Krank: Berlin (Saison 1, 8 épisodes) : ou comment une série allemande réinvente le drame hospitalier avec rage et lucidité

Krank: Berlin (Saison 1, 8 épisodes) : ou comment une série allemande réinvente le drame hospitalier avec rage et lucidité

Il y a des séries qui se contentent de reproduire les codes du genre. Et il y a KraNK Berlin. En huit épisodes, cette production allemande réussit là où tant d’autres se perdent dans la redite : elle insuffle une énergie brute et un réalisme cru à un univers hospitalier souvent idéalisé à outrance. Ce n’est pas un énième drame médical : c’est une plongée frontale dans le chaos d’un service d’urgences berlinois, où la vie ne tient qu’à un fil, où les médecins se consument autant que leurs patients. Pourtant, les deux premiers épisodes n’étaient pas parfaits et ne m’avaient pas complètement convaincus. C’est au fil des épisodes que la série gagne des points. 

 

Pas de lumière bleue aseptisée ni de couloirs parfaitement lustrés. KraNK Berlin se déroule dans un hôpital sale, désorganisé, en sous-effectif, dans un quartier populaire où les problèmes sociaux, les crises personnelles et la violence quotidienne s’entrechoquent sans pause. Le tout filmé avec une intensité visuelle remarquable qui rappelle les meilleures heures d’Urgences, mais avec un accent berlinois en bonus. Dès les premières minutes, la série annonce la couleur : un homme titube, visiblement en manque, déambule dans une Berlin grise, défoncée, avant de rejoindre en taxi les urgences. Ce n’est pas un patient. C’est l’un des médecins. 

 

Ben Weber, incarné avec une intensité glaçante par Slavko Popadic, est médecin urgentiste. Accro aux opiacés, épuisé, désabusé, il s’écroule quelques instants après avoir sauvé un patient dans un couloir bondé. La caméra tremble, les lumières sont floues, la ville rugit en arrière-plan : la série démarre comme un uppercut. Cette séquence d’introduction en dit déjà long. Elle témoigne d’un parti-pris fort, presque audacieux dans le paysage télévisuel européen : montrer l’hôpital comme il est, ou du moins comme il pourrait être si l’on ôtait tous les filtres habituels. Ici, pas de sur-dramatisation forcée. Ce n’est pas du spectacle, c’est de la survie.

 

Ce qui frappe immédiatement dans KraNK Berlin, c’est l’omniprésence de la ville. Berlin n’est pas un simple décor, c’est une entité vivante, vibrante, chaotique. Les larges plans de la capitale allemande, entre immeubles défraîchis et lumières blafardes, donnent un cadre réaliste et oppressant à l’histoire. Chaque recoin de rue, chaque station de métro semble imprégné de cette urgence de vivre, de cette tension permanente.  Et l’hôpital dans lequel se déroule l’action est à l’image de la ville : dysfonctionnel, imprévisible, sur le fil. On est loin du fantasme de l’hôpital miracle. Ici, tout est bricolé, compromis, négocié à l’arrache. 

 

Les soignants courent partout, se hurlent dessus, ratent des diagnostics, prennent des décisions en catastrophe. Et pendant ce temps, la vie continue, et la mort rôde. Ce que KraNK Berlin réussit brillamment, c’est de ne pas tomber dans la glorification de ses personnages. Pas de héros, pas de “sauveurs”. Juste des êtres humains, cassés, contradictoires, tiraillés entre leur mission et leurs failles. Dr Suzanna Parker, interprétée par Haley Louise Jones, incarne cette tension à merveille. Nouvelle cheffe de service débarquée de Munich, elle espérait un nouveau départ. Ce qu’elle trouve, c’est un service en ruines, une équipe en guerre, un chef de clinique cynique au possible, et une première journée qui tourne rapidement au cauchemar. 

 

Son regard de néo-arrivante permet d’introduire l’univers sans jamais verser dans l’explication didactique. Et surtout, elle ne fait pas de miracle. Elle subit autant qu’elle agit, et c’est précisément ce qui la rend captivante. À ses côtés, Ben Weber devient peu à peu une figure centrale. Plus le récit avance, plus ses démons remontent à la surface. Médecin compétent mais en chute libre, drogué jusqu’à la moelle, il soigne des migrants dans le parking de l’hôpital tout en volant de quoi nourrir son addiction. S’il peut sembler caricatural par moments, il incarne pourtant une réalité que beaucoup préfèrent ignorer : celle de soignants qui, dans un système au bord de l’effondrement, n’ont plus d’issue que l’autodestruction.

