10 Avril 2025
Il y a des événements qui marquent profondément une communauté. Celui du naufrage du Bugaled Breizh, survenu le 15 janvier 2004 au large des côtes anglaises, en fait partie. Cinq marins bretons y ont laissé la vie dans des circonstances que beaucoup estiment encore obscures. La mini-série 37 Secondes, en six épisodes, choisit de s’y plonger en mêlant rigueur narrative, ancrage émotionnel et regard critique sur une affaire longtemps restée dans l’ombre. Il est impossible d’évoquer 37 Secondes sans rappeler le contexte réel qui l’a inspirée.
Le Bugaled Breizh n’était pas un navire inconnu dans sa région. Le jour où il a sombré, sans appel, sans appel de détresse, l’incrédulité a d’abord dominé. Puis le doute, la douleur, et surtout, l’absence de réponse claire. Le bateau a-t-il été victime d’une erreur humaine ? D’un défaut technique ? Ou, hypothèse évoquée dès les premières heures, d’un incident lié à la présence de sous-marins engagés dans une manœuvre militaire de l’OTAN ? Ces interrogations alimentent le fil narratif de la série, qui fait le choix de ne jamais pointer un responsable unique, mais de questionner, creuser, suggérer. Sans chercher à conclure, elle éclaire.
Dès les premiers épisodes, il est clair que le parti pris scénaristique repose sur l’humain. Marie Madec, personnage central incarné par Nina Meurisse, s'impose comme moteur de la narration. Belle-sœur d’un des disparus, elle devient peu à peu le visage de la lutte pour la vérité. Ce rôle de porte-voix, sans tomber dans la glorification, donne chair au combat des familles endeuillées. La construction narrative mêle avec finesse la reconstitution du drame maritime et les parcours intimes, parfois imaginés, des protagonistes. Ce mélange de réel et de fiction n’a pas pour objectif de tromper, mais plutôt de préserver l'identité des vrais témoins tout en permettant une exploration émotionnelle du drame.
Certains spectateurs peuvent être troublés par cette part de fiction, surtout lorsqu’elle prend la forme d’un destin personnel très romancé. Mais ce détour narratif ouvre aussi des espaces pour comprendre ce que vivent ceux qui restent. Sur six épisodes, la série alterne les moments d'enquête, les face-à-face judiciaires, les discussions intimes et les silences pesants. Ce rythme, parfois jugé lent, semble pourtant en accord avec l’histoire qu’elle raconte. Il y a dans ces lenteurs quelque chose de profondément vrai : l’attente, le blocage administratif, le temps judiciaire qui s’étire, les vies figées par le deuil et le doute.
Le réalisme social imprègne chaque plan. Les scènes de mer, les silences face aux paysages bretons, les regards échangés sans mots, tout contribue à cette ambiance particulière, presque contemplative, qui contraste avec la complexité technique du dossier judiciaire. Le casting donne à l’ensemble une cohérence importante. Nina Meurisse incarne avec justesse une femme en proie à la culpabilité, à la colère et à la détermination. Mathieu Demy, dans le rôle de l’avocat Christophe Costil, apporte une présence mesurée mais solide, nécessaire à l’équilibre de l’intrigue.
Autour d’eux, les seconds rôles proposent des performances inégales. Certains moments rappellent un jeu télévisuel trop figé, ce qui peut casser par endroits la tension dramatique. Mais ces failles restent mineures face à l’engagement général des comédiens principaux. La série ne cherche pas l’escalade dramatique. Elle opte pour une forme de sobriété qui sert parfaitement son sujet : une enquête rendue presque impossible par les blocages administratifs, le silence militaire, les non-dits d’État. Le terme de secret-défense revient régulièrement dans la bouche des protagonistes. Il devient un personnage à part entière, omniprésent, étouffant.
