15 Avril 2025
Il m’arrive rarement de sortir d’une série avec un sentiment aussi partagé. Reunion, mini-série britannique en quatre épisodes diffusée en 2025 sur la BBC, m’a laissé à la fois intrigué et légèrement frustré. L’intention est noble, la mise en scène marquante, et certaines idées sont franchement bien pensées. Mais l’ensemble, malgré sa singularité, n’atteint pas le niveau d’excellence auquel j’aurais aimé assister. Il y a de la matière, un vrai fond, une direction artistique assumée, mais le tout manque parfois de liant et de clarté.
L’intrigue suit Daniel Brennan (interprété par Matthew Gurney), un ancien détenu sourd, libéré après avoir purgé une peine pour le meurtre d’un ami proche. Dès le départ, le ton est donné : l’univers sera sombre, introspectif, et rythmé par les non-dits. Daniel tente tant bien que mal de se réinsérer, confronté à une société qui ne l’attend pas et à des proches qui ne lui ont pas pardonné. Ce que j’ai trouvé intéressant, c’est la manière dont la série explore les retombées du crime, non seulement sur le coupable, mais aussi sur les victimes collatérales.
Christine (Anne-Marie Duff), veuve de l’homme tué, incarne cette douleur figée dans le temps, tout comme Miri (Rose Ayling-Ellis), leur fille, qui se débat entre mémoire, identité et loyauté. Carly (Lara Peake), la fille de Daniel, est elle aussi marquée par un père qu’elle ne reconnaît plus et un passé qui la hante. Ce jeu d’échos entre les deux familles, toutes deux en ruines à leur manière, structure la narration. C’est là que Reunion prend de la profondeur : dans sa manière de questionner ce qu’il reste après le chaos, dans ces tentatives souvent maladroites de recoller des morceaux irréparables.
L’ambition de la série ne fait aucun doute. William Mager, le créateur, signe une œuvre engagée, qui cherche à imposer une nouvelle manière de raconter, de montrer, de faire ressentir. En ce sens, c’est une réussite partielle mais notable. On est plongé dans le monde du silence, dans les angles morts de notre société, dans cette expérience sensorielle qui échappe aux normes habituelles de la télévision. La bande-son joue un rôle clé. Certaines scènes sont complètement muettes, d’autres envahies par des sons étouffés, comme si les oreilles du spectateur devenaient elles aussi défaillantes.
Ce parti-pris m’a semblé pertinent, même si à force, il finit par perdre un peu de son impact. Il y a une volonté claire de nous désorienter, de nous faire sentir la marginalisation du personnage principal. C’est souvent réussi, mais parfois au détriment de la fluidité du récit. J’ai ressenti à plusieurs moments une forme de distance émotionnelle. Non pas parce que les acteurs ne livrent pas une performance solide – au contraire, Gurney et Ayling-Ellis notamment sont très justes – mais parce que le rythme est souvent étiré, et que certaines scènes semblent plus préoccupées par le symbole que par la narration.
Le cœur du propos tourne autour de la communication. Et c’est là que j’ai rencontré une difficulté personnelle : en tant que spectateur entendant, j’ai trouvé l’usage permanent des sous-titres pour la langue des signes à la fois indispensable et… paradoxalement aliénant. Lire en permanence pour suivre les échanges entre sourds m’a empêché, à certains moments, de me connecter pleinement avec les personnages. C’est probablement volontaire. La série semble vouloir inverser les rôles : faire vivre, ne serait-ce qu’un peu, le quotidien d’un monde qui n’est pas pensé pour ceux qui n’entendent pas.
Ce décalage est puissant, mais il peut aussi freiner l’immersion. Je ne remets pas en cause le choix artistique – il est courageux – mais son impact sur l’engagement émotionnel est réel. J’aurais aimé me sentir plus proche de Daniel, alors même qu’il est censé être le pilier de cette histoire. Ce n’est pas une série qui prend le spectateur par la main. Et ce flou narratif, au départ intrigant, devient parfois un peu frustrant. Le passé de Daniel est distillé au compte-gouttes, et il faut attendre les derniers épisodes pour que les choses s’éclaircissent.
Certains personnages secondaires apparaissent puis disparaissent sans que leur rôle soit toujours clair. Il m’a fallu rester concentré pour ne pas décrocher, tant certaines transitions sont abruptes. La structure globale est dominée par l’ambiance, le ressenti, la tension sourde. On ne regarde pas Reunion pour ses rebondissements, mais pour ses silences, ses regards, ses pauses longues et lourdes. Cela fonctionne dans les scènes les plus intimes, notamment celles entre Daniel et Carly, où le langage des signes devient un pont fragile entre deux êtres brisés.
L’épisode final, en particulier, offre une émotion plus franche, comme si la série acceptait enfin de parler plus clairement. Le titre Reunion ne renvoie pas seulement à une réconciliation familiale. Il s’agit aussi, littéralement, d’une réunion d’anciens élèves, dans l’établissement où Daniel et la victime ont été scolarisés. C’est là que l’on découvre un pan plus sombre encore de l’histoire, lié à des abus systémiques et à des traumatismes profondément enfouis. Ce n’est pas le cœur de la série, mais ce fil narratif donne une perspective plus large à l’intrigue, révélant que les blessures de chacun trouvent souvent leur origine dans un environnement toxique.
Ce passage par le passé permet aussi de comprendre certains comportements, sans pour autant les excuser. Daniel n’est pas un personnage héroïque. Il porte ses fautes, ses secrets, sa violence contenue. Mais il n’est pas non plus un monstre. C’est cette ambiguïté que Gurney incarne avec force : le mutisme volontaire, les regards fuyants, les gestes retenus… tout participe à faire de lui un homme difficile à cerner, mais qu’on continue malgré tout à suivre. La série veut dire quelque chose – et elle le dit. Sur la surdité. Sur l’exclusion. Sur les failles des institutions. Sur les injustices ordinaires.
Mais parfois, ce message prend le dessus sur l’intrigue elle-même. Certains dialogues manquent de naturel, certaines scènes semblent construites pour illustrer un point plus que pour faire avancer l’histoire. Ce n’est pas rédhibitoire, mais cela rend l’ensemble un peu rigide par moments. Cela dit, je préfère une œuvre imparfaite mais sincère à une production formatée et tiède. Reunion a une voix, et même si elle est parfois bancale, elle mérite d’être entendue. Le casting, composé en grande partie d’acteurs sourds, est un choix fort, et le traitement sonore fait preuve d’une vraie créativité.
Il ne s’agit pas d’un gadget esthétique, mais d’un levier narratif à part entière. Malgré ses défauts, Reunion m’a touché. Peut-être pas de la manière dont elle l’aurait voulu. Je n’ai pas été constamment captivé. J’ai parfois décroché. J’ai eu du mal à m’attacher à certains personnages. Mais en même temps, je reconnais l’importance d’une telle série. Elle ouvre des portes. Elle dérange les habitudes. Elle force à prêter attention autrement. Elle propose une forme d’expression différente, plus visuelle, plus sensorielle.
Note : 6.5/10. En bref, malgré ses défauts, Reunion m’a touché. Peut-être pas de la manière dont elle l’aurait voulu. Je n’ai pas été constamment captivé. Ce n’est pas un chef-d’œuvre. Ce n’est pas non plus un raté. C’est une œuvre qui ose, qui essaie, qui ne réussit pas toujours mais qui persiste. Et c’est déjà beaucoup.
Prochainement en France
Disponible sur BBC iPlayer, accessible via un VPN
Les deux premiers épisodes de Reunion avaient été présentés lors du Festival Séries Mania 2025.
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