Critique Ciné : Moso (2025, Ciné+ OCS)

Critique Ciné : Moso (2025, Ciné+ OCS)

Moso // De Edgar Marie. Avec Audrey Pirault, Paul Deby et Constantin Vidal.

 

Il y a des films qui savent où ils vont, et d’autres qui semblent s’égarer dès le premier plan. Moso, le nouveau long-métrage d’Edgar Marie, se situe quelque part entre les deux : un thriller à la fois ambitieux et bancal, un film de vengeance au parfum de bambou et de sang séché, qui veut bousculer les codes sans vraiment savoir comment s’y prendre. L’idée est forte, le concept intrigant, mais le résultat reste coincé entre deux tiges. Le film s’ouvre sur une scène de fête, moite et étouffante. Une jeune femme, Iris (Sophie Maréchal), est portée par la foule dans un moment de transe qui tourne peu à peu au malaise. 

 

Un dimanche en début d’après-midi, Victor, Sam et Jules se réveillent brusquement et découvrent qu’ils sont attachés au sol dans une forêt. Une jeune femme débarque. Eve les accuse d’être responsables de la disparition de sa sœur, Iris, durant la soirée qu’ils ont passée tous ensemble la veille. Eve veut à tout prix connaître la vérité. Elle a planté des pousses de bambou d’un type particulier, les Moso. Ceux-ci poussent d’un mètre vingt en 24 heures. Les trois hommes doivent absolument passer aux aveux s'ils ne veulent pas être empalés.

 

Le lendemain, elle a disparu. Sa sœur, Eve (Audrey Pirault), refuse la version officielle et décide de mener sa propre enquête. Très vite, trois hommes apparaissent comme les suspects idéaux : un barman et deux amis fêtards, au comportement plus que douteux. Sauf qu’Eve n’est pas une victime ordinaire. Spécialiste du bambou – le fameux “moso”, plante à croissance fulgurante – elle va s’en servir d’une façon pour le moins… inventive. Ligotés dans une clairière, ses trois suspects se retrouvent au-dessus d’un sol où le bambou pousse à vue d’œil, prêt à les transpercer lentement. La nature devient juge, bourreau, et instrument d’une vengeance que l’héroïne pense juste.

 

Sur le papier, difficile de ne pas être intrigué : une vengeance féminine, un décor forestier inquiétant, et un concept aussi cruel que symbolique. Sur l’écran, en revanche, la tension retombe plus vite qu’un bambou mal arrosé. Douze ans après Le Jour attendra, Edgar Marie signe ici son deuxième long-métrage. Entre-temps, il avait participé à l’écriture de Braquo et Les Lyonnais, deux œuvres marquées par une violence sèche et un goût pour les zones grises de la morale. Avec Moso, il reprend ces thèmes, mais tente d’y injecter une dimension féminine et écologique. L’intention est louable : parler de la prédation masculine, du rapport au corps, et de la vengeance comme ultime acte de libération. 

 

Mais à trop vouloir styliser son propos, le film s’épuise. Le cinéaste semble plus fasciné par la symbolique du bambou que par ses personnages, qui peinent à exister au-delà de leurs archétypes. Eve, l’héroïne vengeresse, oscille entre détermination et folie, sans qu’on sache vraiment ce qui la motive au fond. Les trois hommes, eux, sont plus caricaturaux que menaçants : l’un est lâche, l’autre arrogant, le dernier complètement effacé. Quant aux flashbacks censés éclairer la disparition d’Iris, ils sont trop mécaniques pour provoquer la moindre émotion. Résultat : un scénario qui tourne en rond, une mise en scène qui cherche le choc sans jamais le trouver.

 

Moso est vendu comme un revenge movie audacieux, mais il peine à assumer ce statut. L’horreur ici ne vient pas tant du gore ou de la torture que du comportement des hommes dans les souvenirs d’Iris. Ce choix aurait pu donner une vraie profondeur psychologique, si la narration n’était pas aussi hachée. Le montage, alternant flashbacks et séquences dans la forêt, donne l’impression d’un puzzle mal assemblé. L’idée de départ – inverser les rôles et faire d’une femme le bourreau – perd de son impact à force d’être surlignée. Là où Moso aurait pu faire mal, il se contente de caresser la symbolique dans le sens du poil. 

 

Visuellement, Edgar Marie mise tout sur une esthétique rougeâtre, presque clipesque, pour masquer un budget visiblement limité.  Les ralentis s’enchaînent, la caméra s’attarde sur les visages en souffrance, et la bande-son appuie chaque émotion au marteau. Par moments, on se croirait dans une publicité pour parfum post-apocalyptique. C’est stylé, oui, mais ça sonne creux. On sent le manque de moyens, mais aussi le manque de rythme. Même la scène centrale, celle du “supplice du bambou”, finit par paraître interminable. Une idée brillante qui devient statique à l’écran – un comble pour un film censé évoquer la montée de la colère et la poussée de la vengeance.

 

Là où Moso touche juste, c’est dans son propos. En montrant des hommes incapables d’assumer leurs actes, et une femme qui reprend le contrôle par la violence, le film dit quelque chose de notre époque. Il rappelle que la prédation masculine se cache souvent derrière la banalité du quotidien. Edgar Marie n’a pas peur de montrer la lâcheté, la peur, et la culpabilité comme des moteurs dramatiques. Mais ce message se perd dans une écriture trop démonstrative. Le film veut dénoncer, provoquer, choquer – mais il ne fait ni l’un ni l’autre. La tension dramatique s’étiole à mesure que les personnages parlent ou gémissent dans la forêt. Les dialogues, parfois un peu forcés, finissent de désamorcer toute émotion.

 

La photographie, quant à elle, est sans doute la plus belle réussite du film. Le travail sur les lumières et les décors naturels donne une vraie identité visuelle à Moso. L’équipe des effets spéciaux mérite aussi d’être saluée : les scènes où le bambou transperce le sol sont impressionnantes malgré la modestie des moyens. Si seulement le scénario avait eu autant de punch… Difficile de sortir de Moso sans une impression de frustration. Le film possède tous les ingrédients d’un bon thriller : une idée originale, une héroïne forte, un décor inquiétant. Mais tout semble sous-exploité. La vengeance, censée être viscérale, devient théorique. L’émotion, censée exploser, reste contenue.

 

Edgar Marie tente d’allier réflexion sociale et tension horrifique, mais il finit par se perdre entre les deux. À force de vouloir être à la fois cérébral et viscéral, Moso n’est ni vraiment intellectuel, ni vraiment dérangeant. Le film aurait gagné à être plus cru, plus direct, plus sale même. Au lieu de ça, il reste poli – ce qui, pour un revenge movie, est presque une faute. Moso avait tout pour être un petit choc : un huis clos oppressant, un concept ingénieux et une héroïne vengeresse fascinante. Mais le résultat s’étire et s’affadit, comme une tige qui pousse sans jamais percer le sol. Visuellement soigné mais émotionnellement vide, le film d’Edgar Marie déçoit autant qu’il intrigue. 

 

Note : 4.5/10. En bref, il y a de bonnes intentions, une vraie envie de dire quelque chose, mais la forme finit par étouffer le fond. A la fin du film, difficile de ne pas penser que Moso aurait mérité un peu plus de sève, un peu moins de pose. Une vengeance, ça se vit à vif – pas au ralenti.

Sorti le 3 octobre 2025 directement sur Ciné+ OCS

 

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