28 Octobre 2025
Quand une série choisit de mêler comédie absurde, satire du sport américain et quête d’identité, le résultat peut vite tourner au désordre. Pourtant, Chad Powers réussit à transformer un point de départ invraisemblable en une histoire plus sincère qu’elle n’en a l’air. Derrière les blagues sur le football universitaire et les déguisements grotesques, la première saison raconte surtout la difficulté à se regarder en face après avoir tout gâché. L’histoire suit Russ Holliday, ancienne star du football universitaire, dont la carrière a explosé en plein vol après une succession de comportements désastreux.
L’homme est arrogant, imbu de lui-même, persuadé que le monde lui doit encore quelque chose. Sa chute est brutale et spectaculaire, filmée avec cette ironie qui pousse à rire tout en provoquant un certain malaise. Au départ, Russ est le cliché du sportif américain en pleine dérive : voitures tape-à-l’œil, discours creux sur la motivation, entourage opportuniste. Mais la série choisit de l’enfermer dans sa propre caricature, jusqu’à ce qu’il n’ait d’autre choix que de disparaître. C’est à ce moment qu’apparaît Chad Powers, son alter ego inventé. Sous ce nouveau nom, Russ tente de se réinventer en se faisant passer pour un étudiant du Sud naïf et maladroit.
Grâce à une panoplie de prothèses et une perruque sortie tout droit des studios de son père, maquilleur à Hollywood, il rejoint une petite université de Géorgie et intègre l’équipe des Catfish. L’idée est absurde, presque enfantine, mais elle fonctionne comme un révélateur : plus Russ s’enfonce dans son mensonge, plus il est forcé de se confronter à ce qu’il déteste chez lui. Ce qui m’a marqué, c’est la façon dont la série refuse de choisir entre la farce et le portrait psychologique. Les premiers épisodes sont clairement orientés vers l’humour : situations improbables, dialogues décalés, rythme rapide. Il y a des moments purement burlesques, notamment autour des entraînements ou des douches collectives, où Chad doit cacher son visage en latex sous la vapeur.
Mais peu à peu, le ton se modifie. Ce qui semblait n’être qu’une comédie sportive se transforme en exploration du mensonge comme moyen de survie. Russ ne cherche pas à tromper le monde pour gagner, mais pour exister à nouveau. Glen Powell, à la fois créateur et acteur principal, incarne cette ambiguïté avec précision. Son jeu passe de l’exubérance totale à la retenue la plus fragile. En Chad, il adopte des mimiques exagérées, un accent traînant, une gestuelle maladroite qui évoque un autre homme. Mais derrière le masque, il laisse filtrer des bribes de culpabilité. L’illusion finit par s’effriter au fil des épisodes, et cette lente confusion entre Russ et Chad devient le vrai sujet du récit : à force de jouer un rôle, le héros ne sait plus qui il est.
La série réussit aussi à donner du relief à ceux qui gravitent autour de lui. Danny, le mascotte de l’équipe, devient un confident inattendu, le seul à connaître la vérité. Son humour détendu équilibre la tension constante de la supercherie. Ricky, l’assistante du coach, incarne une autre forme de désillusion : celle d’une femme compétente, coincée dans un système qui ne la prend pas au sérieux. Son parcours se croise avec celui de Russ, sans jamais tomber dans le cliché romantique. Ces personnages secondaires apportent de la nuance à un univers qui aurait pu n’être qu’une succession de blagues. Un autre point intéressant réside dans la représentation du milieu du football universitaire.
Chad Powers ne cherche pas le réalisme sportif, mais utilise ce cadre pour parler de hiérarchie, d’ego et d’apparences. Le coach Hudson, joué par Steve Zahn, est un homme usé, obsédé par les victoires et incapable de communiquer avec sa propre fille, qu’il a embauchée comme assistante. L’université de South Georgia, avec son stade trop grand pour sa réputation et ses supporters un peu fanatiques, devient un décor idéal pour une satire douce-amère du sport américain : un monde où l’image compte plus que la performance, et où les illusions tiennent lieu de vérité. À partir du quatrième épisode, la série trouve un rythme plus maîtrisé.
