29 Octobre 2025
Après avoir disséqué la télé-poubelle avec Culte : Loft Story, Prime Video s’est dit qu’il fallait continuer à recycler les années 90. Cette fois, place aux 2Be3, ces héros huilés d’un temps où la pop française se vivait en gel coiffant et en chorégraphies de salle de sport. Autant dire que le sujet avait du potentiel : gloire express, virilité marketée, innocence télévisuelle… Mais à l’écran, la promesse tourne court. Culte : 2Be3 ne raconte pas un mythe, elle le peigne à rebrousse-poil — et sans imagination. La série démarre sur de bons rails : trois copains de Longjumeau qui rêvent de fuir la grisaille des HLM en chantant faux mais en dansant fort. Jusque-là, tout va bien.
Longjumeau, 1996. Filip, Adel et Frank, meilleurs amis de toujours, rêvent de franchir les murs de leur ville de banlieue. Partis de rien mais portés par une volonté hors normes et des corps de statues grecques, ils vont tordre le bras au destin pour devenir les 2Be3 : le tout premier boys band français, les héros d’une France trop heureuse de tomber amoureuse de ces trois garçons qui lui ressemblent. Fans en délire, concurrence ultra agressive, surexposition médiatique… Plongés dans le tourbillon du succès, ils vont aussi faire l’expérience d’une industrie impitoyable qui ne voit en eux qu’un produit jetable. Parviendront-ils à survivre à leur rêve et rester fidèles à leur amitié ?
Mais très vite, la machine à nostalgie se grippe. Les années 90 sont réduites à un décor Ikea : des téléphones à clapet, des posters collés au scotch et une bande-son qui semble sortie d’un karaoké de centre commercial. On attendait une plongée dans une époque, on a droit à une reconstitution d’exposition temporaire. Là où la première saison de Culte savait tirer du vide télévisuel une réflexion sur la société, celle-ci se contente de dérouler les clichés. Les 2Be3 sont filmés comme des figurines d’époque, coincées entre deux chorés et un ralenti sur fond de brume artificielle. La nostalgie ne sert pas à raviver un souvenir, mais à vendre un parfum « été 96 ».
Six épisodes plus tard, rien n’a vraiment décollé. On survole l’histoire du groupe comme un magazine people feuilleté dans une salle d’attente. Un genou blessé ici, une crise d’égo là, une dispute dans une boîte de nuit — toujours les mêmes refrains, sans jamais la note juste. Chaque séquence semble avoir été cochée sur un cahier des charges : “scène triste”, “moment d’amitié”, “plan torse nu”. On se croirait devant une simulation de série. Le plus frustrant, c’est que le matériau était riche. Derrière les sourires Colgate, il y avait des questions passionnantes : l’exploitation du corps masculin, la fabrication du désir, la marchandisation de la jeunesse. Rien de tout cela n’est exploré. À la place, la série choisit la voie la plus fade : raconter une amitié.
Pourquoi pas. Mais encore faut-il qu’elle soit vivante. Ici, même la bromance semble sortie d’un communiqué de presse. Côté casting, l’intention est bonne. Marin Judas campe un Frank Delay touchant par moments, Namory Bakayoko (Adel) fait le job, et Antoine Simony (Filip) tente d’y croire. Sauf que tout le monde joue dans une autre série. La mise en scène hésite entre le clip TF1 et le téléfilm du dimanche. Résultat : les acteurs semblent pris au piège d’un biopic PowerPoint, où chaque émotion est remplacée par un effet de lumière. Et quand les seconds rôles débarquent, c’est le festival. Daphné Bürki, méconnaissable en directrice artistique hystérique, semble sortie d’une parodie de Palace.
Grégory Montel, en patron de label, fume des clopes, ricane et crache des phrases dignes d’un sketch de Canal+ des années 2000. On a compris : l’industrie du disque, c’était méchant. Pas besoin d’en faire une caricature de dessin animé. Peut-être que le problème vient de là : la série a peur de son sujet. Frank Delay et Adel Kachermi ont participé à l’écriture, accompagnés de la veuve de Filip Nikolic. Forcément, difficile de gratter la surface quand ceux qui ont vécu l’histoire sont dans la salle de montage. Tout est traité avec des gants blancs. Résultat : un récit poli, presque pudique, là où il aurait fallu un regard cru, voire un peu cruel.
