15 Octobre 2025
Il y a quelque chose de fascinant dans ces séries familiales où l’héritage devient un champ de bataille. Quand j’ai lancé The Heritage (Scheda en version originale), nouvelle production polonaise de HBO Max, j’avais envie d’y voir une sorte de Succession à la sauce baltique. Le point de départ semblait parfait : la mort d’un patriarche autoritaire, une fratrie en guerre, un testament qui redistribue les cartes, et un port noyé dans la brume. Après sept épisodes, mon sentiment est plus nuancé. The Heritage a des moments d’intensité réelle, une atmosphère singulière et un vrai regard sur la Pologne contemporaine, mais elle peine à maintenir son cap.
Entre deux épisodes très moyens et un ventre mou au milieu de la saison, la série ne parvient pas toujours à tenir ses promesses. Tout commence sur les côtes de la Baltique, à Hel. Le corps sans tête d’un vieil homme est retrouvé flottant près du port. Très vite, on comprend qu’il s’agit de Jan Mróz, ancien marin respecté et figure locale. Ses trois enfants — Paweł, Hanka et Maciek — reviennent pour les funérailles. Ce retour forcé au foyer familial fait remonter les rancunes et les blessures qu’ils pensaient enfouies. Ce que j’ai aimé dans ce début, c’est la promesse d’un drame intime ancré dans un territoire. Le vent, les bateaux, la mer grise : tout semble chargé de souvenirs.
Sauf que les deux premiers épisodes m’ont laissé sur ma faim. La mise en place est lourde, les dialogues sonnent parfois forcés, et la série semble hésiter entre drame psychologique et polar traditionnel. Il faut attendre le troisième épisode pour que l’ensemble trouve enfin son ton : moins démonstratif, plus introspectif. À partir de là, The Heritage cesse de courir après Succession et commence à exister pour ce qu’elle est vraiment — une autopsie d’un héritage moral et affectif, dans une société où l’autorité paternelle reste un repère ambigu. Jan Mróz, bien qu’absent, règne sur toute la série. À travers des flashbacks bien intégrés, on découvre un homme charismatique, brutal, persuadé d’agir pour le bien de sa famille.
J’ai trouvé que cette figure du père manquait parfois de nuance, surtout au début, mais le scénario finit par la complexifier. On réalise peu à peu qu’il n’est ni monstre ni héros, juste un homme incapable d’aimer autrement que par le contrôle. Ce portrait, typiquement polonais dans son rapport à la tradition et à la virilité, donne à la série un fond intéressant. Ce n’est pas un hasard si les enfants, chacun à leur manière, reproduisent ses erreurs : Paweł, le politicien local, veut restaurer la respectabilité familiale ; Hanka, la sœur, reprend la dureté du père ; et Maciek, le plus jeune, fuit sans jamais vraiment partir. Leur héritage n’est pas une maison ni de l’argent : c’est un mode de fonctionnement, une incapacité à se libérer de l’emprise paternelle.
C’est là que The Heritage touche juste. Là où la série pêche, c’est dans sa narration. Les épisodes un et deux peinent à captiver : trop d’exposition, pas assez de tension. Puis les épisodes trois et quatre atteignent un vrai équilibre — la série devient prenante, presque hypnotique. Le cinquième, en revanche, marque un essoufflement : les intrigues secondaires s’étirent, les dialogues s’enlisent, et l’énergie initiale retombe. C’est dommage, car la réalisation de Barbara Białowąs et Tomasz Naumiuk (déjà connu pour son travail de chef opérateur sur The Coldest Game) est solide. La mise en scène, très sensorielle, tire parti de la lumière grise du nord et de l’humidité omniprésente.
Les plans sur la mer, le vent, les bateaux sont superbes, mais parfois trop insistants. J’ai eu le sentiment qu’on me montrait la mélancolie au lieu de me la faire ressentir. La comparaison avec Succession revient souvent, et c’est compréhensible : même combat d’ego, mêmes luttes pour l’héritage symbolique. Sauf qu’ici, l’écriture n’a pas la même acuité. Là où Succession mord, The Heritage effleure. On sent la volonté d’en faire un drame social et psychologique fort, mais la série manque d’ironie et de rythme. Malgré ces réserves, il faut reconnaître à The Heritage une qualité rare : son ancrage géographique. La péninsule de Hel devient un personnage à part entière. Le vent, la pluie, la brume, les goélands : tout respire la fatigue et la beauté rugueuse du nord.