 

La série ne se contente pas de mettre en scène des cas médicaux spectaculaires. Elle excelle dans la peinture des relations humaines. L’assistante médicale Emina Ertan, par exemple, remet systématiquement en question l’autorité de Parker, tout en masquant ses propres blessures identitaires. Le binôme de secouristes Olivia et Olaf offre un autre regard sur l’hôpital, celui de ceux qui amènent les patients sans toujours savoir ce qui les attend. Olaf, vétéran fatigué mais lucide, apporte une profondeur inattendue à la série.

 

Et puis il y a Dominik Kohn, médecin jovial en apparence mais incapable de gérer la pression. Chaque personnage est écrit avec soin, sans manichéisme. Chacun tente de rester debout, de faire son boulot malgré les conditions délirantes, les heures supplémentaires, le manque de moyens, la fatigue accumulée. Ce ne sont pas des demi-dieux. Ce sont des gens normaux dans un environnement anormal. Si KraNK Berlin fonctionne aussi bien, c’est en grande partie grâce à sa mise en scène. Caméra à l’épaule, montages saccadés, lumières crues : la réalisation capte l’urgence et le chaos avec une efficacité redoutable. 

 

Chaque scène donne l’impression d’être vécue en direct, sans filtre, sans distance. Le spectateur est happé, presque étouffé par le rythme effréné. La série joue aussi beaucoup avec la symbolique visuelle. Les scènes sur les toits de l’hôpital, les descentes de caméra en piqué vers les ambulances, les éclairages presque psychédéliques dans certaines séquences nocturnes : tout cela participe à une atmosphère unique, à la fois hallucinée et hyperréaliste. C’est beau, c’est sale, c’est vivant. Ce que la série réussit à montrer sans jamais verser dans le discours moralisateur, c’est la faillite d’un système. 

 

Le service des urgences de KraNK Berlin est un condensé de ce que la médecine publique traverse : sous-financement, pénurie de personnel, bureaucratie kafkaïenne, pression économique constante. Le personnage du directeur de l’hôpital, froidement interprété par Peter Lohmeyer, incarne cette logique comptable qui écrase tout. Rentabilité avant santé. Stratégies de survie au lieu de projets de soin. Et les soignants, dans tout ça, sont laissés à eux-mêmes, sans protection, sans reconnaissance. Ce n’est pas uniquement une critique du système allemand. C’est un miroir tendu à toutes les grandes métropoles où les hôpitaux deviennent des champs de bataille.

 

KraNK Berlin ne cherche pas à plaire à tout le monde. Elle est rugueuse, parfois dérangeante, souvent désespérante. Certains épisodes sont difficiles à regarder, tant l’intensité émotionnelle est forte. Mais c’est précisément ce qui la rend indispensable. Elle n’édulcore rien. Elle montre les overdoses, les tentatives de suicide, les erreurs médicales, les tensions raciales, les violences policières, les abus de pouvoir. Mais malgré toute cette noirceur, il y a une forme de lumière. Une humanité têtue, obstinée. Des regards, des gestes, des silences qui disent qu’il reste encore des raisons de se battre.

 

Derrière la production se trouvent Viktor Jakovleski et Samuel Jefferson, ce dernier étant lui-même ancien médecin urgentiste. Cette authenticité se ressent dans chaque scène. Ce n’est pas une fiction plaquée sur un décor réaliste : c’est un cri venu de l’intérieur. Et cela change tout. La série n’a pas peur de flirter avec le surréalisme par moments, ni de mettre en scène des personnages ambigus, ni de casser les codes du genre. C’est un pari audacieux, et il est largement réussi. Le dernier épisode, avec une histoire d’immeuble désaffecté qui menace de s’effondrer pendant une rave party n’est pas sans faire un écho à ce qui s’est passé en République dominicaine avec le toit d’une boîte de nuit qui s’est effondré. 

 

KraNK Berlin est une claque. Une série qui prend aux tripes, qui secoue, qui laisse des traces. Elle parvient à réconcilier les amateurs de drames médicaux avec un genre qui, ces dernières années, avait perdu en originalité. Ce n’est pas juste une bonne série allemande. C’est une excellente série, point. Il serait impensable de ne pas lui offrir une suite. L’univers est dense, les personnages sont loin d’avoir révélé tous leurs secrets, et les enjeux sociaux qu’elle aborde méritent d’être explorés davantage. KraNK Berlin a ouvert une porte. Il faut maintenant la franchir.

 

Note : 8/10. En bref, c’est série qui prend aux tripes, qui secoue, qui laisse des traces. Elle parvient à réconcilier les amateurs de drames médicaux avec un genre qui, ces dernières années, avait perdu en originalité et qui semble retrouver ses lettres de noblesse ces derniers mois (The Pitt sur max est l’autre exemple). 

Disponible sur Apple TV+

 

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