17 Mars 2025
La Plus Précieuse des Marchandises // De Michel Hazanavicius. Avec la voix de Jean-Louis Trintignant, Dominique Blanc et Denis Podalydès.
Michel Hazanavicius s’est toujours illustré par sa capacité à explorer des genres variés, sans jamais se répéter. Avec La Plus Précieuse des Marchandises, il s’attaque pour la première fois à l’animation et choisit d’adapter l’œuvre de Jean-Claude Grumberg. Ce récit, à la croisée du conte et de la tragédie historique, s’ancre dans la période de la Seconde Guerre mondiale et interroge la part d’humanité qui subsiste au cœur de l’horreur. Derrière la douceur apparente de l’animation traditionnelle, le film aborde un sujet lourd : la Shoah.
Il était une fois, dans un grand bois, un pauvre bûcheron et une pauvre bûcheronne. Le froid, la faim, la misère, et partout autour d´eux la guerre, leur rendaient la vie bien difficile. Un jour, pauvre bûcheronne recueille un bébé. Un bébé jeté d’un des nombreux trains qui traversent sans cesse leur bois. Protégée quoi qu’il en coûte, ce bébé, cette petite marchandise va bouleverser la vie de cette femme, de son mari , et de tous ceux qui vont croiser son destin, jusqu’à l’homme qui l’a jeté du train. Leur histoire va révéler le pire comme le meilleur du cœur des hommes.
À travers le destin d’un enfant jeté d’un train en marche et recueilli par une bûcheronne, il met en lumière l’ambivalence des Hommes, entre cruauté et bienveillance. C’est une œuvre qui ne cherche pas à adoucir la réalité, mais qui la retranscrit avec un mélange de pudeur et d’émotion. L’histoire débute dans une forêt enneigée de Pologne, un décor qui pourrait évoquer un conte traditionnel si ce n’était la présence menaçante des rails. Un train chargé de déportés traverse cette étendue blanche, emportant avec lui des destins condamnés. C’est là qu’un père, dans un geste désespéré, se résout à lancer son bébé hors du wagon, dans l’espoir qu’il puisse survivre à ce qui l’attend.
Ce choix tragique donne naissance à un nouvel espoir : une bûcheronne, vivant dans la misère avec son mari, découvre l’enfant et décide de l’élever malgré les dangers que cela représente. Ce bébé devient alors son trésor, une réponse à la perte d’un enfant qu’elle n’a jamais pu avoir. Mais si la femme ouvre son cœur, son mari, lui, refuse d’accueillir cet être qu’il perçoit comme un fardeau. À travers cette famille de fortune, le film explore les tensions entre l’instinct de survie, la peur et l’attachement qui se crée malgré tout. L’enfant, silencieux, devient le symbole d’une humanité mise à l’épreuve, là où les actes et les choix en disent plus que les mots.
Visuellement, La Plus Précieuse des Marchandises s’appuie sur une animation traditionnelle aux lignes épurées, qui rappelle certaines illustrations du début du XXe siècle. Cette simplicité graphique contraste avec la dureté du sujet et permet de donner une dimension intemporelle au récit. Les couleurs, souvent froides et dominées par des teintes hivernales, renforcent l’atmosphère de solitude et de danger qui plane sur les personnages. Pourtant, par moments, quelques éclats de lumière viennent adoucir le tableau, traduisant l’espoir fragile qui persiste malgré la menace omniprésente.
Hazanavicius utilise l’image pour raconter autant que les dialogues. Au fil du film, les mots s’effacent parfois pour laisser place à des scènes muettes, où les regards et les gestes suffisent à exprimer la profondeur des émotions. Ces choix de mise en scène donnent une force particulière à certains passages, notamment lorsqu’il s’agit d’évoquer l’indicible. Évoquer la Shoah par le biais de l’animation est un exercice délicat. Le film ne cherche pas à représenter frontalement l’horreur, mais il la laisse transparaître à travers des symboles forts. Les trains, omniprésents, deviennent l’incarnation du destin funeste de ceux qui y sont enfermés. Les visages, figés dans l’effroi, témoignent d’une réalité qui dépasse les mots.
Certaines scènes jouent sur cette suggestion visuelle, comme cet instant où un personnage découvre son propre reflet, méconnaissable après tout ce qu’il a traversé. L’inspiration du célèbre tableau Le Cri d’Edvard Munch dans cette séquence illustre le poids du traumatisme et l’effacement progressif de l’individu face à l’horreur. La musique d’Alexandre Desplat accompagne cette narration avec une partition qui oscille entre douceur et tension. Parfois, elle s’impose avec force, là où un silence aurait peut-être été encore plus marquant. Mais dans l’ensemble, elle contribue à donner au film son atmosphère poignante.
Outre l’animation et la musique, La Plus Précieuse des Marchandises s’appuie sur un choix de narration fort. La voix du regretté Jean-Louis Trintignant guide le spectateur tout au long du film, apportant une gravité et une émotion particulières au récit. Son timbre, chargé d’histoire, donne une profondeur supplémentaire aux mots de Grumberg. À ses côtés, Dominique Blanc et Grégory Gadebois prêtent leurs voix aux personnages principaux, incarnant avec justesse la dureté et la tendresse qui se confrontent dans ce couple de bûcherons.
Ces performances vocales ajoutent une dimension humaine essentielle à l’animation, rendant les personnages plus tangibles et touchants. Avec ce film, Hazanavicius ne propose pas un simple conte animé, mais une réflexion sur la manière dont l’humanité peut subsister dans un contexte où tout pousse à la désillusion. À travers le destin de cet enfant recueilli, il interroge la capacité à résister à la peur et à choisir l’amour malgré les dangers. Certains pourront trouver que l’émotion est parfois trop appuyée, ou que le film insiste sur certains aspects de la tragédie.
Mais face à un sujet aussi lourd, chacun réagit différemment. Ce qui ressort, c’est surtout cette volonté de transmettre une mémoire, sans jamais édulcorer ni enfoncer inutilement le spectateur dans le pathos. Le film s’achève sur une note qui résonne longtemps après le générique. Les derniers mots de Trintignant, empreints d’une sagesse mélancolique, rappellent l’importance de ne pas oublier, de continuer à raconter ces histoires pour que la mémoire ne s’efface pas. La Plus Précieuse des Marchandises s’inscrit dans une lignée de films d’animation qui ne s’adressent pas seulement aux enfants, mais à toute personne capable de s’émouvoir face à un récit profondément humain.
Ce n’est pas une œuvre qui cherche à choquer, ni à délivrer un message moralisateur, mais plutôt une invitation à réfléchir sur ce que signifie protéger la vie, même lorsque tout semble perdu. Dans un monde où la violence et l’indifférence existent encore, ce film rappelle que chaque geste compte. La bûcheronne, par son simple choix d’accueillir un enfant, devient un symbole d’espoir. À travers cette histoire, Hazanavicius réussit à capturer ce qui fait la valeur d’une existence et la trace que chacun laisse derrière lui.
Si l’animation peut parfois sembler un moyen inattendu pour traiter un tel sujet, elle se révèle ici être une force. Elle permet une distance nécessaire tout en conservant une intensité émotionnelle intacte. Ce film ne plaira pas à tout le monde, mais il a le mérite d’exister et de proposer un regard différent sur une période dont il est essentiel de se souvenir.
Note : 8/10. En bref, un comte animé entre ombre et lumière.
Sorti le 20 novembre 2024 au cinéma - Disponible en VOD
Retrouvez sur mon blog des critiques de cinéma et de séries télé du monde entier tous les jours
Voir le profil de delromainzika sur le portail Overblog