17 Mars 2025
Un Parfait Inconnu // De James Mangold. Avec Timothée Chalamet, Edward Norton et Elle Fanning.
Parler de Bob Dylan, c’est s’attaquer à une figure insaisissable, un artiste dont l’aura dépasse les simples frontières de la musique. James Mangold l’a bien compris en réalisant Un Parfait Inconnu, un film qui ne cherche pas tant à décortiquer l’homme qu’à capturer l’essence d’un moment charnière de sa carrière. Loin du biopic traditionnel, il s’agit plutôt d’un voyage dans le New York des années 60, une immersion dans un monde en pleine effervescence musicale où se croisent espoirs, révoltes et transformations.
New York, 1961. Alors que la scène musicale est en pleine effervescence et que la société est en proie à des bouleversements culturels, un énigmatique jeune homme de 19 ans débarque du Minnesota avec sa guitare et son talent hors normes qui changeront à jamais le cours de la musique américaine. Durant son ascension fulgurante, il noue d’intimes relations avec des musiciens légendaires de Greenwich Village, avec en point d’orgue une performance révolutionnaire et controversée qui créera une onde de choc dans le monde entier…
Le film s’attarde sur la période 1961-1966, ces années où un certain Robert Zimmerman, jeune homme du Minnesota, arrive à New York, guitare en main et ambition en tête. Dès son arrivée, il se dirige vers l’hôpital où séjourne Woody Guthrie, son idole, figure contestataire du folk américain. Ce passage de témoin, bien que furtif, est fondateur : Dylan, à la fois admiratif et avide de se démarquer, va très vite tracer sa propre route. New York, à cette époque, est un véritable vivier artistique. Les cafés de Greenwich Village résonnent des accords de jeunes musiciens cherchant à se faire un nom.
Parmi eux, Dylan ne tarde pas à se faire remarquer, notamment par Pete Seeger, légende du folk qui le prend sous son aile. Mais très vite, le jeune artiste se heurte aux conventions du genre. Il n’a pas envie d’être enfermé dans un cadre, refuse qu’on le réduise à un porte-parole ou à un simple chanteur de protestation. Son désir d’indépendance, de renouvellement, va provoquer des tensions, notamment lors du festival de Newport où son passage à la guitare électrique fait scandale. Mangold a fait le choix de placer la musique au centre de son récit.
Plutôt que de s’attarder sur des aspects trop personnels ou psychologiques, il filme Dylan à travers ses prestations, ses enregistrements, ses interactions avec d’autres artistes. C’est une plongée dans le processus créatif, dans l’énergie brute des scènes folk des années 60. Le film est traversé par des rencontres marquantes : Joan Baez, avec qui Dylan entretient une relation tumultueuse, Pete Seeger, figure paternelle du folk, ou encore Johnny Cash, compagnon de route et ami sincère. Chacun d’eux offre un éclairage sur la personnalité de Dylan, entre admiration, frustration et incompréhension.
Timothée Chalamet, dans le rôle principal, ne cherche pas à imiter Dylan mais à en capturer l’esprit. Il incarne un artiste insaisissable, parfois agaçant, souvent fascinant, toujours en mouvement. Son interprétation, tout en nuances, donne à voir un Dylan déterminé mais également en lutte avec lui-même, oscillant entre désir de reconnaissance et rejet de l’étiquette de star. L’un des moments-clés du film reste cette transition du folk vers le rock, un passage qui divise profondément le public et le monde musical de l’époque. Dylan refuse d’être figé dans un rôle, il veut expérimenter, explorer d’autres sonorités.
Mais cette évolution ne passe pas sans heurts. Le festival de Newport en 1965 devient le théâtre d’un affrontement symbolique : l’enfant chéri du folk monte sur scène avec une guitare électrique et se heurte aux sifflets d’un public qui le considérait jusqu’alors comme l’un des siens. Ce basculement est brillamment mis en scène par Mangold. Il ne cherche pas à dramatiser outre mesure mais capte l’instant avec justesse, soulignant la détermination de Dylan malgré l’hostilité ambiante. Ce refus du conformisme, ce besoin viscéral de se réinventer, font partie intégrante de ce qui a fait sa légende.
L’une des forces du film est de ne pas chercher à percer le mystère Dylan mais plutôt à montrer son impact sur ceux qui l’ont côtoyé. Ce sont leurs regards, leur admiration mêlée d’incompréhension, qui dressent le portrait d’un artiste insaisissable. Monica Barbaro campe une Joan Baez charismatique, tout en fierté et en douleur, partagée entre amour et frustration face à un homme qu’elle ne parvient jamais totalement à saisir. Edward Norton incarne un Pete Seeger bienveillant mais déconcerté, tandis que Boyd Holbrook apporte une touche d’humour et de profondeur à Johnny Cash.
L’ensemble du casting est à la hauteur, mais c’est surtout la musique qui transcende le film. Les morceaux emblématiques comme Blowin’ in the Wind, Like a Rolling Stone ou The Times They Are A-Changin’ ponctuent le récit et lui donnent son rythme. Chalamet, qui interprète lui-même les chansons, livre une prestation convaincante, parvenant à capturer l’énergie et la fougue du jeune Dylan sans chercher à en faire une copie parfaite. Un Parfait Inconnu n’est pas un biopic classique, et c’est tant mieux. Plutôt que de chercher à raconter toute la vie de Dylan, il s’attarde sur une période cruciale, celle où il devient l’artiste que l’on connaît aujourd’hui.
Le film évoque aussi, en filigrane, une époque révolue où tout semblait possible. L’Amérique des années 60 est en pleine mutation, entre luttes sociales et explosion de la culture pop. Dylan s’inscrit dans ce mouvement tout en restant à part, refusant qu’on lui colle une étiquette, déroutant même ses propres admirateurs. Mangold réussit à capter cette atmosphère unique, ce moment où la musique avait encore le pouvoir de choquer, d’inspirer, de changer les mentalités. À la sortie du film, difficile de ne pas avoir envie de réécouter Highway 61 Revisited ou Bringing It All Back Home, de se replonger dans les textes ciselés de Dylan et d’essayer, encore une fois, de comprendre ce qui le rendait si unique.
Un Parfait Inconnu n’est pas une déconstruction du mythe Dylan mais une célébration de ce qui a fait son essence : son refus du conformisme, son talent brut, sa capacité à se réinventer. Le film donne à voir un artiste en devenir, un jeune homme prêt à tout pour tracer son propre chemin, quitte à déplaire. Avec une mise en scène sobre mais efficace, un casting solide et une bande-son magistrale, Mangold offre une immersion vibrante dans ces années fondatrices. Que l’on soit fan ou simple curieux, le voyage en vaut la peine.
Note : 7/10. En bref, plongée intense et réussie dans la jeunesse de Bob Dylan. Bien que cela soit aseptisé sur certains aspects (notamment la drogue), le résultat reste séduisant de bout en bout. Timothée Chalamet et quant à lui très bien dans le rôle titre.
Sorti le 29 janvier 2025 au cinéma
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