27 Octobre 2025
La mini-série Montmartre s’inscrit dans la continuité des grandes fresques historiques que la chaîne semble affectionner depuis quelques années. Après Le Bazar de la Charité ou Les Combattantes, TF1 s’aventure une nouvelle fois dans un XIXᵉ siècle fantasmé, oscillant entre mélodrame familial et chronique sociale. J’ai regardé l’intégralité des huit épisodes, et cette expérience m’a laissé une impression contrastée : à la fois curieuse de ce que la fiction voulait raconter et frustrée par la manière dont elle s’y prend.
L’histoire se déroule à Paris en 1899, dans un quartier de Montmartre encore bouillonnant, à la croisée des mondes populaires et artistiques. C’est dans ce décor que l’on suit Céleste, incarnée par Alice Dufour. Ouvrière dans une fabrique, elle se retrouve presque malgré elle propulsée sur la scène d’un cabaret, L’Éléphant Rose. Son parcours, entre résilience et désillusion, repose sur une double quête : celle de ses frères et sœurs disparus et celle de son propre avenir dans un monde où les femmes ont peu de marge pour choisir leur destin. Ce point de départ aurait pu donner lieu à un récit fort, explorant la condition féminine à la Belle Époque à travers un prisme intime.
Mais le scénario, signé Brigitte Bémol et Julien Simonet, s’éparpille entre intrigues secondaires et rebondissements appuyés. L’émotion est là, parfois, mais elle se perd vite dans un enchaînement de situations prévisibles. Le cabaret est évidemment le cœur battant de la série. Montmartre tente de recréer cette atmosphère faite de poudre, de plumes et de désirs inavoués. L’idée d’aborder la naissance du spectacle moderne, entre érotisme suggéré et liberté artistique, avait du potentiel. Certaines scènes de danse rappellent à quel point la scène parisienne de la Belle Époque fut un espace d’émancipation et de scandale.
Mais la mise en scène, trop lisse, atténue ce qui aurait pu être la vraie force du récit : la tension entre fascination et hypocrisie morale. Les chorégraphies sont bien exécutées, mais elles manquent d’une véritable énergie de transgression. Tout semble un peu trop sage, comme si la caméra hésitait à montrer ce que le propos sous-entend. Céleste n’est pas seule dans cette aventure. La série déploie autour d’elle un trio familial éclaté. Arsène, son frère, devenu ingénieur dans un milieu bourgeois, cache son homosexualité dans une société où cela reste un tabou. Rose, la plus jeune, est piégée dans un bordel après avoir été trompée par un homme.
Et Céleste, entre les deux, tente désespérément de rassembler ce qui reste de leur famille. Cette structure aurait pu porter une réflexion sur la fracture sociale et les différentes façons de survivre à la misère. Malheureusement, les arcs narratifs se développent de manière inégale. L’écriture cherche souvent le choc émotionnel plutôt que la subtilité. Certains retournements paraissent forcés, notamment dans la manière dont les personnages découvrent leurs origines ou réagissent à leurs secrets. J’ai eu le sentiment que la série voulait tout dire à la fois : parler d’amour, de liberté, de morale, de politique, de patriarcat. En voulant embrasser trop de thèmes, elle finit par en effleurer beaucoup sans jamais les approfondir.
Côté visuel, Montmartre affiche de réelles ambitions. Les costumes témoignent d’un vrai soin dans les textures et les couleurs. Les robes, corsets et uniformes traduisent bien la hiérarchie sociale du Paris de 1899. De même, la direction artistique s’efforce de recréer les rues du quartier mythique, ses cabarets, ses cafés et ses ruelles pavées. Pourtant, malgré ces efforts, je n’ai jamais vraiment cru à ce Paris reconstitué. Les décors ont souvent un aspect figé, presque théâtral. La caméra filme les lieux comme des plateaux plutôt que comme un environnement vivant. On sent le décor avant de sentir la ville. Le résultat est paradoxal : la série se veut immersive, mais l’œil reste constamment conscient du faux.
