20 Février 2025
Mercato // De Tristan Séguéla. Avec Jamel Debbouze, Monia Chokri et Hakim Jemili.
Plonger dans l’univers des agents de joueurs, c’est s’immerger dans un monde où les rêves se négocient à coups de millions, où les jeunes talents deviennent des produits et où l’urgence dicte chaque décision. Mercato, réalisé par Tristan Séguéla, s’aventure dans cette sphère rarement explorée au cinéma français, offrant un regard tendu et nerveux sur les coulisses du football. Jamel Debbouze incarne Driss, un agent de joueurs qui a connu son heure de gloire mais qui se retrouve au bord du précipice. Avec une dette colossale à rembourser et une dernière chance de sauver sa peau avant la fin du mercato, il s’engage dans une course effrénée contre le temps.
Mercato nous plonge dans les coulisses du football d’aujourd’hui, industrie planétaire où les intérêts se chiffrent en milliards. Driss, agent de joueurs, a sept jours pour sauver sa peau avant la fin du mercato...
Ce thriller ne se contente pas de brosser le portrait d’un homme acculé : il met en lumière les rouages d’un système impitoyable où les enjeux dépassent largement le cadre du sport. Dès les premières minutes, Mercato plonge dans l’urgence. Driss court après un contrat, après l’argent, après le temps. Chaque action est calculée, chaque faux pas peut être fatal. La mise en scène nerveuse de Tristan Séguéla accompagne ce rythme effréné, laissant peu de répit au spectateur. Jamel Debbouze, qu’on attend souvent dans un registre comique, prend ici tout le monde à contre-pied.
Il incarne un personnage à la fois rusé et vulnérable, oscillant entre cynisme et désespoir. Son regard, chargé d’une intensité nouvelle, traduit la fatigue et l’obstination d’un homme qui refuse d’abandonner, même lorsque tout semble perdu. Cette performance marque un tournant dans sa carrière, loin de son image habituelle. À ses côtés, Monia Chokri impose une présence forte et subtile, tandis que Milo Machado-Graner, découvert dans Anatomie d’une chute, apporte une sensibilité touchante au rôle de son fils.
L’alchimie entre ces personnages ajoute une dimension plus intime au film, ancrant le récit dans une réalité émotionnelle qui dépasse le simple cadre du thriller. Le football fascine autant qu’il dérange. Derrière les stades remplis et les buts célébrés, une industrie colossale manœuvre en coulisses, dictée par les intérêts financiers et les décisions de quelques hommes influents. Mercato s’intéresse à ces figures de l’ombre, aux agents qui misent sur des jeunes talents comme on parierait sur des chevaux de course. Le film évite cependant le manichéisme.
Il ne condamne pas son protagoniste, mais expose un système où l’éthique est un luxe que peu peuvent se permettre. Driss n’est ni un héros ni un anti-héros, mais un homme pris au piège d’un engrenage plus grand que lui. Son ambition, sa roublardise et ses erreurs en font un personnage profondément humain. Loin de l’image glamour du football moderne, Mercato dévoile ses zones grises : des contrats signés sous pression, des jeunes joueurs poussés trop tôt sous les projecteurs, des dettes qui s’accumulent dans l’ombre. Ce réalisme donne au film une dimension immersive et percutante.
Le film joue avec la tension comme un match à enjeu, alternant moments d’accélération brutale et pauses pleines de doute. La caméra épouse les mouvements de Driss, capturant son agitation et son stress croissant. L’utilisation des plans serrés renforce cette sensation d’étouffement, traduisant l’urgence de sa situation. La mise en scène rappelle certains thrillers des années 1980, où l’efficacité primait sur l’esbroufe. Pas de grandiloquence ici, mais une réalisation précise, au service du récit. L’immersion est totale, portée par un montage qui accentue la pression à mesure que le temps s’écoule inexorablement vers la fin du mercato.
L’esthétique du film, sobre et réaliste, colle parfaitement à l’ambiance du récit. Les contrastes entre les bureaux feutrés des décideurs et les terrains de banlieue où émergent les futures stars du ballon rond renforcent l’opposition entre deux réalités du football : celle des puissants et celle des rêveurs. L’un des aspects les plus intéressants de Mercato réside dans son écriture. Olivier Demangel et Thomas Finkielkraut livrent un scénario habile, où le suspense se mêle à une réflexion plus large sur le prix du succès. Le parcours de Driss est d’abord celui d’un homme qui court après une gloire révolue, incapable d’accepter que son époque est peut-être révolue.
Son fils, interprété par Milo Machado-Graner, symbolise cette fracture générationnelle. Leur relation, marquée par l’incompréhension et le manque de dialogue, ajoute une couche supplémentaire au récit, humanisant encore davantage le personnage principal. Mais au-delà de ce drame intime, Mercato pose aussi un regard acéré sur l’industrie du football. Les négociations de transferts y sont montrées comme des jeux de pouvoir où les émotions n’ont pas leur place. Ce marché, où la valeur d’un joueur se chiffre en millions sans considération pour sa trajectoire humaine, est présenté sans fard, avec une ironie parfois cruelle.
Sans révéler les détails de la conclusion, Mercato tient son suspense jusqu’au bout. La tension, présente dès les premières scènes, ne faiblit jamais, et chaque choix de Driss l’amène un peu plus près de l’inéluctable. Le film ne cherche pas à donner de leçons ni à imposer une morale. Il laisse place à l’interprétation, permettant au spectateur de tirer ses propres conclusions sur ce qu’il vient de voir. La dernière scène, à la fois simple et chargée de sens, marque une fin qui résonne bien après le générique.
Avec Mercato, Tristan Séguéla réussit un thriller qui dépasse le cadre du football pour toucher à des thèmes plus universels : l’ambition, la loyauté, le poids du passé et la difficulté de s’adapter à un monde en perpétuel mouvement. Jamel Debbouze, en s’éloignant de son registre habituel, livre une performance marquante qui ancre le film dans une réalité brute et prenante. La mise en scène nerveuse, le scénario bien ficelé et l’interprétation solide des seconds rôles font de ce long-métrage une proposition intéressante dans le paysage du cinéma français.
Que l’on soit passionné de football ou simple spectateur curieux, Mercato mérite qu’on s’y attarde. Plus qu’un film sur le sport, il offre une plongée captivante dans un univers méconnu, où chaque décision peut faire basculer une carrière… ou une vie.
Note : 6/10. En bref, un thriller plutôt réussi et assez haletant au coeur du foot business.
Sorti le 19 février 2025 au cinéma
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