4 Février 2025
Il est rare de voir une fiction qui aborde la séparation et la recomposition familiale avec autant de justesse. Garde Partagée, disponible sur Disney+, s’intéresse aux dynamiques complexes d’un couple qui se sépare, tout en plaçant au centre de l’histoire les liens familiaux qui subsistent malgré la rupture. Cette première saison, composée de huit épisodes d’environ trente minutes, parvient à capter l’essence des relations humaines avec un équilibre subtil entre drame et comédie. L’histoire suit Cris (Lorena López) et Diego (Ricard Farré), un couple qui décide de mettre un terme à leur relation tout en gardant un lien sain pour leur fille, Cloe (Lucía de Gracia).
Fraîchement séparés d'un commun accord, Cris et Diego ont a coeur, en tant qu'adultes matures et responsables, de conserver des relations amicales pour le bien de leur fille de cinq ans. Le problème est que Cris a un boulot très absorbant, et Diego n'a pas de salaire fixe. Ils sont, l'u net l'autre, contraints de retourner vivre chez leurs parents respectifs. Si les grands-parents sont ravis, les choses se détériorent rapidement. Et ce qui a commencé comme une séparation à l'amiable prend bientôt une tournure difficile en étant confrontés à la dure réalité...
L’intention est belle : ils veulent rester amis et partager la garde de leur enfant de manière harmonieuse. Mais comme souvent dans ces situations, la théorie s’éloigne rapidement de la réalité. Entre désaccords sur l’éducation, vieilles rancœurs et confrontations avec leurs familles respectives, la séparation devient un terrain de jeu où s’entremêlent amour, colère, regrets et maladresses. La séparation ne concerne pas uniquement Cris et Diego. Leurs parents, incarnés par Adriana Ozores, Francesc Orella, Fernando Sansegundo et Aten Soria, jouent un rôle central dans leur nouvelle réalité. D’un côté, la famille de Diego, bourgeoise et autoritaire, ne se prive pas pour critiquer Cris et alimenter les tensions.
De l’autre, les parents de Cris, plus modestes, tentent d’être un soutien sans pour autant s’effacer totalement. Ce contraste entre deux mondes sociaux ajoute une couche supplémentaire aux conflits et révèle des blessures profondes ancrées bien avant la séparation. Un des aspects les plus frappants de la série est la place des grands-parents. Ils incarnent cette génération souvent sollicitée pour garder les petits-enfants, tout en étant jugée dépassée par les jeunes parents. Garde Partagée met en lumière cette contradiction avec finesse : d’un côté, on leur reproche leur manière d’éduquer, de l’autre, on leur confie ce que l’on a de plus précieux.
Cette charge mentale intergénérationnelle, rarement évoquée avec autant de justesse, résonne avec de nombreuses familles. Cloe, au cœur du dispositif, incarne la complexité d’une séparation à travers les yeux d’un enfant. Son rôle va bien au-delà d’un simple témoin passif. Elle subit les décisions des adultes tout en cherchant à comprendre un monde qui lui échappe parfois. Ses réactions, parfois spontanées, parfois douloureuses, rappellent que derrière chaque rupture, il y a un impact sur les plus jeunes. Loin de tomber dans le pathos, la série trouve une manière intelligente d’exprimer ses émotions à travers des dialogues justes et des situations crédibles.
Les conflits de loyauté qu’elle traverse, les maladresses des adultes qui tentent de préserver une normalité illusoire, tout est traité avec une justesse qui évite le piège du manichéisme. Aucun personnage n’est totalement coupable ou innocent, chacun commet des erreurs en essayant de bien faire, ce qui rend l’ensemble profondément humain. Javier Fesser, à la réalisation, opte pour une mise en scène épurée qui laisse toute la place aux interactions et aux dialogues. Il ne cherche pas à dramatiser à outrance ni à exagérer les situations comiques.
