28 Octobre 2025
Il y a dans The Ridge quelque chose d’immédiatement dérangeant. Pas dans le sens d’un choc visuel ou d’une violence gratuite, mais dans cette manière lente et insidieuse de faire glisser le spectateur sur un terrain instable, presque brumeux, où la frontière entre vérité et délire devient poreuse. La série, coproduite par BBC et Sky New Zealand, installe dès son premier épisode un climat d’incertitude que rien ne viendra vraiment apaiser. L’histoire suit Mia Beaton, une anesthésiste écossaise dont la vie s’effondre après une erreur dramatique sur la table d’opération. Ce drame, qui ouvre la série, agit comme une déflagration silencieuse.
Jeune médecin écossaise rongée par l'addiction au fentanyl, Mia fui l'Écosse et les accusations de faute professionnelle pour rejoindre sa soeur Cassy, en Nouvelle-Zélande. Mais lorsque le corps de Cassy est retrouvé dans une crevasse au coeur des montagnes et que le doute commence à s'installer sur les circonstances de sa mort, Mia est déterminée à découvrir ce qu'il s'est réellement passé sur cette mystérieuse montagne. Trouvant du réconfort auprès du fiancé de Cassy, Ewan, Mia développe peu à peu une attirance envers lui. Au sein d'une communauté sous tension et alors qu'elle découvre l'implication de Cassy et Ewan dans un conflit opposant agriculteurs et écologistes, Mia comprend qu'elle ne peut se fier à personne dans cette petite ville montagneuse.
Dans un mélange de honte, de peur et de dépendance, elle quitte Glasgow pour assister au mariage de sa sœur, Cassy, en Nouvelle-Zélande. Mais le voyage se transforme en cauchemar avant même l’atterrissage : un message vocal, deux mots prononcés dans la panique – « help me » – suffisent à faire basculer tout le récit. L’arrivée de Mia sur l’île donne le ton. Le décor semble apaisant, presque trop. Les montagnes du South Island, la lumière humide, les vallées couvertes de brume : tout évoque un refuge, mais la caméra s’attarde déjà sur les fissures. Cassy a disparu. Son corps est retrouvé au pied d’une falaise de Te Koi Ridge, et la communauté locale, étrangement pressée de classer l’affaire, conclut à un accident.
Rien, dans la manière dont Mia réagit, ne relève du deuil ordinaire. Elle refuse cette version, convaincue que quelque chose ne colle pas. Ce refus, plus viscéral que rationnel, devient le moteur du récit. Son enquête n’a rien d’un parcours méthodique : c’est une errance, celle d’une femme rongée par la culpabilité, la dépendance et un passé qu’elle n’a jamais su affronter. Lauren Lyle compose ici un personnage fracturé. Elle joue Mia comme un animal blessé : nerveuse, imprévisible, toujours à deux doigts de l’effondrement. C’est ce déséquilibre permanent qui maintient la tension, bien plus que le mystère policier lui-même.
La disparition de Cassy agit comme un révélateur. Tout ce que Mia croyait connaître de sa sœur se délite au fil des épisodes. L’activiste solaire et idéaliste qu’elle pensait retrouver apparaît plus complexe, parfois contradictoire. Une vidéo compromettante, un fiancé distant, une communauté refermée sur elle-même : The Ridge aligne les suspects sans jamais céder à la mécanique classique du whodunit. Ce qui m’a frappé, c’est la manière dont la série relie l’enquête à l’état mental de son héroïne. L’addiction de Mia, omniprésente mais jamais caricaturale, brouille sa perception. Ses découvertes semblent tour à tour lucides ou hallucinées, et chaque épisode pousse un peu plus loin cette ambiguïté.
Cherche-t-elle réellement la vérité, ou une forme de punition ? La série ne tranche pas, et c’est sans doute là sa force. Les scénaristes ont pris le parti de l’intériorité plutôt que du spectaculaire. Il n’y a pas de course-poursuite ni d’effusion de sang inutile. L’action se situe dans le regard de Mia, dans ses gestes hésitants, dans ces moments où la fatigue et le manque altèrent la réalité. The Ridge explore la psyché plus qu’elle ne résout un crime. Te Koi Ridge, le village où se déroule l’essentiel de l’intrigue, fonctionne comme un personnage à part entière. On y croise des visages fermés, des alliances tacites, des non-dits qui collent à la peau.
Le fiancé de Cassy, Ewan, incarne cette ambivalence : attentionné mais fuyant, il oscille entre chagrin sincère et défense instinctive d’un secret. Sa sœur Libby, policière du coin, incarne une autorité maladroite, plus soucieuse de préserver l’ordre que d’affronter la vérité. Le scénario construit une toile de relations où tout le monde semble lié à tout le monde, parfois par le sang, souvent par la honte. Une vieille femme souffrant de démence énonce des bribes de vérité que personne n’écoute. Des adolescents trafiquent des médicaments volés. Des agriculteurs voient leurs machines incendiées en pleine nuit. Ces détails, apparemment secondaires, nourrissent un malaise constant : celui d’une communauté qui s’effrite sous la surface du silence.