On sent que Culte : 2Be3 ne veut froisser personne. Le problème, c’est qu’à force de vouloir être gentil, la série devient transparente. Lisse comme un torse de boys band sous projecteur. L’esthétique est soignée — trop soignée. Chaque plan respire le calcul visuel. Les chorégraphies sont chorégraphiées (c’est dire), les décors trop propres pour sentir la sueur de l’époque, et la bande-son donne envie de baisser le volume. À force de vouloir reconstituer le mythe, la série oublie de le comprendre. Là où les 2Be3 incarnaient une énergie naïve, presque accidentelle, Culte leur colle une cohérence rétroactive. Tout semble prémédité, pensé pour raconter un message qu’ils n’ont probablement jamais formulé.
C’est le paradoxe : la série veut rendre hommage à la spontanéité, mais elle le fait avec la rigueur d’un comité de direction. Et puis, miracle : dans les dernières minutes, la série s’arrête de surjouer. Les deux survivants du groupe, Adel et Frank, apparaissent face caméra, sans filtre. Ils évoquent la perte de Filip, le vide laissé, la fin d’une époque. Ce sont les seules minutes où le vernis craque, où la sincérité perce enfin.
Soudain, tout ce qui précédait paraît encore plus artificiel. Ces quelques images d’archives suffisent à prouver que le réel, lui, a toujours plus de puissance que n’importe quel script.
On sort de là avec un goût amer : celui d’un docu qu’on aurait préféré voir à la place de cette fiction sous perfusion. L’idée de Culte, au départ, avait du génie : revisiter la pop culture française en décortiquant ses grands mythes. La première saison sur Loft Story fonctionnait justement parce qu’elle osait la réflexion. Elle ne se contentait pas de mimer l’époque, elle la disséquait. Ici, tout se fige. Au lieu d’un regard, on a une imitation. Au lieu d’une analyse, un album Panini. Ce n’est pas de la nostalgie, c’est du vintage sous cellophane. Même la mise en scène semble fatiguée de jouer à la machine à remonter le temps. Tout est propre, calibré, conforme à ce qu’on imagine d’une série Prime Video.
Mais la culture populaire, celle qu’on prétend célébrer, a toujours été bordélique, excessive, mal cadrée. Culte : 2Be3 aurait gagné à se salir un peu les mains. Reste la trace d’un phénomène. Les 2Be3, qu’on les aime ou pas, ont incarné quelque chose : l’idée qu’un trio de banlieue pouvait devenir une icône nationale, sans autre arme que la bonne humeur et la muscu. La série le rappelle, sans en faire grand-chose. Pas d’analyse sur la classe sociale, pas de question sur la place du corps masculin dans la culture pop. Juste des flashbacks bien rangés et des torses bien cadrés. Au final, Culte : 2Be3 ressemble à un tube eurodance remixé par un algorithme : ça brille, ça bouge, mais ça sonne creux.
La saison se regarde, certes. Mais comme on regarde une vieille cassette VHS : pour se rappeler qu’on a déjà vu mieux. Le seul vrai mérite de la série est peut-être de rappeler que, sous les paillettes et les refrains, il y avait des vies réelles. Des garçons qui ont cru à une promesse — celle de la gloire éternelle — et qui n’ont trouvé que le silence. C’est triste, mais c’est la vie. Et dans cette histoire, le culte, c’est peut-être celui du format lui-même : l’illusion qu’en racontant les idoles, on devient un peu idolâtre à son tour.
Note : 3.5/10. En bref, Culte : 2Be3, c’est six épisodes pour prouver qu’on peut transformer la sueur des années 90 en eau tiède sur Prime Video.
Disponible sur Amazon Prime Video
Amazon n’a pas encore renouvelé Culte pour une saison 3 à l’heure où j’écris ces lignes.
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