La photographie est splendide — des tons bleus, gris et bruns qui traduisent parfaitement le poids de la culpabilité. Le travail sur la lumière naturelle est remarquable : souvent, un simple rayon sur une vitre suffit à exprimer ce que les personnages taisent. C’est cette immersion visuelle qui m’a tenu, même dans les moments de creux. J’ai aussi aimé la bande originale, discrète et texturée, qui mêle sons marins et cordes étouffées. Tout concourt à installer une ambiance trouble, entre rêve et cauchemar éveillé. Côté interprétation, le casting est solide, sans être éblouissant. Magdalena Popławska (Hanka) livre une performance sobre, d’une grande justesse.
On sent dans son regard la lassitude d’une femme qui a tout donné pour maintenir une unité impossible. Grzegorz Damięcki (Paweł) joue bien l’ambiguïté du politicien pris au piège de sa propre image, même si son arc narratif reste un peu trop prévisible. Quant à Bartosz Gelner (Maciek), il incarne à merveille la fragilité du fils prodigue — celui qui voudrait s’émanciper sans oser rompre définitivement. Le problème, c’est que la direction d’acteurs manque parfois de précision. Certaines scènes de confrontation sonnent étrangement mécaniques, comme si chacun jouait sa partition sans vraiment écouter l’autre. Cela participe au côté inégal du récit : de très belles séquences cohabitent avec d’autres franchement maladroites.
Malgré la présence d’un corps mutilé dès le premier épisode, The Heritage n’est pas un vrai thriller. Le mystère du meurtre n’est qu’un prétexte à explorer la mémoire familiale. Ceux qui espèrent une enquête haletante risquent d’être déçus : la série préfère les non-dits aux révélations. Personnellement, j’ai apprécié ce choix — même si le scénario aurait gagné à mieux doser ses lenteurs. Le thème du poids de l’héritage, qu’il soit matériel ou moral, est bien traité. Les flashbacks, loin d’être gratuits, éclairent les traumatismes avec pudeur. Mais encore une fois, le rythme empêche The Heritage d’atteindre le niveau des grandes séries HBO. Le ventre mou du milieu de saison casse la tension, et la fin, bien que correcte, arrive presque par obligation.
On a l’impression que la série s’essouffle avant d’avoir livré tout ce qu’elle promettait. Malgré ses faiblesses, The Heritage reste une expérience intéressante. J’y ai trouvé une sincérité : celle d’une fiction qui parle de ce qu’on transmet malgré soi. Ce n’est pas une série spectaculaire, ni une leçon de mise en scène, mais un miroir honnête de la complexité des liens familiaux. Là où beaucoup de drames européens se perdent dans le symbolisme, celui-ci garde les pieds dans la boue, dans le sel, dans la réalité des relations humaines. Il y a de la douleur, mais aussi de la tendresse sous-jacente. Et même si tout n’est pas maîtrisé, je préfère une série imparfaite mais habitée à un produit trop lisse. The Heritage échoue parfois, mais toujours avec de bonnes intentions.
The Heritage m’a laissé une impression paradoxale : frustrante, mais attachante. Par moments, j’ai eu envie d’abandonner, puis une scène, un plan, un silence me rattrapaient. C’est une série à la fois maladroite et habitée, qui dit beaucoup sur la difficulté d’exister après un père trop présent. Si Succession est un sabre affûté, The Heritage est un couteau émoussé : il coupe moins bien, mais il laisse des traces plus profondes.
Note : 5.5/10. En bref, pas un chef-d’œuvre, pas un ratage non plus — juste une série honnête, rugueuse, qui a le mérite d’exister à contre-courant des productions formatées.
Disponible sur HBO max
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