22 Février 2025
L’Histoire de Souleymane // De Boris Lojkine. Avec Abou Sangaré, Alpha Oumar Sow et Nina Meurisse.
Dans L’Histoire de Souleymane, Boris Lojkine s’intéresse à un sujet aussi universel que brûlant : la migration et la lutte quotidienne de ceux qui tentent de se construire une nouvelle vie loin de chez eux. À travers le parcours de Souleymane Bagaré, jeune Guinéen arrivé en France après un périple éprouvant, le film dépeint un combat souvent invisible, rythmé par l’incertitude et la peur du lendemain. Souleymane pédale dans Paris, livrant des repas pour survivre, alors que son statut administratif l’empêche officiellement de travailler. Hébergé au 115, il tente de mémoriser un récit fictif censé convaincre l’Ofpra de lui accorder l’asile.
Tandis qu’il pédale dans les rues de Paris pour livrer des repas, Souleymane répète son histoire. Dans deux jours, il doit passer son entretien de demande d’asile, le sésame pour obtenir des papiers. Mais Souleymane n’est pas prêt.
En quelques jours, son existence déjà précaire vacille au moindre accroc : une chute, une dispute, une pression administrative insoutenable. Son destin repose sur un entretien qui décidera s’il peut espérer un avenir en France ou s’il devra repartir vers un pays qu’il a fui. Le film fonctionne comme un compte à rebours haletant. Chaque minute rapproche Souleymane de son rendez-vous crucial avec l’administration, et chaque instant semble menacé par un nouvel imprévu. Le quotidien du personnage principal est montré sans détour : la précarité n’est pas seulement une toile de fond, c’est une mécanique implacable qui broie lentement ceux qui tentent d’y échapper.
Le rythme du film renforce cette impression d’oppression constante. La caméra suit Souleymane au plus près, capturant ses efforts, ses doutes et ses rares instants de répit. Entre les courses effrénées à vélo, les altercations et les moments de solidarité, tout s’enchaîne sans relâche, reflétant cette existence où l’équilibre est fragile et où la moindre erreur peut tout faire basculer. Souleymane n’est pas un héros au sens classique du terme. Il ne cherche pas à défier le système ni à se battre contre un ennemi clairement défini.
Il veut simplement vivre dignement, subvenir à ses besoins et à ceux de sa mère restée en Guinée. Mais dans ce parcours semé d’embûches, il ne maîtrise pas grand-chose. Le film évite le piège du manichéisme. Souleymane n’est ni un symbole parfait de la résilience, ni un personnage idéalisé. Il compose avec la réalité, prend des décisions discutables, cherche des solutions comme il peut. Son faux témoignage en est un exemple : une nécessité dictée par un système où la vérité seule ne suffit pas toujours à obtenir une protection.
Interprété par Abou Sangaré, lui-même menacé d’une obligation de quitter le territoire (OQTF), le personnage résonne d’autant plus avec le réel. Son regard, sa gestuelle et ses silences en disent long sur l’angoisse de ceux qui vivent en sursis, suspendus à une décision administrative qui peut bouleverser leur existence du jour au lendemain. Le film ne cherche pas à édulcorer la réalité ni à en faire un simple plaidoyer politique. Il pose un regard direct sur la manière dont les migrants vivent en France, sans chercher à dramatiser inutilement ni à tomber dans la caricature.
Les difficultés sont là, omniprésentes, mais elles ne sont pas toujours spectaculaires. Il n’y a pas d’événements exceptionnels, juste un enchaînement de petits obstacles qui rendent la vie compliquée : un vélo cassé, un patron qui refuse de payer, une nuit passée à se battre contre l’angoisse du lendemain. Cette approche rappelle le cinéma des frères Dardenne, où les histoires les plus fortes se racontent souvent à travers les détails du quotidien. Ici, le regard de Boris Lojkine capte ces petits riens qui, accumulés, finissent par devenir un fardeau insoutenable.
À travers le parcours de Souleymane, le film montre aussi un système administratif froid et complexe. L’entretien avec l’Ofpra est une épreuve où tout repose sur la capacité du demandeur à convaincre, à réciter une histoire qui doit correspondre aux critères de l’asile. La sincérité ne suffit pas toujours : il faut une cohérence, des éléments de preuve, une construction narrative qui cadre avec les attentes de l’administration. Le film ne porte pas de jugement explicite sur cette mécanique bureaucratique, mais il en expose les limites avec justesse. La peur de l’expulsion plane sur chaque décision, transformant la moindre erreur en un risque immense.
L’ubérisation du travail vient renforcer cette précarité : Souleymane pédale sans relâche, exploité par un système où il n’a aucun droit, aucune sécurité. Visuellement, L’Histoire de Souleymane adopte une esthétique brute, au plus près du personnage. La caméra à l’épaule suit ses déplacements dans les rues de Paris, capturant l’agitation de la ville et l’isolement de celui qui tente d’y trouver sa place. Les scènes de course à vélo sont filmées avec une intensité qui reflète la pression constante pesant sur Souleymane. À chaque virage, à chaque coup de frein, il y a cette tension sous-jacente : une chute, une mauvaise rencontre, et tout peut basculer.
La bande-son joue également un rôle discret mais efficace. Pas de musique grandiloquente, juste le bruit des roues sur le bitume, les conversations hachées, les silences qui en disent long. Tout contribue à renforcer l’immersion dans cette réalité souvent ignorée. En abordant la question migratoire sous cet angle, L’Histoire de Souleymane s’inscrit dans une continuité avec d’autres œuvres qui ont traité des parcours de ceux qui tentent de reconstruire leur vie ailleurs. Il évoque notamment Moi, Capitaine, qui décrivait l’horreur des camps en Libye et le périple périlleux vers l’Europe. Ici, c’est une sorte de suite implicite : une fois en France, la lutte ne s’arrête pas, elle prend simplement une autre forme.
Le film ne cherche pas à donner de solutions ni à offrir une conclusion rassurante. Il expose une réalité, celle de milliers de personnes pour qui chaque jour est un défi. Il laisse le spectateur face à cette situation, libre d’en tirer ses propres réflexions. L’Histoire de Souleymane frappe par son authenticité. Il ne cherche pas à provoquer une émotion facile, ni à faire de son personnage un symbole figé. Il montre simplement un quotidien, avec ses moments de lutte, ses instants de répit, ses espoirs et ses désillusions.
À travers ce récit, Boris Lojkine ne se contente pas de dénoncer. Il donne à voir, à ressentir, à comprendre. Et c’est peut-être là que réside la force du film : il ne parle pas seulement de migration ou d’asile, il parle d’une existence suspendue, d’un combat silencieux mené par des milliers de personnes. Un film qui marque, par sa sincérité et son refus du spectaculaire, et qui rappelle que derrière les chiffres et les débats, il y a des vies qui se jouent, au jour le jour.
Note : 9/10. En bref, un regard brut sur l’exil et la précarité.
Sorti le 9 octobre 2024 au cinéma - Disponible en VOD
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