16 Octobre 2025
Bare Hands // De Mauro Mancini. Avec Alessandro Gassman, Renato Carpentieri et Francesco Gheghi.
Adapté du roman de Paola Barbato, Bare Hands (Mani Nude en version originale) marque le retour de Mauro Mancini, quatre ans après Non odiare. Avec ce deuxième long-métrage, le cinéaste italien s’attaque à un récit de violence et de rédemption, porté par deux acteurs d’envergure : Francesco Gheghi et Alessandro Gassmann. Le film impressionne par sa maîtrise visuelle et la densité de ses thèmes, mais perd peu à peu en intensité émotionnelle, comme s’il se débattait entre le drame intime et le spectacle de la cruauté.
Davide, 18 ans, est kidnappé, enfermé dans un camion et forcé de combattre un inconnu jusqu’à le tuer à mains nues. Il entre alors dans le monde des combats illégaux, devenant un combattant impitoyable, capable de tuer n’importe quel adversaire.
Transposer Mani Nude à l’écran n’avait rien d’évident. Le roman de Barbato, sombre et viscéral - que je vous conseille vivement -, explore les zones grises de l’âme humaine : la dépendance, la perte d’identité, la domination psychologique. Mancini choisit d’en faire un film d’enfermement et de survie, où la violence physique devient le reflet d’une violence intérieure. Le projet est ambitieux, mais la traduction cinématographique peine parfois à retrouver la puissance émotionnelle du texte. Le film s’ouvre sur un enlèvement brutal. Davide, adolescent de bonne famille interprété par Francesco Gheghi, est arraché à sa vie ordinaire pour être jeté dans un camion, puis dans une sorte de base clandestine.
Là, il découvre un univers fermé où des hommes sont forcés de s’affronter jusqu’à la mort, pour le plaisir de spectateurs anonymes et de parieurs sans scrupules. Ce décor lugubre, entre navire rouillé et carrière abandonnée, plonge le spectateur dans une atmosphère suspendue, hors du temps, presque mythologique. Au centre du film, il y a la transformation. Celle d’un garçon, Davide, qui devient un combattant, une machine façonnée par la peur et la douleur. Mancini filme ce glissement avec une froideur clinique, presque documentaire. Les affrontements ne sont pas glorieux ; ils sont secs, maladroits, suants. Chaque coup semble peser sur le corps du spectateur.
La photographie de Sandro Chessa, volontairement livide, accentue cette impression d’étouffement permanent. Les lumières virent du jaune brûlant au vert sale, comme si la chair et le métal se confondaient. Le jeune Francesco Gheghi livre ici une performance physique et émotionnelle d’une grande justesse. Son regard, à la fois apeuré et déterminé, traduit mieux que tout le reste cette lente désintégration de l’innocence. À ses côtés, Alessandro Gassmann incarne Minuto, un entraîneur brutal, mi-bourreau mi-mentor, qui éduque ses “chiens de combat” pour des affrontements clandestins.
Leur relation, ambiguë et dérangeante, constitue le cœur du film : entre eux se tisse un lien fait de haine, de paternité tordue et de besoin de survie. Bare Hands ne se contente pas d’exhiber la violence. Mancini tente d’en faire un langage moral, une métaphore de la chute et de la reconstruction. La souffrance devient ici un rite de passage, une façon d’affronter la culpabilité. Ce thème, déjà présent dans Non odiare, prend ici une tournure plus frontale. Davide, forcé de tuer pour vivre, apprend à se voir tel qu’il est : un être humain réduit à ses instincts les plus primitifs. Mais c’est aussi là que le film montre ses limites. À force de symboles et de métaphores visuelles, le récit perd parfois en cohérence.
Le scénario, coécrit par Mancini et Davide Lisino, avance par blocs, sans véritable progression dramatique. Après une première partie tendue et immersive, la deuxième moitié se disperse. L’apparition d’un personnage féminin (interprété par Fotinì Peluso) semble vouloir réorienter le récit vers une quête de lumière, mais la transition se fait de manière abrupte. Le film abandonne presque son cadre oppressant pour un drame plus introspectif, sans réussir à trouver le bon équilibre entre ces deux registres. Le travail formel de Mancini reste impressionnant. Chaque plan est calculé, chaque silence semble pesé. Pourtant, cette rigueur visuelle finit par créer une distance.
Bare Hands manque de ce souffle viscéral qui aurait pu faire vibrer la matière du film. La musique de Dardust, omniprésente, accentue cette sensation de saturation sonore. Elle cherche à amplifier l’émotion, mais finit par l’étouffer. Certaines scènes auraient gagné à respirer davantage, à laisser place au silence, au tremblement du réel. Il faut néanmoins saluer la cohérence esthétique du projet. Mancini filme la douleur comme une matière, la transforme en texture. Le sang, la sueur, la poussière deviennent presque des personnages à part entière. Ce réalisme sensoriel, parfois difficile à supporter, correspond parfaitement à la logique de déshumanisation du récit.
C’est là que Bare Hands trouve sa force : dans son refus de détourner le regard. Si le scénario manque de souffle, les interprètes rattrapent beaucoup. Francesco Gheghi, déjà remarqué à Venise dans Familia, confirme ici son talent. Il porte le film sur ses épaules, habité par une intensité rare chez un acteur de son âge. Gassmann, plus intériorisé, compose un personnage marqué par la culpabilité et la fatigue. Entre eux, il ne s’agit pas d’un simple rapport de pouvoir : c’est une relation de miroir, où chacun reflète la part sombre de l’autre. Cette tension constante donne au film une énergie brute, presque animale. C’est dans leurs regards, plus que dans les dialogues, que se jouent les véritables combats.
Quand les mots disparaissent, Bare Hands devient enfin ce qu’il promet : une confrontation entre humanité et monstruosité, entre le désir de vivre et la peur de soi-même. Au-delà de sa brutalité apparente, Bare Hands cherche à questionner la nature humaine. Que reste-t-il de l’homme quand tout ce qui le définit — morale, identité, amour — lui est arraché ? Mancini aborde ces questions avec sérieux, mais aussi avec un certain déséquilibre. L’ensemble oscille entre puissance et maladresse, entre ambition et frustration. Là où le roman de Barbato plongeait profondément dans les méandres psychologiques de ses personnages, le film reste à la surface, préférant le choc des images à la complexité des émotions.
Ce n’est pas un échec total, mais un projet qui manque de justesse. Le potentiel est là, évident, mais la mise en scène ne parvient pas toujours à le canaliser. Bare Hands est un film fort par ses intentions, parfois faible dans son exécution. Mauro Mancini signe une œuvre sincère, violente et imparfaite, où la chair et l’esprit s’entrechoquent sans toujours se comprendre. Il y a du courage dans cette approche, un vrai désir de cinéma, mais aussi une retenue qui empêche le film de devenir bouleversant. Malgré ses failles, l’expérience reste marquante, notamment grâce à Francesco Gheghi, bouleversant dans sa transformation.
Note : 5.5/10. En bref, Bare Hands n’est peut-être pas le coup de poing espéré, mais il laisse une trace : celle d’un cinéma italien qui ose encore parler de l’humain à mains nues.
Prochainement en France en SVOD
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