31 Octobre 2025
Découvrir une nouvelle série adaptée d’un roman de Mick Herron, c’est toujours un curieux mélange d’attente et de méfiance. Le souvenir de Slow Horses plane forcément, mais Down Cemetery Road prend un autre chemin. Ici, il ne s’agit pas d’agents déchus ni de missions d’État ratées, mais d’une femme ordinaire entraînée dans une histoire qui la dépasse. Les deux premiers épisodes installent un univers où l’intime et le politique se croisent dans un Oxford paisible en apparence, mais rongé par le secret. Sarah Trafford ne ressemble pas à une héroïne de polar.
Lorsqu’une maison explose dans la banlieue calme d’Oxford et qu’une enfant disparait par la suite, Sarah Tucker, une habitante du quartier, se met en tête de la retrouver et sollicite l’aide de la détective privée Zoë Boehm. Toutes deux se retrouvent au coeur d’une affaire complexe, dans laquelle des gens que l’on croyait morts depuis longtemps sont vivants, tandis que certains vivants trouvent très vite la mort.
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Restauratrice d’art, elle mène une existence bien rangée dans une ville où tout semble maîtrisé : la maison, le mari, les dîners qui se veulent élégants. Derrière cette façade, quelque chose se fissure. Le mariage s’étire, la conversation tourne en rond et le travail devient refuge. Sa capacité à reconnaître la main d’un peintre à un simple ton de bleu dit beaucoup sur elle : une attention au détail, un besoin d’ordre, mais aussi une sensibilité que personne ne remarque vraiment. Le ton de la série repose d’abord sur cette banalité du quotidien. Les gestes anodins — brûler un plat, hésiter sur la vaisselle à sortir — deviennent des signes d’un malaise plus profond.
Sarah n’est pas malheureuse, elle est simplement en veille. Et c’est cette inertie, ce besoin de sens, qui la pousse à s’intéresser à ce qui ne la regarde pas. Tout bascule en une soirée. Alors qu’elle reçoit des invités que son mari espère séduire pour un projet professionnel, la maison voisine explose. L’image est brutale, presque irréelle : une enfant est retrouvée vivante sous les décombres, Dinah Singleton. À partir de là, l’histoire glisse doucement du drame domestique vers le thriller politique. L’explosion agit comme un catalyseur. Sarah, encore choquée, se retrouve happée par une curiosité qu’elle ne parvient pas à justifier. Elle ne connaît pas la famille touchée, elle n’a rien à voir avec ce drame, et pourtant, quelque chose la retient.
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Peut-être parce que la petite fille qu’elle a croisée la veille, poursuivant un papillon, semble être la même que celle sortie des ruines. Ou peut-être parce que cet événement donne enfin à sa vie un point d’ancrage. Les démarches de Sarah pour obtenir des nouvelles de Dinah sont d’abord maladroites, presque naïves. Elle se heurte à des portes closes : à l’hôpital, le personnel reste muet, presque agressif. L’attitude du mari de Dinah, Gérard Inchon, ajoute une tension sourde. Son mépris, son assurance d’homme sûr de lui, contrastent avec l’inquiétude sincère de Sarah. Tout semble cloisonné, verrouillé.
Même les images de l’accident publiées dans la presse semblent trafiquées : la fillette a disparu d’une photo, effacée comme si elle n’avait jamais existé. C’est à ce moment que la série prend un tournant. Ce n’est plus seulement une affaire de voisinage ou de compassion. Sarah comprend que ce qu’elle a vu, ou croit avoir vu, dérange. Et que cette curiosité la place désormais dans une zone grise où plus rien n’est clair — ni les versions officielles, ni les intentions de ceux qui l’entourent. C’est presque par hasard que Sarah croise la route de Joe Silvermann, un détective privé à l’ancienne, et de Zoë Boehm, sa partenaire aussi lucide que caustique.
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Leur bureau poussiéreux, leurs méthodes artisanales, tout respire la débrouille et la fin de cycle. Mais leur duo fonctionne sur un équilibre fragile : Joe croit encore aux grandes histoires, Zoë garde les pieds sur terre. Leur rencontre avec Sarah apporte une énergie nouvelle. Elle, l’amatrice qui cherche la vérité sans savoir où elle met les pieds ; eux, les professionnels désabusés qui savent que les réponses coûtent cher. Leurs échanges ont la saveur d’un vieux polar britannique : ironiques, précis, un peu fatigués. Ce trio improvisé donne à la série un ton singulier, entre humour sec et tension diffuse. Derrière cette intrigue locale, une toile plus vaste se dessine.
