28 Octobre 2025
Le true crime n’a jamais été aussi présent sur les plateformes de streaming. Entre fascination et malaise, ces récits de crimes réels attirent un public toujours plus large, souvent au risque de transformer la violence en divertissement. Dans ce paysage saturé d’images et de récits, Devil in Disguise: John Wayne Gacy, la mini-série en huit épisodes disponible sur Peacock, choisit une voie différente. Elle ne cherche pas à séduire, ni à choquer. Elle explore, au contraire, la banalité du mal et la responsabilité collective qui a permis à un tueur en série d’agir dans l’indifférence pendant des années.
De 1972 à 1978, trente-trois jeunes hommes ont été enlevés, assassinés, puis enterrés dans le vide sanitaire sous la maison de leur meurtrier. Et pendant des années, personne ne s’en est douté. Pourquoi ? Parce qu’il était charmant et drôle. Il avait un bon travail et était considéré comme un leader dans sa communauté. Il faisait même du bénévolat pour divertir des enfants malades… déguisé en clown.
La série s’ouvre sur la disparition du dernier jeune homme enlevé par John Wayne Gacy, au cœur des années 1970. C’est le point de départ d’une enquête haletante qui durera dix jours, avant la découverte de l’horreur cachée sous les fondations de sa maison. Plutôt que de dérouler un récit linéaire, Devil in Disguise choisit de naviguer entre les époques : l’enquête, le procès, l’enfance de Gacy, sa vie d’entrepreneur jovial, et sa fin en prison en 1994. Ce choix narratif ne cherche pas à excuser ni à comprendre son geste à tout prix, mais à exposer les zones d’ombre qui entourent un homme capable de se fondre dans la société tout en dissimulant le pire.
Ce va-et-vient temporel souligne à quel point la monstruosité ne naît pas dans l’isolement. Elle s’inscrit dans un contexte : une époque, un système policier débordé, et une société prête à fermer les yeux sur ce qui dérange. De nombreuses productions récentes ont fait le choix d’entrer dans la tête des tueurs, au risque de les rendre presque fascinants. Devil in Disguise s’en écarte volontairement. Le personnage de John Wayne Gacy, interprété par Michael Chernus, n’a rien du tueur charismatique ou du génie du mal. Il apparaît tel qu’il était : banal, socialement intégré, capable de jouer les bons voisins tout en cachant une part d’horreur absolue.
Cette approche change profondément la perception. Elle ôte au tueur toute aura de mystère ou de pouvoir. Il n’est pas un anti-héros, juste un homme dont la normalité effraie davantage que ses crimes. Cette absence de séduction visuelle ou psychologique participe à désamorcer l’un des plus grands pièges du genre : la fascination morbide. Gacy n’est pas montré en action, les meurtres ne sont pas filmés, et son fameux costume de clown n’apparaît jamais à l’écran. Ce silence visuel crée une tension particulière. Le spectateur imagine, reconstitue, comprend sans qu’on lui impose la vision directe de l’horreur. Ce qui rend la série plus humaine, c’est la place donnée aux victimes et à leurs proches.
Chaque épisode rappelle que derrière les faits divers, il y a des vies interrompues, des familles détruites, des visages oubliés. Les réalisateurs font le choix de montrer les conséquences : les mères épuisées par des mois de silence policier, les parents à qui l’on répète que leurs fils ont probablement fugué, les enquêteurs rongés par la culpabilité de ne pas avoir agi plus tôt. Cette approche évite le sensationnalisme tout en restituant la violence réelle de l’affaire. Ce ne sont pas les crimes eux-mêmes qui heurtent, mais ce qu’ils laissent derrière : un vide immense, des regrets, et une colère sourde contre un système qui n’a pas su protéger.
À la fin de chaque épisode, un hommage aux victimes rappelle leurs noms, leurs âges, leurs visages. Ce choix structurel replace l’humain au cœur du récit. Gacy n’est plus le centre du monde ; ce sont ceux qu’il a détruits qui prennent la lumière. Au-delà du portrait du tueur, Devil in Disguise raconte aussi les failles d’une société qui a préféré croire à l’innocence d’un homme apparemment respectable plutôt qu’à la détresse des disparus. Les années 1970 aux États-Unis étaient marquées par une méfiance envers la jeunesse, une homophobie latente, et une police peu réceptive aux alertes venant des marges. Les victimes de Gacy, souvent jeunes, vulnérables ou rejetées, ont été invisibilisées avant même d’être retrouvées.