Les scènes s’enchaînent avec fluidité, et chaque épisode explore un aspect précis de la séparation : la gestion du temps avec l’enfant, l’influence des familles, la jalousie face aux nouvelles rencontres, le poids du passé. Cette approche permet d’immerger totalement dans le quotidien des personnages, en alternant des moments de tension et de légèreté. Un des points forts de cette première saison réside dans sa capacité à faire ressentir au spectateur un spectre large d’émotions. Certains dialogues frappent par leur sincérité, d’autres situations rappellent des expériences vécues, et certaines scènes, bien que douloureuses, restent empreintes d’une profonde tendresse.
Loin d’être une série caricaturale sur la séparation, Garde Partagée propose une réflexion nuancée sur ce que signifie réellement se séparer quand on partage encore une histoire commune. L’interprétation est sans aucun doute l’un des piliers de la série. Lorena López et Ricard Farré incarnent des personnages complexes et crédibles. Leur dynamique oscillante entre affection, reproches et tentatives de compromis est portée par un jeu d’acteur précis, évitant les excès et favorisant une approche réaliste. Les rôles secondaires ne sont pas en reste.
Adriana Ozores, dans le rôle de la mère de Diego, livre une prestation qui donne corps à un personnage autoritaire et acerbe, tout en lui apportant une certaine vulnérabilité. De même, Francesc Orella, Fernando Sansegundo et Aten Soria apportent chacun une dimension spécifique aux tensions familiales, renforçant ainsi la richesse des interactions. Mais c’est sans doute Lucía de Gracia, dans le rôle de Cloe, qui surprend le plus. Loin des représentations stéréotypées des enfants dans les fictions familiales, elle parvient à transmettre toute la confusion et la tristesse d’une enfant qui voit son univers bouleversé. Sa prestation est l’un des éléments clés qui permet à la série de toucher avec autant de justesse.
S’il fallait retenir un épisode en particulier, ce serait le septième. Ce moment charnière de la saison propose une confrontation entre Cris et Diego qui condense toute la tension accumulée jusqu’alors. Les non-dits éclatent, les rancœurs sont exposées, et les blessures du passé refont surface avec une intensité rarement atteinte dans les épisodes précédents. Cette scène, d’une longueur inhabituelle pour une série de ce format, repose entièrement sur le jeu des acteurs et la puissance des dialogues. Le silence, parfois plus expressif que les mots, y joue un rôle déterminant.
Ce passage met en exergue la difficulté de tourner la page tout en restant liés par un enfant. On y perçoit les contradictions inhérentes à toute séparation : la volonté de faire au mieux, mais aussi l’incapacité à totalement abandonner une histoire qui a compté. Cet épisode, d’une grande justesse émotionnelle, reste l’un des plus marquants de la saison. Garde Partagée ne cherche pas à délivrer un message tranché sur la séparation. La série propose plutôt une exploration honnête des dynamiques familiales, où chacun fait de son mieux malgré ses failles.
Loin de sombrer dans le pathos ou dans une légèreté excessive, elle trouve un équilibre qui permet de rire des absurdités du quotidien tout en captant la complexité des relations humaines. À travers ses personnages et ses situations du quotidien, elle offre une réflexion sur ce que signifie être parent, ex-partenaire, enfant ou grand-parent dans un monde où les repères familiaux évoluent constamment. Si la séparation est le point de départ de l’intrigue, c’est bien la famille dans son ensemble qui est au cœur du récit.
Avec cette première saison, Garde Partagée propose une vision nuancée et réaliste des séparations contemporaines. La série ne cherche pas à imposer une morale ou à offrir des réponses toutes faites, mais plutôt à poser un regard sincère sur les émotions et les conflits qui surgissent lorsqu’un couple se défait sans pour autant se quitter complètement. Grâce à un casting impliqué, une mise en scène sobre et un récit bien construit, cette saison réussit à capturer la complexité des liens familiaux avec une authenticité rare. Une série qui ne laisse pas indifférent et qui offre une réflexion pertinente sur l’évolution des relations humaines au sein de la cellule familiale.
Note : 7/10. En bref, une plongée sincère et nuancée dans les méandres de la séparation.
Disponible sur Disney+
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