Critique Ciné : Beast of War (2025, direct to VOD)

Critique Ciné : Beast of War (2025, direct to VOD)

Beast of War // De Kiah Roache-Turner. Avec Mark Coles Smith, Sam Delich et Sam Parsonson.

 

Après les araignées dans les immeubles de Sydney (Sting), Kiah Roache-Turner s’attaque cette fois à la Seconde Guerre mondiale avec Beast of War. L’idée peut sembler saugrenue : un film de guerre australien avec un requin géant affamé. Et pourtant, le résultat, même inégal, possède une vraie personnalité. Le film s’ouvre sur une poignée de jeunes soldats australiens tout juste sortis de l’entraînement. À peine ont-ils le temps de comprendre ce que signifie être en mission que leur navire est attaqué par des bombardiers ennemis. Les survivants se retrouvent dérivant sur des débris, perdus en pleine mer, sans espoir d’aide. 

 

1942, des soldats australiens s'échouent en pleine mer. Sur leur radeau de fortune, ils deviennent la proie d'un grand requin blanc.

 

À ce stade, Beast of War prend la forme d’un drame de survie classique : un groupe, la peur, la faim, et cette tension sourde entre ceux qui veulent garder espoir et ceux qui lâchent prise. Mais Roache-Turner ne s’en tient pas à l’exercice du film de guerre. Très vite, le danger vient aussi d’en dessous. Dans ces eaux troubles rôde une créature massive, un requin mécanique d’une crédibilité rare à l’écran, résultat de véritables effets pratiques. C’est là que le film bifurque, passant du réalisme des combats à une atmosphère de cauchemar. Le réalisateur s’inspire librement de faits réels – le naufrage de l’HMAS Armidale en 1942 – tout en injectant une dose de fantastique qui transforme ce drame historique en fable maritime poisseuse.

 

Beast of War alterne entre tension pure et touches d’humour noir. Roache-Turner filme la survie comme un mélange de désespoir et de dérision, à mi-chemin entre Les dents de la mer et un film d’exploitation des années 70. Le ton est curieux : jamais vraiment réaliste, mais pas non plus complètement absurde. Ce déséquilibre, parfois déroutant, participe à l’identité du film. On sent que le cinéaste s’amuse à brouiller les pistes : le danger est autant psychologique que physique, et le vrai monstre n’est peut-être pas celui qu’on croit. Mark Coles Smith incarne Leo, un soldat marqué par un traumatisme lié à la mer. C’est un homme qui veut bien faire, protecteur malgré la peur. L’acteur apporte une vraie densité émotionnelle au récit. 

 

À ses côtés, Joel Nankervis (Will) et Sam Delich (Des) incarnent deux figures opposées : l’innocence et la colère. Le trio fonctionne bien, donnant au film une dimension humaine qui empêche l’ensemble de sombrer dans la caricature.  Le véritable exploit de Beast of War se situe dans son approche visuelle. Le requin est une réussite en animatronique. Roache-Turner choisit d’en montrer peu, préférant jouer sur la suggestion et la menace invisible. Le spectateur sent sa présence plus qu’il ne la voit, et quand la créature surgit enfin, le choc est réel. Pas besoin d’effets numériques agressifs : le concret reprend ici toute sa force. Le directeur photo Mark Wareham enveloppe tout ça d’une esthétique gothique étonnante pour un film de guerre. 

 

La brume, omniprésente, sert à la fois d’écran et de piège visuel. Elle isole les soldats du monde extérieur, accentuant l’impression de cauchemar. Les plans, parfois légèrement désaxés, traduisent la désorientation permanente des personnages. Même les moments de calme semblent chargés d’une menace sourde. Ce mélange d’univers – guerre, horreur, fantastique – donne à Beast of War une saveur particulière. Roache-Turner ne cherche pas la vraisemblance absolue. Il préfère explorer la folie des hommes plongés dans une situation absurde. La guerre elle-même devient un décor de film d’horreur, où la mort vient de partout : du ciel, de la mer, des autres.

 

L’un des points les plus intéressants du film est la manière dont il traite la peur comme un virus collectif. À mesure que les jours passent, la paranoïa gagne les survivants, les pousse à la violence et au désespoir. L’ennemi invisible – qu’il soit humain ou animal – agit comme un révélateur de leurs failles. En cela, Beast of War se rapproche plus d’un drame psychologique que d’un simple film de monstre. Mais si Beast of War intrigue et parvient souvent à maintenir la tension, il montre aussi ses limites. Le film semble parfois hésiter entre plusieurs directions : thriller de survie, satire de guerre, film d’horreur gothique… Ce mélange fonctionne par moments, mais finit aussi par diluer l’impact émotionnel. 

 

Certaines séquences paraissent décousues, d’autres un peu forcées. Le rythme, surtout dans le dernier tiers, s’essouffle, et l’écriture aurait mérité un resserrage pour donner plus de relief à la conclusion. L’humour, parfois bienvenu, tombe aussi à plat sur quelques répliques. Et si le ton décalé permet de se démarquer du film de guerre traditionnel, il empêche parfois de ressentir pleinement la gravité des situations. Visuellement, malgré la réussite de la photographie et du requin mécanique, le film trahit par instants son budget limité. Les décors en studio et la répétition des plans sur l’eau réduisent un peu la sensation d’espace et d’immersion. 

 

Cela dit, dans le cadre d’un projet de ce type, la mise en scène reste solide et inventive. Beast of War n’est ni un grand film de guerre, ni un pur film d’horreur. C’est un objet hybride, à mi-chemin entre le film de survie et la série B assumée. Mais cette singularité fait aussi son charme. Roache-Turner livre un spectacle sincère, parfois maladroit mais jamais cynique. Il y a une vraie générosité dans sa mise en scène, et un plaisir évident à jouer avec les codes. Le film rappelle aussi à quel point le cinéma de genre australien reste vivace, capable de proposer des visions originales sans tomber dans le tout-numérique. Entre sang, brouillard et métal, Beast of War offre une expérience sensorielle honnête, parfois bancale mais rarement ennuyeuse.

 

Entre réalisme poisseux et délire maritime, Beast of War navigue à vue mais garde le cap d’un cinéma de genre libre et viscéral. Kiah Roache-Turner ne signe pas son film le plus abouti, mais sans doute le plus étrange et le plus personnel. Un film de guerre où le véritable ennemi n’est pas toujours celui qu’on attend, et où la peur, qu’elle vienne des profondeurs ou des hommes, finit toujours par tout engloutir.

 

Note : 6.5/10. En bref, entre réalisme poisseux et délire maritime, Beast of War navigue à vue mais garde le cap d’un cinéma de genre libre et viscéral. Kiah Roache-Turner signe sans doute son film le plus étrange et le plus personnel.

Prochainement en France en SVOD

 

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