Critique Ciné : Le Royaume (2024)

Critique Ciné : Le Royaume (2024)

Le Royaume // De Julien Colonna. Avec Ghjuvanna Benedetti, Saveriu Santucci et Anthony Morganti.

 

Le cinéma a souvent exploré les dynamiques familiales dans des environnements marqués par la violence, mais Le Royaume, premier long-métrage de Julien Colonna, s’attarde sur un angle particulier. Plutôt qu’un simple thriller sur la mafia corse et ses rivalités sanglantes, le film se concentre sur une relation père-fille complexe, tiraillée entre l’amour et l’absence, la protection et le danger. L’histoire suit Lesia, une adolescente de 15 ans qui grandit dans une famille liée au crime organisé. Les règlements de comptes rythment son quotidien, mais elle ne les comprend réellement qu’au travers des informations relayées par les médias. 

 

Corse, 1995. Lesia vit son premier été d’adolescente. Un jour, un homme fait irruption et la conduit à moto dans une villa isolée où elle retrouve son père, en planque, entouré de ses hommes. Une guerre éclate dans le milieu et l’étau se resserre autour du clan. La mort frappe. Commence alors une cavale au cours de laquelle père et fille vont apprendre à se regarder, à se comprendre et à s’aimer.

 

Son père, toujours sur le qui-vive, ne peut être présent à ses côtés comme elle le voudrait, créant une distance douloureuse entre eux. Cette perspective donne au film une tonalité plus intime qu’un simple récit de vendetta. Le spectateur partage le regard d’une jeune fille qui, bien qu’éloignée des affaires mafieuses, ne peut ignorer leur impact sur sa vie. Ce point de vue apporte une dimension humaine à un univers où les sentiments sont rarement mis en avant. Julien Colonna installe un climat pesant dès les premières scènes. L’omerta, la menace latente et l’inévitabilité du cycle de vengeance sont omniprésents. 

 

Pourtant, Le Royaume ne se limite pas à cette atmosphère tendue. À travers des moments plus contemplatifs, où Lesia tente de se construire malgré le contexte, le film trouve un équilibre entre dureté et sensibilité. Le réalisateur choisit une mise en scène sobre, privilégiant la fluidité et l’immersion. La caméra s’attarde sur les paysages corses, entre beauté sauvage et isolement pesant, soulignant ainsi l’opposition entre le destin des personnages et l’environnement qui les entoure. Une grande partie des acteurs ne sont pas des professionnels, ce qui renforce le réalisme du film. Cette approche donne aux dialogues une spontanéité qui fonctionne bien dans ce contexte. 

 

Ghjuvanna Benedetti, qui interprète Lesia, se démarque par sa justesse. Son personnage, bien loin des clichés de l’adolescente rebelle ou naïve, porte le film en offrant un point d’ancrage émotionnel fort. Les rôles masculins, bien que plus en retrait sur le plan émotionnel, participent à la construction de cet univers où la parole est rare et les actes lourds de conséquences. L’absence du père, pourtant central dans la vie de Lesia, se fait d’autant plus pesante par son intermittence. Le scénario, coécrit avec Jeanne Herry, évite de s’attarder sur les considérations politiques ou historiques liées à la criminalité corse. 

 

Plutôt que d’expliquer ou de juger, il se concentre sur la manière dont ces dynamiques affectent les relations humaines. Ce choix permet au film de toucher un public plus large, en mettant en avant les sentiments plutôt que les enjeux de pouvoir. Toutefois, cela peut aussi donner l’impression que certains aspects sont traités de manière trop détachée, sans réelle prise de position. Dans sa seconde partie, Le Royaume plonge dans une escalade de violence inévitable. Les vendettas s’accélèrent, laissant peu de place à l’espoir d’un apaisement. Cette fatalité, bien que cohérente avec le propos du film, peut laisser une impression d’impasse.

 

L’absence de morale ou de remise en question explicite peut surprendre, mais elle s’inscrit dans une logique où les événements se déroulent comme une mécanique bien huilée, indépendante de la volonté des personnages. L’important ici n’est pas de savoir si cette réalité est juste ou condamnable, mais de comprendre comment elle façonne ceux qui y sont confrontés. Le Royaume ne révolutionne pas le genre, mais il apporte une sensibilité rare dans un univers où la brutalité domine souvent le récit. La relation entre Lesia et son père reste le cœur du film, offrant un contraste puissant avec la froideur des règlements de comptes.

 

Ce premier long-métrage de Julien Colonna montre une belle maîtrise de la narration et de la mise en scène, en mettant en avant une approche plus intime du film de gangsters. Si certains choix peuvent diviser, notamment le manque de prise de position sur le contexte mafieux, le film parvient à captiver en s’attachant avant tout à ses personnages. Un drame familial sous tension, porté par une interprétation sincère et une ambiance pesante, qui rappelle que, derrière chaque vendetta, il y a aussi des liens qui tentent de survivre.

 

Note : 7/10. En bref, un drame familial sur fond de vendetta corse. 

Sorti le 13 novembre 2024 au cinéma - Disponible en VOD

 

Retour à l'accueil
Partager cet article
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
À propos
delromainzika

Retrouvez sur mon blog des critiques de cinéma et de séries télé du monde entier tous les jours
Voir le profil de delromainzika sur le portail Overblog

Commenter cet article