Ce que j’ai apprécié dans cette construction, c’est le refus du spectaculaire. Les tensions sociales et écologiques s’entremêlent à l’intime sans jamais basculer dans la caricature. Le conflit entre les militants environnementaux menés par Cassy et les fermiers du coin, exaspérés par leurs actions, donne une densité politique au récit sans l’écraser. La réalisation alterne entre réalisme brut et subjectivité déroutante. Dans les premiers épisodes, les mouvements de caméra sont nerveux, presque chaotiques. Ils traduisent l’état intérieur de Mia, mais finissent parfois par gêner la lecture du récit. Ce choix de mise en scène crée une proximité physique, presque viscérale, mais demande au spectateur de s’accrocher.
À mesure que l’histoire progresse, l’image se stabilise. Comme si, peu à peu, la série laissait le champ libre à la gravité des événements. Les paysages néo-zélandais, captés dans une lumière terne et bleutée, deviennent le miroir du trouble intérieur du personnage. Tout respire la mélancolie. Le vent, la pluie, le gris omniprésent : la nature ne sert pas de décor, elle agit comme une conscience muette qui observe sans intervenir. Ce contraste entre la beauté du lieu et la laideur des secrets qu’il abrite donne à The Ridge une tonalité particulière. C’est un thriller, oui, mais filtré à travers la solitude d’une femme en perdition.
Le cœur de la série, c’est Mia. Une femme abîmée, parfois insupportable, mais toujours crédible. Elle ment, elle manipule, elle se détruit. Pourtant, malgré ses failles, elle continue de chercher. Son obstination ne relève pas de la morale, mais de la survie. Ce qui rend ce personnage intéressant, c’est son rapport à la vérité : elle la veut, mais ne sait pas comment la recevoir. Elle agit souvent par impulsion, sans plan, sans prudence. Ses confrontations avec les habitants de Te Koi Ridge oscillent entre courage et désespoir. On sent chez elle une rage contenue, celle d’une femme qui refuse qu’on lui retire une fois de plus ce qu’elle aime.
Lauren Lyle parvient à exprimer cette dualité sans surjeu. Son visage fatigué, son regard fuyant, ses gestes nerveux suffisent à rendre tangible le combat intérieur. Certains moments, presque muets, sont parmi les plus justes : une main posée sur le cercueil de sa sœur, une nuit passée seule dans la morgue, un rire nerveux au bord des larmes. Les six épisodes déroulent leur mystère avec régularité, mais sans chercher la surprise à tout prix. L’enquête avance par couches successives, mêlant révélations du présent et souvenirs d’enfance. Les flashbacks introduisent la mère des deux sœurs, figure violente et destructrice, dont l’ombre plane sur tout le récit. Ce passé toxique explique en partie la dépendance de Mia et la colère de Cassy.
La mort de la sœur ne devient alors pas seulement une énigme à résoudre, mais une manière de refermer une blessure ancienne. C’est aussi là que The Ridge se distingue : la série ne cherche pas à innocenter son héroïne. Au contraire, elle l’oblige à affronter sa propre responsabilité dans ce chaos. En avançant vers sa conclusion, The Ridge ne cherche pas la cohérence parfaite. Certains fils restent suspendus, d’autres se referment dans le doute. Ce choix peut frustrer, mais il correspond à la logique du personnage : rien n’est net, rien n’est réglé. Mia ne trouve pas de paix, tout au plus un semblant de lucidité.
Ce qui reste après le générique final, c’est moins la révélation du coupable que l’impression d’avoir traversé un paysage intérieur. The Ridge parle de culpabilité, de dépendance, de famille, de mensonges — et de la manière dont tous ces éléments finissent par s’enchevêtrer jusqu’à étouffer la vérité. Il y a dans cette série une forme de modestie rare. Pas de volonté d’éblouir, pas d’effet spectaculaire, juste une tension continue qui repose sur l’humain. Le récit n’est pas exempt de maladresses : certaines scènes paraissent surjouées, quelques dialogues sonnent forcés, et la caméra tremblotante du début peut fatiguer. Mais l’ensemble tient, parce qu’il repose sur un personnage profondément cohérent dans son désordre.
Note : 6.5/10. En bref, The Ridge ne révolutionne pas le genre du thriller psychologique, mais elle réussit à créer une atmosphère qui reste en tête. Elle parle d’un effondrement personnel dans un lieu déjà fracturé, d’une enquête menée par quelqu’un d’aussi coupable que les autres. Et c’est sans doute ce qui la rend touchante : derrière le brouillard du suspense, il reste une histoire de sœurs, de blessures et de silence.
Prochainement en France
Retrouvez sur mon blog des critiques de cinéma et de séries télé du monde entier tous les jours
Voir le profil de delromainzika sur le portail Overblog