23 Janvier 2025
Nosferatu // De Robert Eggers. Avec Lily-Rose Depp, Nicholas Hoult et Bill Skarsgård.
Robert Eggers, cinéaste à l’esthétique soignée et au goût prononcé pour les récits sombres, a relevé un défi ambitieux en s’attaquant à un monument du cinéma : Nosferatu. Plus d’un siècle après le chef-d’œuvre expressionniste de F. W. Murnau, Eggers propose une relecture qui, tout en rendant hommage à l’original, cherche à y apposer sa signature visuelle et narrative. Si cette version contemporaine regorge d’idées et de moments de pure beauté, elle souffre toutefois de certains déséquilibres qui en atténuent l’impact global. Dès les premières minutes, l’empreinte stylistique d’Eggers se fait sentir. La photographie, magistrale, évoque des tableaux vivants où chaque détail est minutieusement composé.
Nosferatu est une fable gothique, l’histoire d’une obsession entre une jeune femme tourmentée et le terrifiant vampire qui s’en est épris, avec toute l’horreur qu’elle va répandre dans son sillage.
Les jeux de lumière et d’ombre, omniprésents, plongent le spectateur dans une atmosphère gothique qui amplifie l’aspect cauchemardesque du récit. Les scènes nocturnes, quasi monochromes, rappellent le noir et blanc granuleux du Nosferatu de 1922, tout en y ajoutant une touche de modernité qui fait écho à l’univers onirique du réalisateur. Le travail sur le clair-obscur, associé à des plans-séquences qui flottent entre les personnages, crée une immersion totale. Eggers joue habilement avec les textures visuelles pour évoquer un monde à la frontière du réel et du surnaturel. Cette approche donne naissance à un conte horrifique où beauté et horreur cohabitent sans cesse.
Cependant, cette virtuosité visuelle, bien que saisissante, a tendance à prendre le pas sur l’émotion. La beauté des images semble parfois éclipser la profondeur narrative, comme si le film était davantage une démonstration de savoir-faire qu’une histoire viscéralement engageante. Le personnage central de Nosferatu, le comte Orlok, est ici interprété par Bill Skarsgård. Connu pour ses rôles marquants dans des films d’horreur, l’acteur se glisse dans la peau du célèbre vampire avec un mélange de monstruosité et de vulnérabilité. Pourtant, cette version du comte divise. Reprenant l’apparence grotesque du vampire original, Eggers y ajoute une dimension plus barbare, presque bestiale, qui tranche avec l’élégance inquiétante à laquelle le genre nous avait habitués.
Si cette approche audacieuse a le mérite de surprendre, elle peut aussi dérouter. Le vampire de Skarsgård, avec son allure proche d’un "monstre de foire" ou d’un catcheur, brouille les codes établis du mythe. Ce choix esthétique semble en partie motivé par un désir d’attirer une nouvelle génération de spectateurs, mais il risque d’aliéner ceux qui attendent une figure plus conforme à l’iconographie classique de Dracula. En conséquence, ce Nosferatu paraît parfois trop excentrique pour convaincre pleinement. Dans le rôle d’Ellen, Lily-Rose Depp livre une performance mémorable. Son personnage, tiraillé entre pureté et perversion, navigue dans un registre difficile où le danger et l’étrangeté se mêlent constamment.
Elle incarne cette femme tourmentée avec une intensité discrète, transcendant le carcan moralisateur de son rôle pour en faire une figure fascinante. Son jeu évoque les grandes interprétations féminines du cinéma gothique, notamment celle d’Isabelle Adjani dans le Nosferatu de Werner Herzog. Mais Lily-Rose Depp apporte une singularité supplémentaire : une étrangeté presque éthérée, qui amplifie la dimension surnaturelle de ses scènes. Les derniers plans où elle apparaît, proches de l’œuvre d’art, restent gravés en mémoire bien après le générique. Autour du duo principal gravite une galerie de personnages incarnant diverses facettes de l’histoire.
Nicholas Hoult, dans le rôle de Thomas Hutter, apporte un romantisme pictural séduisant à son voyage des Carpates à l’Allemagne. Willem Dafoe, en spécialiste de l’occultisme, injecte une dose d’énergie truculente dans une chasse au vampire qui évoque le cinéma d’aventure. Ces interprétations enrichissent l’univers du film, mais elles peinent à compenser une narration qui manque de fluidité. Le principal problème réside dans la construction narrative du film. Celui-ci donne parfois l’impression d’une série de scènes juxtaposées plutôt qu’un récit cohérent et fluide. Les transitions abruptes entre certains passages nuisent à l’immersion et renforcent le sentiment d’un ensemble décousu.
En voulant intégrer de multiples influences et thématiques, Eggers semble avoir perdu de vue l’équilibre global de son œuvre. Le principal atout de Nosferatu réside dans son atmosphère. L’esthétique gothique du film, renforcée par une musique marquante et un design sonore soigné, crée un univers immersif. Eggers privilégie les effets pratiques et les décors reconstitués, limitant l’usage des artifices numériques pour renforcer l’authenticité de son monde. Cette approche, rare dans le cinéma contemporain, confère au film une texture particulière, presque palpable. Cependant, cette réussite visuelle ne suffit pas à combler le manque d’émotion.
Le film, tout en étant impressionnant sur le plan esthétique, reste curieusement distant. L’alchimie entre les personnages, notamment entre Ellen et le comte Orlok, n’est pas pleinement exploitée. L’attirance mutuelle et l’ambiguïté de leur relation, éléments centraux du mythe vampirique, sont ici atténués, ce qui empêche le spectateur de s’investir émotionnellement. Eggers, cinéaste cinéphile par excellence, multiplie les références dans ce remake. Le noir et blanc cohabite avec la couleur, les échos au cinéma muet se mêlent à des effets sonores spectaculaires, et des scènes aux allures de tableaux gothiques alternent avec des moments d’horreur viscérale. Cette ambition créative est louable, mais elle aboutit parfois à une compilation d’influences qui manque d’harmonie.
Le film oscille constamment entre hommage et modernité, sans parvenir à trouver une véritable identité propre. Ce grand appétit créatif, bien qu’impressionnant, finit par desservir le récit en le rendant trop chargé. L’essence même de Nosferatu, à savoir une terreur simple et poétique, se dilue dans ce foisonnement stylistique. Avec son Nosferatu, Robert Eggers livre une relecture à la fois fascinante et frustrante. Si le film brille par sa maîtrise visuelle et l’atmosphère gothique qu’il instaure, il peine à captiver sur le plan narratif et émotionnel. Le comte Orlok, revisité de manière audacieuse, divise autant qu’il intrigue, tandis que la relation centrale entre Ellen et le vampire manque de profondeur.
Ce Nosferatu s’adresse avant tout aux amateurs de cinéma d’auteur, séduits par les esthétiques travaillées et les ambiances oppressantes. Mais pour ceux qui espéraient une exploration plus viscérale et émotionnelle du mythe, il risque de laisser un sentiment d’inachevé. Eggers, en voulant tout intégrer, semble parfois s’être éloigné de l’essentiel : une histoire où l’effroi et la fascination se mêlent pour transcender l’écran. En somme, Nosferatu est une œuvre ambitieuse, riche en idées, mais qui ne parvient pas à égaler l’impact des versions précédentes. Un film qui se regarde avec admiration, mais qui laisse un goût de potentiel non pleinement exploité.
Note : 6.5/10. En bref, une relecture fascinante mais imparfaite d’un mythe du cinéma.
Sorti le 25 décembre 2024 au cinéma
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