17 Février 2025
Le Mohican // De Frédéric Farrucci. Avec Alexis Manenti, Mara Taquin et Théo Frimigacci.
La Corse a toujours été une terre de contrastes, entre beauté sauvage et tensions sous-jacentes. Le Mohican, le nouveau film de Frédéric Farrucci, s’inscrit dans cette dualité en racontant la cavale d’un berger traqué, pris entre spéculation immobilière et influences mafieuses. Derrière cette histoire de survie, c’est un portrait brut de l’île qui se dessine, où modernité et traditions s’affrontent dans un combat inégal. Après Borgo et Le Royaume, le cinéma insulaire continue de s’imposer avec des récits intenses et engagés.
En plein cœur de l’été, Joseph, l’un des derniers bergers du littoral corse, voit son terrain convoité par le milieu pour un projet immobilier. Il refuse de céder. Cela signerait la fin d’un monde. Quand il tue accidentellement l’homme venu l’intimider, il est forcé de prendre la fuite et devient la proie d’une traque sans répit du sud au nord de l’île. Portée par sa nièce Vannina, la légende de Joseph, incarnant une résistance réputée impossible, grandit au fil des jours et se propage dans toute la Corse…
Le Mohican ne fait pas exception, et si son intrigue évoque un thriller haletant, c’est surtout une réflexion sur un monde qui se délite, où la résistance semble vaine face aux logiques économiques et aux rapports de force. Joseph, berger solitaire installé sur les terres de sa famille, voit son quotidien bouleversé lorsqu’il devient la cible d’intérêts bien plus puissants que lui. Refusant de céder son domaine à des promoteurs aux méthodes douteuses, il se retrouve pris dans une spirale infernale où chaque décision peut lui coûter cher.
Son histoire, qui pourrait se résumer à une simple fuite en avant, prend rapidement une dimension plus large : celle d’une lutte contre un système où les faibles n’ont plus leur place. La mise en scène de Farrucci joue habilement avec les codes du western et du polar. Joseph, figure de l’homme traqué, évolue dans des paysages magnifiques mais oppressants, où chaque recoin peut cacher un danger. Ce décor, bien plus qu’un simple arrière-plan, devient un personnage à part entière, témoin silencieux d’une Corse en pleine mutation.
Là où le film réussit particulièrement, c’est dans son équilibre entre action et message. Il ne tombe jamais dans l’explicatif ou le surlignage politique. À travers le parcours de Joseph, c’est tout un pan de la société corse qui est exposé : une île où l’argent et le pouvoir redessinent les cartes, laissant derrière eux ceux qui s’accrochent à leurs terres et à leur mode de vie. Dans le rôle principal, Alexis Manenti incarne Joseph avec une justesse impressionnante. Peu bavard, souvent sur la défensive, il exprime plus par ses silences que par ses mots.
Ce type de personnage, qui aurait pu tomber dans la caricature du berger bourru, trouve ici une véritable profondeur. Son regard, sa posture, sa façon de réagir face aux événements en font un protagoniste attachant, même si son combat semble perdu d’avance. Autour de lui, le casting renforce cette impression d’authenticité. Beaucoup d’acteurs locaux apportent une crédibilité aux dialogues et aux interactions. Mention spéciale à Mara Taquin, qui incarne Vannina, la nièce de Joseph. Son personnage, bien que plus en retrait, apporte une dimension plus actuelle au récit.
Elle représente cette nouvelle génération qui, grâce aux réseaux sociaux, tente de médiatiser les injustices et de créer une prise de conscience collective. Ce duo fonctionne bien et évite les écueils habituels du genre. Pas de grands discours, pas de retournements exagérés, juste une histoire qui avance avec une tension constante et une vérité qui transpire dans chaque scène. Ce qui frappe dans Le Mohican, c’est son ancrage dans une réalité bien tangible. La spéculation immobilière et la pression exercée sur les petits propriétaires sont des sujets sensibles sur l’île, et le film ne cherche pas à les édulcorer.
Joseph n’est pas un héros au sens traditionnel du terme. Il ne se bat pas pour une cause grandiose, il veut simplement préserver ce qui lui appartient. Mais dans un monde où les décisions se prennent ailleurs, où les jeux d’influence dictent les règles, son combat prend une dimension presque symbolique. Le film montre comment l’argent redessine les paysages et efface les traditions. À travers les plans larges sur les montagnes corses et les contrastes entre la nature préservée et les chantiers en expansion, Le Mohican capte avec force cette lutte silencieuse entre passé et futur.
Frédéric Farrucci a le sens du cadre et de l’atmosphère. Plutôt que d’appuyer son propos par des dialogues explicatifs, il privilégie une mise en scène épurée où chaque détail compte. Là où d’autres auraient misé sur des effets de style pour accentuer la tension, Le Mohican reste sobre mais percutant. La caméra suit Joseph dans sa fuite avec une proximité presque documentaire, renforçant le sentiment d’urgence et d’isolement. Les paysages jouent également un rôle essentiel. La Corse est filmée dans toute sa splendeur, mais aussi dans toute sa dureté.
Les vastes étendues, les reliefs escarpés et les villages isolés deviennent le terrain de jeu d’un affrontement inégal où l’individu semble bien peu de chose face aux forces qui le dépassent. Même si Le Mohican s’ancre profondément dans le contexte corse, son propos dépasse largement les frontières de l’île. La lutte entre les petites gens et les puissants, la transformation des paysages au profit d’une rentabilité immédiate, l’impuissance face à un système opaque… autant de thématiques qui résonnent bien au-delà de la Méditerranée.
L’histoire de Joseph est celle de nombreux autres, en Corse comme ailleurs. Ce qui rend le film fort, c’est qu’il ne cherche pas à donner de réponses toutes faites ou à livrer un message moralisateur. Il expose une situation, met en lumière des tensions et laisse le spectateur tirer ses propres conclusions. Le Mohican réussit là où beaucoup d’autres échouent : proposer un thriller haletant sans sacrifier la profondeur du propos. À travers une mise en scène soignée, un casting juste et une intrigue bien rythmée, Frédéric Farrucci signe un film qui ne se contente pas d’être une simple chasse à l’homme.
Il capte l’essence d’un territoire, de ses luttes et de ses contradictions, tout en livrant un récit immersif qui maintient l’attention du début à la fin. Alexis Manenti porte le film avec brio, tandis que les seconds rôles apportent un supplément d’âme qui renforce l’impact du récit. Ceux qui aiment les polars tendus et les films qui questionnent leur époque y trouveront un vrai intérêt. Et pour les autres, il restera au moins la beauté des paysages, qui rappellent combien certaines batailles mériteraient d’être gagnées.
Note : 8.5/10. En bref, un polar corse corsé et ancré dans son époque.
Sorti le 12 février 2025 au cinéma
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