. Face à son mari autoritaire et violent, Delia ne trouve du réconfort qu’auprès de son amie Marisa avec qui elle partage des moments de légèreté et des confidences intimes. Leur routine morose prend fin au printemps, lorsque toute la famille en émoi s’apprête à célébrer les fiançailles imminentes de leur fille aînée, Marcella. Mais l’arrivée d’une lettre mystérieuse va tout bouleverser et pousser Delia à trouver le courage d’imaginer un avenir meilleur, et pas seulement pour elle-même.

 

Paola Cortellesi joue habilement avec cette esthétique rétro, utilisant des cadrages serrés et des mouvements de caméra précis pour immerger dans l’intimité des personnages. Loin d’être un simple hommage nostalgique, ce choix stylistique sert à souligner le caractère universel et intemporel du récit. Il ne s’agit pas seulement de raconter une histoire d’après-guerre, mais de créer un pont entre hier et aujourd’hui, en rappelant que les combats menés par les femmes pour leur émancipation résonnent encore. Le film démarre dans un cadre volontairement caricatural : celui d’une Italie patriarcale où la violence domestique et l’injustice envers les femmes sont monnaie courante. Delia, le personnage principal incarné avec une justesse émouvante par Paola Cortellesi, est une femme stoïque, enfermée dans une vie de souffrance. 

 

Son mari violent incarne cette tradition archaïque, un homme tyrannique et brutal qui considère sa femme comme un objet lui appartenant. Mais Il reste encore demain ne se limite pas à dépeindre la condition féminine sous un angle manichéen. La subtilité du film réside dans la façon dont il explore les mécanismes de domination et de violence, tout en montrant le cheminement intérieur de Delia. Une scène marquante, où les coups du mari deviennent une chorégraphie presque rituelle, symbolise cette approche. La violence n’est pas montrée pour choquer, mais pour exposer sa mécanique et en révéler l’absurdité. Cortellesi insère, avec parcimonie, des musiques contemporaines dans ce récit d’époque. Ce choix peut sembler surprenant, mais il fonctionne à merveille. 

 

Ces touches anachroniques apportent une dimension universelle à l’histoire, transcendante des barrières temporelles. Elles rappellent que le combat de Delia n’est pas seulement celui d’une femme des années 50, mais celui de nombreuses femmes, encore aujourd’hui. Ces morceaux modernes agissent comme des pauses émotionnelles, permettant au spectateur de respirer tout en accentuant l’impact des scènes les plus intenses. Ce contraste entre le passé et le présent souligne l’universalité du message : les souffrances endurées par Delia sont toujours pertinentes dans notre monde contemporain. Le film surprend par sa capacité à maintenir une tension dramatique constante. À mesure que l’histoire avance, le spectateur est confronté à un dilemme : Delia va-t-elle choisir de fuir avec son ami garagiste, ou restera-t-elle pour protéger ses enfants ? 

 

Ces questionnements sont soutenus par un scénario parfaitement construit, jouant avec les attentes pour finalement offrir une résolution à la fois inattendue et satisfaisante. La fin du film est particulièrement marquante. Ce retournement, qui éclaire toute l’histoire sous un autre angle, est un coup de maître de la part de Cortellesi. Le spectateur passe de l’angoisse à l’euphorie, sortant de l’expérience avec le sourire. C’est une conclusion qui donne du sens au combat de Delia et offre une véritable catharsis. Si Paola Cortellesi brille dans le rôle principal, il serait injuste de ne pas souligner la qualité des performances de l’ensemble du casting. Chaque acteur, même dans les rôles secondaires, contribue à donner vie à cette fresque familiale. Les disputes animées, les éclats de rire, les moments de tendresse et de tension sont interprétés avec une sincérité désarmante.

 

Ces personnages, bien que profondément ancrés dans une réalité italienne spécifique, deviennent universels grâce à leur humanité. Ils sont imparfaits, complexes, attachants. C’est cette authenticité qui permet au film de résonner auprès d’un public large, au-delà des frontières culturelles ou linguistiques. Au cœur de Il reste encore demain, il y a une question essentielle : comment se libérer du poids des traditions oppressives ? À travers le regard de Delia, le film examine cette problématique avec intelligence. L’héroïne n’est pas une figure de révolution spectaculaire, mais une femme ordinaire qui, petit à petit, trouve la force de résister à l’inacceptable. Le film montre aussi comment les générations se répondent. La relation entre Delia et sa fille, qui reproduit inconsciemment le schéma patriarcal, est particulièrement poignante. 

 

C’est dans cette dynamique que se trouve le véritable enjeu du film : briser le cycle pour permettre un avenir meilleur. En s’inspirant des codes des comédies italiennes des années 60, tout en y injectant une gravité et une modernité nouvelles, Paola Cortellesi rend hommage au patrimoine cinématographique de son pays. Elle parvient à capturer l’essence de cette époque tout en s’en détachant, offrant une œuvre profondément personnelle. Les scènes de dispute de voisinage, les conversations bruyantes autour de la table, les personnages hauts en couleur rappellent les grandes fresques familiales de réalisateurs comme Vittorio De Sica ou Federico Fellini. Cependant, Cortellesi y ajoute une profondeur et une sensibilité uniques, créant ainsi un film résolument ancré dans son époque tout en dialoguant avec le passé.

 

Il reste encore demain est une œuvre magistrale qui dépasse son cadre historique pour devenir un plaidoyer universel en faveur de l’émancipation et de la dignité. Ce n’est pas seulement un film sur les violences faites aux femmes ; c’est un film sur la résilience, la solidarité et la nécessité de changer les choses. En sortant de ce film, je ne pouvais m’empêcher de penser à toutes les Delia qui, dans le monde entier, continuent de lutter contre des systèmes oppressifs. Ce film leur rend hommage, tout en offrant une lueur d’espoir. Paola Cortellesi a réussi un tour de force : réaliser une œuvre à la fois profondément émouvante, esthétiquement magnifique et politiquement engagée. Il reste encore demain mérite amplement son succès et restera, je l’espère, dans les mémoires comme un joli film du cinéma italien contemporain.

 

Note : 7/10. En bref, un joli film du cinéma italien contemporain. 

Sorti le 13 mars 2024 au cinéma - Disponible sur myCanal et en VOD

 

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