La série montre comment l’enquête avance grâce à la persévérance de quelques individus : des policiers, des parents, des procureurs qui refusent de céder au doute. Ce sont eux les véritables protagonistes. L’histoire ne célèbre pas un « génie du crime », mais ceux qui ont refusé de laisser le silence s’installer. Sur le plan visuel, Devil in Disguise installe une atmosphère pesante. La photographie joue avec les ombres, la pluie, les ruelles désertes, tout en évitant l’esthétique du film noir outrancier. L’ambiance évoque la peur diffuse d’une Amérique où tout semble normal en apparence. Les décors, les costumes et la musique restituent fidèlement la période sans nostalgie excessive.
Il n’y a pas de romantisation du passé : seulement une reconstitution précise, qui ancre le spectateur dans la réalité d’une époque où la parole des victimes valait souvent moins que les apparences sociales. Cette retenue visuelle renforce la crédibilité de la série. Elle repose davantage sur la tension psychologique que sur le choc ou le sang. Ce choix rend la peur plus viscérale : elle vient de ce qu’on devine, pas de ce qu’on voit. Le casting de Devil in Disguise soutient cette approche réaliste. Michael Chernus incarne un Gacy sans relief héroïque, presque terne, et c’est précisément ce qui dérange. Les seconds rôles ajoutent de la profondeur : Gabriel Luna en enquêteur obstiné, Chris Sullivan en procureur épuisé, et Marin Ireland en mère dévastée.
Chacun d’eux représente un angle de la tragédie : la quête de justice, la fatigue morale, la douleur impossible à apaiser. Cette pluralité de points de vue empêche toute lecture unique. La série n’essaie pas d’expliquer Gacy par la psychologie ou par un diagnostic. Elle accepte de laisser certaines questions ouvertes. Était-il malade ? Calculateur ? Les deux ? La série ne tranche pas, et c’est justement là que réside sa force : refuser de réduire le mal à une étiquette. Certains épisodes ralentissent le rythme. L’enquête se perd parfois dans les digressions temporelles, les émotions prennent le pas sur la progression de l’intrigue. Pourtant, cette lenteur a un sens.
Elle reflète la complexité d’un dossier où chaque révélation s’accompagne d’un poids moral. Rien n’est gratuit : même les scènes les plus calmes portent en elles le souvenir de ce qui a été perdu. Ce déséquilibre narratif peut frustrer, mais il rend l’expérience plus honnête. La série ne cherche pas à divertir à tout prix. Elle veut faire ressentir le temps long du deuil, de la recherche, de la culpabilité. Ce que retient Devil in Disguise, au-delà de la reconstitution historique, c’est la question du regard. Comment un tel homme a-t-il pu agir si longtemps sans être inquiété ? La série invite à regarder au-delà du monstre individuel, vers les mécanismes qui l’ont rendu possible : la complaisance, la peur du scandale, la tendance à ignorer ce qui dérange.
Le véritable sujet n’est pas Gacy lui-même, mais le monde qui l’a laissé prospérer. C’est cette lecture qui distingue la série des nombreuses productions sur les tueurs en série. Elle déplace la focale : du spectaculaire vers le structurel, du tueur vers la société. Et dans ce déplacement, elle parvient à redonner du sens à un genre souvent vidé de sa substance. Devil in Disguise: John Wayne Gacy n’essaie pas de renouveler le true crime, mais de le réorienter. Elle rappelle que derrière les récits de tueurs en série, il existe toujours des absences, des silences, des complicités involontaires. Ce n’est pas une série qui cherche à plaire, mais à questionner : comment un homme apparemment ordinaire a pu commettre l’irréparable, et pourquoi personne ne l’a vu venir.
Note : 7.5/10. En bref, en refusant la glorification et le spectaculaire, cette mini-série propose une approche plus éthique du crime réel. Elle redonne la parole à ceux qu’on a fait taire, et rappelle que le vrai mal ne réside pas seulement dans l’acte, mais dans tout ce qui permet qu’il se reproduise.
Prochainement en France
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