16 Mars 2025
On Ira // De Enya Baroux. Avec Hélène Vincent, Pierre Lottin et David Ayala.
Le cinéma a cette capacité unique de transformer des sujets délicats en récits accessibles, profonds et universels. On Ira, premier long-métrage d'Enya Baroux, s’inscrit dans cette démarche en abordant la question du suicide assisté avec un mélange subtil de légèreté et de gravité. Loin de sombrer dans le pathos, le film tisse une histoire empreinte d’émotion, d’humour et d’humanité, où chaque personnage trouve sa place dans cette traversée à la fois intime et universelle. L’histoire suit Marie, une femme de 80 ans qui a pris une décision irrévocable : partir en Suisse pour mettre fin à ses jours dans la dignité.
Marie, 80 ans, en a ras le bol de sa maladie. Elle a un plan : partir en Suisse pour mettre fin à ses jours. Mais au moment de l’annoncer à Bruno, son fils irresponsable, et Anna sa petite-fille en crise d’ado, elle panique et invente un énorme mensonge. Prétextant un mystérieux héritage à aller chercher dans une banque suisse, elle leur propose de faire un voyage tous ensemble. Complice involontaire de cette mascarade, Rudy, un auxiliaire de vie tout juste rencontré la veille, va prendre le volant du vieux camping car familial, et conduire cette famille dans un voyage inattendu.
Mais ce voyage n’est pas un simple trajet, c’est une épopée familiale où elle entraîne malgré eux son fils un peu perdu, sa petite-fille en pleine rébellion et un auxiliaire de vie dépassé par la situation. Ce road-trip inattendu devient alors bien plus qu’un déplacement géographique : il se transforme en une aventure humaine où chacun doit apprendre à écouter, à comprendre et, surtout, à accepter. Dès les premières scènes, le film pose un ton singulier, évitant le sensationnalisme et la lourdeur.
Il ne cherche pas à faire la morale ni à trancher un débat de société, mais plutôt à raconter une histoire profondément humaine, où chaque réaction, chaque émotion résonne avec justesse. Le choix de traiter un sujet aussi sensible par le prisme de la comédie dramatique est audacieux mais fonctionne à merveille. Le film jongle habilement entre des moments de légèreté et d’autres d’une intensité bouleversante. La première partie mise davantage sur l’humour et la dynamique de ce trio improbable, tandis que la seconde, plus introspective, plonge dans l’émotion pure, sans jamais basculer dans le mélodrame excessif.
L’un des aspects marquants de On Ira est la manière dont il met en lumière l’incompréhension et l’égoïsme involontaire des proches face à une telle décision. L’idée de laisser partir un être cher est un combat intérieur pour ceux qui restent, et le film le retranscrit avec beaucoup de finesse. Chacun des personnages réagit différemment, oscillant entre colère, déni, tristesse et acceptation. La force du film repose en grande partie sur son casting. Hélène Vincent livre une performance d’une rare intensité. Son personnage, loin d’être fragile, s’impose avec une détermination douce mais inébranlable.
Face à elle, David Ayala incarne un fils qui peine à comprendre, mais qui, au fil du voyage, découvre une nouvelle manière d’aimer et de respecter les choix de sa mère. Juliette Gasquet, qui interprète la petite-fille, apporte une fraîcheur et une spontanéité qui équilibrent le récit. À travers son regard, c’est aussi le point de vue des générations plus jeunes qui s’exprime, souvent avec une sincérité brutale mais nécessaire. Enfin, Pierre Lottin campe un auxiliaire de vie à la fois drôle, maladroit et profondément humain, qui apporte une touche de douceur à l’ensemble.
Pour une première réalisation, Enya Baroux démontre une belle maîtrise de la narration et de la mise en scène. Plutôt que d’insister sur l’aspect tragique de l’histoire, elle choisit une approche pudique, où les silences, les regards et les petits gestes en disent souvent plus que de longs discours. La bande-son joue également un rôle essentiel dans l’émotion du film. L’utilisation de Voyage Voyage de Desirless, interprété ici par Barbara Pravi, résonne comme un hymne à l’acceptation et au lâcher-prise. D’autres choix musicaux, comme l’ironie douce d’une cassette des 2Be3 (à prononcer Deux B Trois comme Marie) chantant Partir un jour, viennent souligner avec subtilité le mélange des tonalités entre gravité et légèreté.
Visuellement, le film parvient à rendre ce voyage à la fois concret et symbolique. Les paysages traversés deviennent une métaphore de l’état d’esprit des personnages : les routes sinueuses, les moments d’arrêt, les pannes du camping-car traduisent leurs hésitations, leurs craintes et leurs évolutions. On Ira n’impose pas une vision du sujet, mais ouvre la discussion sur une question encore taboue dans de nombreux pays. Il interroge sur le droit de choisir sa fin de vie, sur ce que signifie réellement accompagner quelqu’un dans cette décision, et sur la manière dont chaque individu vit son propre rapport à la mort.
Au-delà de la question du suicide assisté, le film parle surtout de la famille, des non-dits, des liens parfois distendus par les années et des tentatives maladroites mais sincères de se reconnecter avant qu’il ne soit trop tard. Il rappelle aussi, de manière subtile, l’importance de dire les choses, d’aimer sans retenue et de profiter du temps qui nous est accordé. Il y a dans On Ira une sincérité qui touche au cœur. Le film évite les pièges du larmoyant tout en laissant une empreinte émotionnelle forte. Il fait rire, il émeut, il bouscule parfois, mais surtout, il reste en tête bien après la séance.
Note : 7/10. En bref, un voyage bouleversant entre vie et derniers adieux que les petits défauts sont balayés rapidement par ce que le film dégage de beau. À travers ce voyage un peu fou, ce dernier tour de piste entre rires et larmes, Enya Baroux signe une œuvre qui parle autant de la mort que de la vie, et qui rappelle, sans grand discours, que chaque instant compte.
Sorti le 12 mars 2025 au cinéma
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