21 Mars 2025
Black Dog // De Hu Guan. Avec Eddie Peng, Liya Yong et Jia Zghanke.
Le cinéma chinois, notamment celui présenté dans les festivals internationaux, a souvent cette capacité à peindre des atmosphères singulières, où l’image prend parfois le pas sur le récit. Black Dog, réalisé par Guan Hu et récompensé du Prix Un Certain Regard à Cannes en 2024, s’inscrit dans cette lignée. Il propose un voyage contemplatif dans une ville abandonnée aux confins du désert de Gobi, où errent autant des chiens que des âmes en quête de sens. Ce film ne se laisse pas apprivoiser facilement. L’histoire se construit lentement, à travers des plans soigneusement composés et une mise en scène qui privilégie l’émotion brute plutôt que l’explication.
Lang revient dans sa ville natale aux portes du désert de Gobi. Alors qu’il travaille pour la patrouille locale chargée de débarrasser la ville des chiens errants, il se lie d’amitié avec l’un d’entre eux. Une rencontre qui va marquer un nouveau départ pour ces deux âmes solitaires.
Dans ce décor quasi post-apocalyptique, un homme taciturne et un chien solitaire se croisent, s’observent, et finissent par tisser un lien fragile, reflet de la condition humaine dans un monde en mutation. L’environnement de Black Dog joue un rôle central. Cette ville aux abords du désert de Gobi, marquée par l’absence, évoque à la fois un western moderne et un film d’anticipation. Les immeubles vides, les routes poussiéreuses et les rares habitants prostrés dans une routine morne façonnent un paysage où l’on ressent une profonde mélancolie. Ce décor, en lui-même, raconte quelque chose de la Chine contemporaine.
Il met en lumière ces zones oubliées, loin des grandes métropoles en pleine expansion, où la modernité semble un mirage inaccessible. Le réalisateur cherche clairement à interroger la transformation du pays et ses laissés-pour-compte, ces hommes et ces bêtes qui errent dans un territoire à l’abandon. Lang, interprété par Eddie Peng, est un personnage peu loquace, presque effacé. De retour dans sa ville natale après un passage en prison, il se retrouve à travailler pour une patrouille chargée de capturer les chiens errants.
Ce métier, brutal et absurde dans un tel contexte, sert de point de départ à une rencontre inattendue : celle avec un lévrier qu’il décide d’épargner. Ce chien devient rapidement une présence essentielle dans le film. Il ne s’agit pas seulement d’un animal de compagnie ou d’un symbole de liberté, mais plutôt d’un miroir pour Lang. Tous deux sont des survivants dans un monde qui ne leur laisse pas de place. Cette relation, qui se construit en silence, est sans doute l’un des aspects les plus réussis du film. S’il y a un élément qui captive immédiatement dans Black Dog, c’est bien sa photographie.
Chaque plan est composé avec une précision remarquable. Les couleurs, les jeux de lumière et l’utilisation du grain apportent une texture particulière à l’image, renforçant l’atmosphère mélancolique du récit. Le désert de Gobi devient presque un personnage à part entière. Son immensité, sa rudesse et son silence écrasant contrastent avec l’agitation des chiens errants qui traversent les cadres. Guan Hu parvient ainsi à créer une tension permanente, où la solitude des personnages se ressent autant dans leurs silences que dans l’immensité du paysage. Malgré ces qualités visuelles indéniables, Black Dog n’échappe pas à certains écueils narratifs.
L’histoire, bien que porteuse de sens, donne parfois l’impression de s’éparpiller. Entre parabole sociale et errance introspective, le film hésite sur la direction à prendre. Certains passages semblent exister uniquement pour leur force esthétique, sans toujours servir la progression du récit. Les décors marquants – un zoo en ruine, une boucherie infestée de serpents, un cirque oublié – sont autant de visions saisissantes, mais ils s’intègrent parfois maladroitement dans la trame principale. Cette dispersion peut rendre l’expérience frustrante, surtout lorsque certaines thématiques effleurées ne sont jamais pleinement exploitées.
Sous ses airs contemplatifs, Black Dog propose une réflexion sur l’évolution de la Chine et les laissés-pour-compte d’un développement à marche forcée. Le film se déroule en 2008, année des Jeux Olympiques de Pékin, un moment où la Chine voulait projeter une image moderne et triomphante au reste du monde. Mais ici, aucune trace de cette grandeur affichée. Au contraire, Black Dog montre une Chine en marge, oubliée des projecteurs, où les habitants survivent dans des conditions précaires. Le film interroge aussi la relation entre l’homme et l’animal, entre civilisation et nature, et pose la question de ce que signifie être libre dans un monde où tout semble dicté à l’avance.
Guan Hu adopte une approche minimaliste dans sa réalisation. Les dialogues sont rares, la musique est discrète et l’émotion passe principalement par les regards et les gestes. Cette économie de moyens renforce l’impression d’isolement des personnages, mais elle peut aussi créer une certaine froideur. À force de vouloir suggérer plutôt que raconter, Black Dog peut perdre une partie de son public en route. Certains moments forts, qui auraient mérité plus de développement, sont volontairement laissés en suspens, ce qui peut donner une impression d’inachevé.
Le film s’achève dans une atmosphère toujours aussi énigmatique. Sans apporter de réponse claire, il laisse une sensation de flottement, comme si tout cela n’avait été qu’un instant fugace dans la vie des personnages. La dernière image, où l’on ne sait plus si ce sont des cendres ou des flocons qui tombent, résume bien cette ambiguïté constante. Ce choix narratif peut être frustrant, mais il est aussi en accord avec l’esprit du film. Black Dog n’est pas là pour donner des solutions, mais plutôt pour ouvrir des questionnements, notamment sur la place de l’homme dans un monde en mutation.
Black Dog est une œuvre singulière, portée par une esthétique marquante et une atmosphère envoutante. Il ne conviendra pas à tous les spectateurs, notamment ceux qui cherchent un récit plus structuré ou une progression plus évidente. Mais pour ceux qui apprécient les films où l’image raconte autant que les dialogues, où l’ambiance prime sur l’action, il y a quelque chose de fascinant dans cette errance silencieuse aux portes du désert. Ce n’est pas un film qui se regarde passivement, mais une expérience qui interpelle et qui, malgré ses défauts, laisse une empreinte durable.
Note : 7/10. En bref, errance et solitude aux portes du désert de Gobi. Black Dog est une œuvre singulière, portée par une esthétique marquante et une atmosphère envoutante. Il ne conviendra pas à tous les spectateurs, notamment ceux qui cherchent un récit plus structuré ou une progression plus évidente.
Sorti le 5 mars 2025 au cinéma
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