Ce choix de mise en scène interroge davantage qu’il n’accuse. Il pousse à réfléchir sur ce que les institutions choisissent de taire, même lorsque cela concerne des vies humaines. Le combat des familles devient ici un symbole de résistance face à des mécanismes d’invisibilisation bien rodés. L’une des forces de la série réside dans sa capacité à entrelacer des récits fictionnels avec un fond documentaire précis. Le travail de documentation se ressent dans les dialogues, dans les détails techniques abordés, notamment autour de l’expertise sous-marine. Certaines séquences, où les explications autour du fonctionnement des chaluts et des câbles sont évoquées, captivent par leur précision.
Cela dit, certains choix fictionnels peuvent diviser. La trajectoire personnelle de Marie Madec, par exemple, prend une place importante au fur et à mesure que les épisodes avancent. Ce glissement vers une dimension plus romanesque peut troubler ceux qui attendaient une série purement documentaire. Pourtant, cette orientation permet aussi d’aborder la manière dont un drame collectif se loge dans l’intimité de chacun. Ce qui émerge de ces six épisodes, c’est avant tout une sensation d’humanité. Les personnages ne sont pas des archétypes. Leurs failles, leurs contradictions, leurs hésitations sont visibles. Cela leur donne de la profondeur, mais aussi un aspect parfois déroutant.
Aucun héros ici, juste des personnes confrontées à l’absurde d’un drame sans réponse. Ce réalisme social, qui aurait pu alourdir le propos, donne au contraire un relief particulier au récit. Même si la fin est connue, chaque détour narratif redonne une impulsion nouvelle. Chaque obstacle judiciaire, chaque échange entre proches, chaque regard vers la mer raconte une forme de persévérance. Il serait injuste de ne pas évoquer la mise en scène. Sans jamais chercher l’effet, elle capte les silences, les gestes, les éléments. Les plans sur la mer, les falaises, les oiseaux deviennent des respirations, comme des points d’orgue dans une partition.
Ces moments visuels ajoutent une épaisseur au récit, lui donnent une texture particulière. Ils permettent aussi au spectateur de reprendre souffle, dans une histoire qui pourrait rapidement devenir étouffante. Ce qui se joue dans 37 Secondes dépasse le simple cadre du Bugaled Breizh. Il s’agit aussi d’une réflexion sur la mémoire collective, sur la manière dont certaines histoires s’éteignent si personne ne s’en saisit. La série ne prétend pas détenir la vérité. Elle montre des gens qui cherchent, qui se heurtent à des murs, qui tombent, qui recommencent. Elle honore leur démarche, sans les sanctifier.
C’est peut-être là que se trouve la justesse du projet : dans ce refus d’édulcorer, mais aussi dans cette retenue. Le ton reste sobre, même lorsque les émotions sont fortes. Pas de grand discours, pas de scènes démonstratives. Juste des fragments d’humanité. Regarder 37 Secondes, c’est s’exposer à des questions qui dérangent. C’est accepter de ne pas tout comprendre, de rester dans le doute, mais aussi de ressentir. La mini-série offre un point d’entrée vers une affaire qui mérite d’être connue, sans prétendre tout dire. Elle agit comme une passerelle entre un drame réel et la nécessité de le raconter encore.
À travers la figure de Marie, ce sont toutes les familles touchées qui trouvent une forme d’écho. À travers les lenteurs du récit, c’est le temps judiciaire qui se dessine. Et à travers le silence des institutions, c’est la place laissée à ceux qui refusent d’oublier.
Note : 8/10. En bref, 37 Secondes ne se regarde pas comme une série classique. Elle se vit comme un témoignage sensible, un éclairage partiel mais précieux, une invitation à ne pas refermer le livre trop vite. À ceux qui n’en avaient jamais entendu parler, elle tend une main. À ceux qui s’en souvenaient vaguement, elle ravive la mémoire. Et pour celles et ceux qui ont vécu l’attente, elle propose une reconnaissance discrète mais sincère.
Disponible sur Arte.tv
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