Critique Ciné : Happyend (2025)

Critique Ciné : Happyend (2025)

Happyend // De Neo Sora. Avec Hayato Kurihara, Yukito Hidaka et Ayumu Nakajima.

 

Il y a des films qui cherchent à réveiller une génération, à interroger la jeunesse face à l’autorité, à transformer la colère en poésie. Happyend, premier long-métrage de Neo Sora, ambitionne clairement de faire partie de ceux-là. Fils du célèbre compositeur Ryūichi Sakamoto, Sora se glisse dans un terrain miné : celui du film d’anticipation social, à mi-chemin entre la dystopie et le drame adolescent. Mais si Happyend réussit parfois à capturer l’intimité fragile de ses personnages, il s’égare aussi dans un faux rythme et une mise en scène trop sage pour son propos. 

 

Tokyo, dans un futur proche où plane la menace constante d'un séisme ravageur. Yuta et Kou, deux amis inséparables s’amusent à perturber l’ordre établi de leur lycée. Après un mauvais coup de trop, la direction du lycée déclenche des représailles et met l'établissement sous le contrôle d’une IA de surveillance. Dans un climat de suspicion généralisé, la relation entre les deux amis est mise à l'épreuve : l’un choisit l’indifférence, l’autre la révolte.

 

L’intention est forte, le geste sincère, mais le résultat reste souvent plus théorique qu’émotionnel. Le film se déroule dans un futur proche, au Japon, alors que le pays vit dans l’attente du « grand tremblement de terre du siècle ». Sous couvert de prévention et de sécurité, les libertés individuelles se réduisent. Dans les écoles, les élèves sont constamment observés, filmés, évalués. C’est dans ce climat de paranoïa douce que Yuta (Hayato Kurihara) et Kou (Yukito Hidaka), deux camarades inséparables, voient leur amitié mise à l’épreuve. Leur lycée devient le théâtre d’une micro-révolte, où le simple fait de désobéir, de parler, ou même de rêver librement, devient un acte de résistance.

 

Le concept est fort. Il résonne avec une génération japonaise — et plus largement mondiale — en perte de repères, coincée entre la peur du futur et le besoin d’émancipation. Sora ne s’y trompe pas : il fait de cette école un microcosme du Japon contemporain, traversé par la peur, la surveillance et le conformisme. Mais si la métaphore fonctionne sur le papier, à l’écran, elle s’étire parfois jusqu’à la perte d’énergie. Le film avance lentement, trop lentement peut-être, comme si la mise en scène hésitait à assumer pleinement la révolte qu’elle filme. Happyend n’est pas un film d’action ni une dystopie spectaculaire. C’est une fable douce-amère sur l’adolescence, la loyauté et la désobéissance. 

 

Là où un autre réalisateur aurait sans doute misé sur la tension ou le chaos, Neo Sora préfère l’intériorité. Ses jeunes héros ne cassent pas tout : ils observent, doutent, se trompent, puis finissent par agir — timidement, maladroitement, mais sincèrement. Cette approche fonctionne par moments, surtout quand le film se concentre sur les émotions contradictoires de Yuta et Kou. Leurs gestes hésitants, leurs colères contenues, leurs silences disent beaucoup sur le passage à l’âge adulte dans une société qui prône l’ordre avant tout. Il y a dans Happyend une vraie empathie pour ces adolescents perdus, tiraillés entre l’envie de plaire et le besoin de s’affirmer.

 

Mais là encore, le film peine à maintenir cet équilibre fragile entre intimité et politique. À trop vouloir jouer sur les deux tableaux, il finit par manquer de relief. Les dialogues sont souvent plats, les scènes de groupe manquent de rythme, et les moments de tension tombent à plat. Ce qui rend Happyend intéressant, c’est peut-être son regard un peu décalé. Neo Sora, né au Japon mais détenteur de la nationalité américaine, filme son pays comme un étranger qui le redécouvre. Cette distance donne au film une tonalité hybride, entre réalisme local et influence occidentale. 

 

On sent l’inspiration de cinéastes comme Edward Yang ou Tsai Ming-Liang dans la manière de filmer les corps et les silences, mais aussi celle de Shinji Sōmai dans la mélancolie adolescente. Les références sont assumées, parfois trop : Happyend cite ses influences sans toujours parvenir à se les approprier. Visuellement, le film est élégant. L’image, souvent froide et épurée, souligne l’enfermement de ces jeunes dans un monde aseptisé. Mais cette beauté plastique crée aussi une distance : tout est propre, contrôlé, mesuré. Même la révolte semble chorégraphiée. C’est là que Happyend perd un peu de sa force : son esthétique, si maîtrisée, finit par neutraliser son émotion.

 

Le duo central, formé par Hayato Kurihara et Yukito Hidaka, fonctionne bien. Leurs interprétations sont sobres, souvent justes, et traduisent cette confusion propre à l’adolescence. Shiro Sano, dans le rôle du proviseur autoritaire, apporte une présence inquiétante, presque fantomatique. Mais ces bonnes performances sont parfois étouffées par un rythme trop lent et une mise en scène trop cérébrale. Certaines séquences donnent l’impression de tourner en boucle, sans progression dramatique claire. Le film aurait gagné à lâcher un peu prise, à se laisser emporter par l’émotion plutôt que par le concept. La musique, discrète mais sensible, renforce le sentiment d’enfermement et de mélancolie. 

 

On devine l’héritage artistique du père du réalisateur, mais Neo Sora n’en fait jamais un argument. C’est subtil, parfois trop. Sur le fond, Happyend parle de sujets essentiels : la surveillance, la peur, le contrôle social, la xénophobie latente. Sora esquisse le portrait d’une jeunesse qui refuse de se taire, même dans un système verrouillé. Le film interroge aussi la transmission, la mémoire collective et la manière dont une société gère ses traumatismes — naturels ou politiques. Pourtant, cette richesse thématique ne se traduit pas toujours en émotion. Le film reste souvent en surface, prisonnier de son concept. Il a beau vouloir libérer la parole, il reste figé dans une forme trop intellectuelle, presque distante.


On ressort de la séance avec l’impression d’avoir assisté à une belle idée… mais pas à une histoire pleinement incarnée. Happyend est un premier film prometteur, traversé de belles intentions, mais freiné par sa propre retenue. Neo Sora signe une œuvre à la fois personnelle et consciente, qui cherche à penser la jeunesse japonaise autrement. Son regard mêle douceur, inquiétude et lucidité, mais peine à trouver le ton juste entre émotion et démonstration. Il y a quelque chose d’hypnotique dans cette atmosphère suspendue, mais aussi de frustrant dans ce refus d’aller au bout. Le film interroge la liberté, mais semble parfois avoir peur de la prendre lui-même.

 

Note : 6/10. En bref, un long-métrage intéressant sur le papier, esthétiquement maîtrisé, mais émotionnellement trop sage. 

Sorti le 1er octobre 2025 au cinéma

 

Retour à l'accueil

Partager cet article

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
À propos
delromainzika

Retrouvez sur mon blog des critiques de cinéma et de séries télé du monde entier tous les jours
Voir le profil de delromainzika sur le portail Overblog

Commenter cet article