Critique Ciné : To the North (2025)

Critique Ciné : To the North (2025)

To the North // De Mihai Minnan. Avec Nikolaï Becker, Soliman Cruz et Noel Sto. Domingo.

 

Le cinéma roumain est souvent associé à un réalisme social brut et à des drames intimistes ancrés dans un contexte national. Avec To The North, Mihai Mincan prend une autre direction en s’aventurant en pleine mer pour raconter une histoire inspirée de faits réels. Ce premier long-métrage de fiction s’éloigne du cadre habituel du cinéma roumain pour plonger dans un thriller maritime où s’affrontent humanité et pragmatisme, solidarité et survie. L’intrigue repose sur une tension constante : deux clandestins embarquent clandestinement sur un porte-conteneurs en route pour le Canada.

 

1996, Atlantique Nord. Deux jeunes clandestins embarquent à bord d’un porte-conteneur à destination du Canada. Les membres de l’équipage philippins découvrent l’un d’eux, un Roumain. Si les officiers taïwanais le repèrent, il risque d'être jeté à la mer, comme cela fut le cas pour son compagnon. Les marins philippins décident alors de le cacher dans les entrailles du bateau…

 

Très vite, ils sont confrontés à un danger mortel, non pas seulement celui de l’immensité de l’océan, mais surtout celui des hommes qui les entourent. Le film ne cherche pas à livrer un simple suspense en haute mer, mais interroge les dilemmes moraux qui surgissent dans une situation où les notions de justice et de bienveillance sont mises à rude épreuve. L’idée d’un huis clos maritime fonctionne ici comme un piège. Alors que l’océan semble infini, le film enferme ses personnages dans un espace restreint où chaque recoin du navire devient une zone de tension potentielle. 

 

Mincan installe une atmosphère suffocante en jouant sur l’enfermement physique et psychologique des protagonistes. L’équipage du cargo est composé de marins philippins et d’officiers taïwanais, chacun ayant son propre code d’honneur et ses intérêts à défendre. Lorsque l’un des clandestins est découvert par des membres de l’équipage philippin, certains tentent de l’aider en le cachant, conscients du risque qu’il encourt si les officiers l’apprennent. Cette tension entre devoir moral et obéissance aux ordres donne au récit une dimension tragique.

 

Le film prend son temps pour installer cette dualité et explorer la psychologie des personnages. Parfois, ce rythme étiré peut donner une impression de lenteur excessive, voire de répétition, mais il sert aussi à accentuer la pression qui pèse sur les épaules de chacun. L’une des forces du film réside dans sa manière de brouiller les repères moraux. Contrairement à ce que l’on pourrait attendre, To The North ne propose pas une opposition binaire entre les bons et les méchants. Chaque personnage agit selon sa propre logique, ses peurs et ses intérêts.

 

Ce flou moral est renforcé par des dialogues souvent appuyés, qui interrogent sans cesse la notion de justice. Jusqu’où peut-on aller pour protéger quelqu’un ? À partir de quel moment l’aide devient-elle un danger pour soi-même et son entourage ? Ces questions hantent les membres de l’équipage philippin, tiraillés entre leur conscience et la brutalité du monde dans lequel ils évoluent. Cette réflexion, bien que pertinente, peut parfois ralentir l’intensité du récit. Certains échanges alourdissent inutilement le propos, là où les images suffisent souvent à exprimer la complexité de la situation. 

 

La mise en scène, très axée sur des plans serrés et oppressants, appuie ce sentiment d’enfermement, mais manque parfois de dynamisme. Le film installe une montée en tension progressive, où chaque choix semble peser lourdement sur l’issue de l’histoire. Pourtant, au moment où l’on attend un basculement, la résolution laisse un goût d’inachevé. Loin d’apporter une conclusion cathartique, le dénouement semble volontairement abrupt, comme pour rappeler que dans ce genre de situation, il n’y a souvent pas de justice. Ce choix narratif peut diviser. D’un côté, il évite un traitement trop manichéen de l’histoire en restant fidèle à une certaine réalité. 

 

De l’autre, il laisse une sensation de frustration, comme si le film avait construit une tension pour finalement la relâcher sans véritable impact. Si l’histoire repose beaucoup sur son atmosphère et ses dilemmes moraux, elle doit aussi sa crédibilité à ses interprètes. Soliman Cruz, dans le rôle d’un marin philippin impliqué malgré lui dans cette affaire, apporte une intensité discrète mais efficace. Son jeu subtil permet d’incarner les tourments intérieurs d’un homme qui tente de faire ce qui lui semble juste, tout en sachant que cela pourrait lui coûter cher.

 

Niko Becker, qui incarne l’un des clandestins, livre une performance crédible, bien que parfois en retrait face aux marins qui l’entourent. L’ensemble du casting sert bien le récit, même si certains personnages auraient mérité un développement plus approfondi. Avec To The North, Mihai Mincan signe un premier film de fiction ambitieux, qui s’éloigne des schémas classiques du thriller maritime pour proposer une réflexion plus large sur la condition humaine. En plaçant ses personnages face à des choix impossibles, il confronte le spectateur à des questions essentielles : que vaut la vie d’un homme quand elle menace la survie des autres ? 

 

Peut-on encore parler de justice lorsque la loi du plus fort dicte les règles ? Ce parti pris fait la force du film, mais aussi sa faiblesse. À trop vouloir interroger, le récit peine parfois à garder son intensité dramatique. Certains dialogues appuient trop lourdement le propos, et le rythme, parfois inégal, aurait mérité d’être resserré. Malgré ces réserves, To The North reste une proposition intéressante, qui sort des sentiers battus du cinéma roumain. 

 

Note : 6/10. En bref, un huis clos maritime sous tension. Plutôt qu’un film d’action haletant, il propose une plongée lente et immersive dans un univers où l’homme se retrouve seul face à ses contradictions. Un choix audacieux, qui ne plaira pas à tout le monde, mais qui a le mérite de faire réfléchir longtemps après le générique.

Sorti le 26 février 2025 au cinéma

 

Retour à l'accueil
Partager cet article
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
À propos
delromainzika

Retrouvez sur mon blog des critiques de cinéma et de séries télé du monde entier tous les jours
Voir le profil de delromainzika sur le portail Overblog

Commenter cet article