L’humour reste présent, mais les dialogues s’enrichissent, les relations se précisent. Le mensonge de Russ commence à se fissurer, et le spectateur voit arriver la révélation inévitable. Pourtant, l’intérêt ne réside pas dans la découverte du secret, mais dans ce que cette imposture révèle de chacun. Certains personnages y trouvent un prétexte pour se redéfinir, d’autres une excuse pour fuir leur propre échec. L’épisode cinq illustre bien cette tension. Russ se confronte à son père, figure à la fois absente et omniprésente, qui lui renvoie une vérité simple : sa chute n’est pas le fruit du hasard, mais la conséquence de son arrogance. Ce moment, filmé avec sobriété, tranche avec le ton général de la série.
On comprend alors que le déguisement de Chad n’est pas un gag, mais un aveu de faiblesse. Ce n’est plus l’histoire d’un joueur qui veut revenir sur le terrain, mais celle d’un homme qui cherche à s’aimer à nouveau. Le dernier épisode clôt cette première saison de manière ouverte, sans chercher la morale facile. La question de la rédemption reste en suspens. Peut-on vraiment changer quand tout part d’un mensonge ? Russ a peut-être retrouvé un peu d’humilité, mais son double, Chad, continue de planer comme une ombre. La série laisse entendre que cette confusion entre vérité et rôle ne disparaîtra pas si vite. C’est peut-être ce qui rend ce final touchant : rien n’est vraiment réglé, tout reste bancal, mais sincère.
D’un point de vue formel, la mise en scène alterne entre le réalisme des matchs et le ton presque caricatural des scènes hors terrain. Ce contraste crée une atmosphère étrange, où chaque instant semble à la fois vrai et faux, comme la vie de son protagoniste. La bande sonore, discrète, soutient cette oscillation entre drame et dérision, tandis que le montage joue souvent sur des ruptures de ton brutales, accentuant le décalage entre les deux identités de Russ. Ce que j’ai apprécié dans Chad Powers, c’est sa manière d’assumer son absurdité tout en cherchant une vérité émotionnelle. La série n’essaie jamais de convaincre qu’elle est crédible ; elle se contente d’être juste.
Et c’est dans cette honnêteté paradoxale que se trouve sa force. Les moments les plus drôles naissent de la gêne, pas du gag. Les scènes les plus émouvantes, de la maladresse plutôt que du pathos. La saison 1 ne révolutionne pas la comédie télévisée, mais elle trouve un ton à part : ni feel-good à la Ted Lasso, ni satire cruelle à la Eastbound & Down. Elle explore une zone intermédiaire où le ridicule devient un moyen de parler de la honte, du regret et du besoin de recommencer. Glen Powell, en concevant le projet, semble s’être offert un terrain d’expérimentation : celui d’un homme qui se cache derrière l’humour pour aborder sa propre vulnérabilité.
En refermant cette première saison, j’ai eu le sentiment d’avoir assisté à une comédie qui ose l’imperfection. Rien n’y est totalement abouti, mais tout paraît volontairement désaligné, comme si la série voulait reproduire l’état d’esprit de son héros. La fin n’apporte pas de catharsis, mais une forme de lucidité tranquille : la rédemption ne se gagne pas en jouant un rôle, elle commence quand le masque devient trop lourd à porter.
Note : 6.5/10. En bref, la saison ne révolutionne pas la comédie télévisée, mais elle trouve un ton à part : ni feel-good à la Ted Lasso, ni satire cruelle à la Eastbound & Down. Elle explore une zone intermédiaire où le ridicule devient un moyen de parler de la honte, du regret et du besoin de recommencer.
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