Critique Ciné : 27 nuits (2025, Netflix)

Critique Ciné : 27 nuits (2025, Netflix)

27 nuits // De Daniel Hendler. Avec Marilu Marini, Daniel Hendler et Humberto Tortonese.

 

Il y a dans 27 Nuits quelque chose d’à la fois intime et profondément politique. Le film de Daniel Hendler, s’inspire d’une histoire vraie : celle d’une femme âgée, riche et fantasque, internée contre sa volonté par ses propres filles sous prétexte de démence. À partir de ce drame, Hendler construit une comédie dramatique argentine pleine d’esprit, où le rire se mêle à une réelle réflexion sur la liberté, le vieillissement et la peur de perdre le contrôle — celui de sa vie, de son corps, de son argent. Martha Hoffmann, incarnée par Marilú Marini, est une octogénaire excentrique, mécène passionnée et collectionneuse d’art érotique. Veuve, elle vit seule dans un grand appartement rempli d’objets étranges et d’œuvres plus ou moins douteuses. 

 

Une millionaire âgée est contrainte par ses filles d'intégrer une clinique psychiatrique.

 

Martha est tout sauf une grand-mère modèle : elle aime boire, rire, sortir, danser et s’entourer de jeunes hommes. Son argent file à toute vitesse, tout comme sa vitalité. Mais cette liberté dérange. Ses deux filles, persuadées qu’elle n’a plus toute sa tête — ou plutôt inquiètes de voir leur héritage s’évaporer — décident de la faire interner dans une clinique psychiatrique, avec l’appui d’un rapport médical douteux. À partir de là, le film suit le duel entre Martha et Leandro Casares, un expert judiciaire chargé d’évaluer son état mental. Ce dernier, joué par Daniel Hendler lui-même, est un homme terne, réservé, presque invisible. Il vit encore avec son père, suit les procédures sans passion et ne comprend pas vraiment ce qu’il fait là. 

 

Jusqu’à ce que Martha, malicieuse et lucide, retourne la situation : c’est elle qui commence à le sonder, à diagnostiquer sa propre inertie. Sous ses airs de fable légère, 27 Nuits parle d’un sujet rarement traité avec autant d’humour : le droit de vieillir librement. Martha refuse d’être une victime, refuse qu’on lui retire sa capacité de choix. Sa façon d’exister – indisciplinée, généreuse, excessive – devient un acte de résistance. Le film pose une question simple mais essentielle : à partir de quel moment une personne âgée perd-elle le droit de faire ce qu’elle veut de sa vie et de son argent ? Est-ce la folie, ou simplement une société qui ne tolère pas qu’une vieille femme puisse encore vivre à sa manière ?


Cette réflexion, Hendler la fait passer sans lourdeur. Il préfère la dérision aux discours, les regards complices aux démonstrations morales. Le cœur du film repose sur la relation entre Martha et Leandro. Elle, exubérante, libre et provocante. Lui, coincé, anxieux, prisonnier d’une existence grise. Leur face-à-face donne lieu à des scènes drôles, parfois touchantes, où les rôles s’inversent : la supposée “folle” devient thérapeute, et l’expert, élève. Cette dynamique rappelle les comédies humanistes à la Harold et Maude, où deux êtres que tout sépare finissent par se comprendre. Hendler ne cache pas cette filiation, mais l’aborde à la manière sud-américaine, avec un humour teinté de mélancolie et une vraie tendresse pour ses personnages.

 

Martha apprend à Leandro ce que vivre veut dire, et lui, peu à peu, devient le témoin de son courage. Loin d’un simple rapport professionnel, leur lien évolue vers quelque chose de plus intime : une complicité sincère, une amitié intergénérationnelle inattendue. Le film alterne entre les 27 jours d’internement de Martha et son combat judiciaire après sa libération. Ce choix de structure, parfois déroutant, crée une tension intéressante entre les deux espaces : la clinique, froide et aseptisée, symbole d’enfermement ; et l’appartement de Martha, décoré comme un musée vivant, mais devenu une autre forme de prison. Chaque flashback rappelle la violence silencieuse de la privation de liberté, même lorsqu’elle est déguisée en procédure médicale. 

 

Hendler filme ces moments avec une sobriété qui contraste avec l’exubérance du reste du film. Ce va-et-vient entre passé et présent peut troubler la fluidité du récit, mais il donne aussi une profondeur émotionnelle inattendue. Visuellement, 27 Nuits a un vrai sens de la composition. Le directeur de la photographie Julián Apezteguia joue sur les contrastes : lumière blanche et froide de la clinique contre chaleur orangée et saturée du monde de Martha. L’esthétique est maîtrisée, presque trop. Par moments, le film donne l’impression d’être enfermé dans sa propre élégance, comme s’il craignait de se salir les mains avec les aspects les plus durs de son sujet. Cette distance formelle empêche parfois l’émotion d’éclater pleinement.

 

Le montage, signé Nicolás Goldbart, maintient un bon rythme malgré la narration éclatée, et la musique de Pedro Osuna accompagne avec légèreté les transitions entre comédie et drame. Difficile d’imaginer une autre actrice que Marilú Marini pour incarner Martha Hoffmann. À plus de 80 ans, elle apporte au personnage une énergie désarmante. Entre insolence et fragilité, elle fait exister cette femme comme un feu d’artifice, toujours prête à brûler plutôt qu’à s’éteindre. Face à elle, Daniel Hendler, plus discret, campe un Leandro maladroit, parfois touchant, parfois irritant, mais toujours humain. Leur duo fonctionne grâce à cette tension : elle déborde, lui retient. Elle provoque, il observe.

 

Et de ce déséquilibre naît une vraie justesse. 27 Nuits ne se contente pas de raconter une histoire individuelle. Derrière le cas de Martha, le film vise plus large : le contrôle social exercé sur les femmes âgées, surtout lorsqu’elles sont riches et indépendantes. Les filles de Martha ne sont pas des monstres, mais des produits d’un système patriarcal qui confond protection et appropriation. Leur peur de la “folie” maternelle cache surtout une angoisse : celle de perdre la main sur l’argent et sur l’image de la famille. Tout n’est pas réussi dans 27 Nuits. Le ton hésite parfois entre satire et mélodrame, et la mise en scène reste sage là où elle aurait pu oser davantage. Pourtant, quelque chose résiste dans ce film : une sincérité.


Hendler filme avec empathie, sans pitié ni condescendance. Son film rappelle que la vieillesse n’est pas une maladie, et que vouloir vivre encore pleinement, aimer, dépenser, s’amuser, n’a rien d’une folie. En refermant cette histoire, une idée persiste : Martha n’est pas seulement un personnage, mais un symbole de liberté. Et dans un monde qui classe les gens dès qu’ils dépassent un certain âge, ce simple geste — revendiquer le droit d’exister autrement — devient un acte révolutionnaire.

 

Note : 6/10. En bref, 27 Nuits explore avec sensibilité la question de la liberté et de l’âge à travers le portrait d’une octogénaire excentrique, mais malgré ses belles intentions et ses acteurs justes, le film reste parfois enfermé dans sa mise en scène sage et son rythme inégal.

Sorti le 17 octobre 2025 directement sur Netflix

 

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