L’un des points qui m’a le plus dérangé est la manière dont la série joue avec les anachronismes. Les dialogues, parfois très contemporains, détonnent avec l’époque qu’ils sont censés représenter. Les expressions modernes, les attitudes ou même certains costumes donnent par moments l’impression d’une relecture trop actuelle de la Belle Époque. Je comprends la volonté de rendre l’histoire accessible à un public d’aujourd’hui, mais cela se fait souvent au détriment de la cohérence historique. Ce choix affaiblit la crédibilité de l’ensemble. Là où d’autres séries britanniques ou italiennes parviennent à moderniser la forme tout en respectant le fond, Montmartre hésite entre reconstitution et fiction contemporaine travestie.
Louis Choquette, à la réalisation, signe une mise en scène efficace sur le plan technique, mais sans relief particulier. Certaines séquences de cabaret sont bien rythmées, mais d’autres scènes manquent cruellement d’intensité. Les dialogues s’étirent, les transitions paraissent abruptes et les émotions ne montent jamais vraiment. J’ai souvent eu l’impression que la série se battait contre elle-même : entre le désir d’être une grande fresque historique et celui de rester un divertissement familial du soir. Résultat, le ton varie sans cesse, ce qui empêche d’entrer pleinement dans le récit.
Le casting réunit pourtant des visages intéressants. Alice Dufour donne à Céleste une fragilité sincère, mais son jeu manque parfois de naturel. Victor Meutelet, en Arsène, apporte un peu de profondeur à son personnage, notamment dans les scènes où il doit masquer ce qu’il est. Hugo Becker, en inspecteur Blanchard, peine à imposer une véritable présence. Dans l’ensemble, j’ai trouvé la distribution correcte, mais desservie par des dialogues trop explicatifs. Le texte ne laisse pas assez de place au non-dit. Tout est dit, souvent de manière frontale, ce qui enlève beaucoup de nuances.
La mini-série Montmartre semble parfois prisonnière de ses références. Elle emprunte au Moulin Rouge! de Baz Luhrmann son goût pour la démesure, aux sagas françaises du XIXᵉ siècle leur tonalité romanesque, et aux feuilletons modernes leur construction en cliffhangers. Mais dans cette accumulation, elle perd sa propre identité. Ce qui manque surtout, c’est une vision claire. La série évoque la Révolution française, la morale bourgeoise, la prostitution, la censure, l’érotisme, le progrès technique… mais sans fil conducteur solide. L’ensemble paraît construit pour cocher des cases plutôt que pour raconter une histoire incarnée.
Malgré ses maladresses, j’ai trouvé dans Montmartre une idée sous-jacente intéressante : celle de la reconstruction de soi dans un monde en mutation. Céleste, Rose et Arsène incarnent chacun une forme de survie face à une société rigide. Ce thème, s’il avait été traité avec plus de retenue et moins de pathos, aurait pu donner une mini-série marquante. La série dit aussi quelque chose, même involontairement, sur la manière dont la télévision française aborde l’Histoire. Elle préfère la rendre spectaculaire plutôt que complexe, visuelle plutôt que sociale. Et cela finit par produire une fiction qui distrait, certes, mais ne questionne pas vraiment.
Regarder Montmartre a été une expérience mitigée. J’y ai trouvé de la sincérité dans certaines intentions, un vrai désir de renouer avec le charme visuel de la Belle Époque, mais aussi un manque d’audace dans l’écriture et la mise en scène. Montmartre cherche à concilier grand spectacle et drame intime, mais se perd souvent entre les deux. Je ne regrette pas de l’avoir vue, car elle reflète un certain état du fictionnel français : ambitieux dans la forme, hésitant dans le fond. Ce n’est ni un raté complet ni une réussite éclatante, simplement un essai qui interroge la manière dont la télévision tente encore de faire rêver avec le passé.
Pour ceux qui s’intéressent à la Belle Époque ou à l’univers des cabarets, cette mini-série peut valoir le détour, à condition d’accepter ses failles. Pour ma part, j’en ressors avec un sentiment partagé : celui d’avoir regardé une œuvre pleine de bonnes intentions, mais qui, à force de vouloir plaire à tout le monde, finit par ne ressembler à personne.
Note : 4.5/10. En bref, Montmartre cherche à concilier grand spectacle et drame intime, mais se perd souvent entre les deux. Je ne regrette pas de l’avoir vue, car elle reflète un certain état du fictionnel français : ambitieux dans la forme, hésitant dans le fond.
Disponible sur TF1+
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