Dans des bureaux anonymes du ministère, des hommes s’agitent, détruisent des dossiers, évoquent des opérations à étouffer. On comprend que l’explosion n’est pas un accident. Un fonctionnaire nerveux, Hamza Malik, se fait rabrouer par un supérieur qui parle comme un bourreau élégant. Ce décalage entre l’administration feutrée et la violence de leurs ordres donne au récit une ironie amère. Ces scènes ancrent Down Cemetery Road dans une tradition britannique du thriller politique : celle où le crime n’est jamais isolé, mais toujours relié à une hiérarchie, à une bureaucratie qui préfère manipuler les faits plutôt que d’en assumer les conséquences. Le rythme s’accélère dès l’ouverture du second épisode. Sarah devient plus obsédée, moins prudente.
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Elle suit des pistes, confronte des inconnus, se met en danger. Pendant ce temps, Joe paie le prix de son implication : retrouvé mort dans son bureau, mis en scène comme un suicide. Ce n’est pas seulement un choc narratif, c’est aussi la fin d’un équilibre. Le ton change. L’humour s’efface, la peur s’installe. Pour Sarah, c’est un point de non-retour. Elle comprend qu’elle n’a pas simplement remué des souvenirs ou dérangé des voisins, mais qu’elle a mis les pieds dans une affaire d’État. L’effacement de Dinah, les manipulations autour des preuves, les menaces à peine voilées : tout converge vers une organisation prête à tout pour garder le silence.
Avec la mort de Joe, Zoë passe de l’ironie à la colère. Son deuil devient moteur d’enquête. Là où Sarah agit par émotion, Zoë cherche la logique. Leur rencontre, après la tragédie, donne lieu à des scènes tendues mais justes : deux femmes que tout oppose, réunies par la même perte de repères. Ni l’une ni l’autre n’a la patience des procédures. Leur alliance ne tient qu’à un fil, mais elle permet au récit de respirer. Ensemble, elles tentent de reconstituer la chaîne des événements : le rôle de Gérard, la disparition de Dinah, le lien entre l’explosion et les services secrets. Peu à peu, elles réalisent que rien n’est fortuit. Et que la vérité sur la fillette pourrait bien révéler autre chose : une opération gouvernementale dissimulée derrière un drame domestique.
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La tension atteint son sommet quand Sarah comprend que son ami Rufus, celui qu’elle pensait pouvoir encore écouter, n’est pas celui qu’il prétend être. L’homme affable, amateur de bons mots, se révèle être Axel Crane, l’auteur de l’explosion et l’assassin de Joe. Cette révélation fonctionne parce qu’elle s’inscrit dans la continuité logique du récit. Les indices étaient là, discrets, dissimulés derrière le ton léger de certaines scènes. Le face-à-face entre Sarah et Axel renverse la dynamique. Elle n’est plus spectatrice, mais cible. Lui, sûr de son pouvoir, parle trop, persuadé de contrôler la situation. Sa manière de tuer — méthodique, presque banale — contraste avec l’ampleur des dégâts qu’il a causés.
L’arrivée d’un inconnu, le fameux “Stranger”, qui interrompt le meurtre d’une balle, ouvre une autre porte : celle d’un réseau plus large encore, où chaque acteur n’est qu’un pion. Ce qui frappe dans Down Cemetery Road, c’est la manière dont la série relie les traumatismes intimes à la manipulation institutionnelle. Sarah n’est pas une enquêtrice héroïque, mais une femme hantée par un passé qu’elle ne comprend qu’à moitié. Les dialogues, les silences, les gestes maladroits font ressentir ce désarroi sans insister. Chaque personnage semble traîner un reste de culpabilité ou de peur, même ceux qui prétendent avoir tout oublié. L’écriture joue sur cette ambiguïté permanente : que cherche vraiment Sarah ? La vérité sur Dinah ou une justification à son propre vide ?
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Sa quête devient une forme de thérapie, brutale et incertaine, dans un monde où la vérité n’a plus de place publique. Loin des thrillers où tout s’explique à coups de rebondissements, la série préfère avancer par glissements. Un mot, une photo, une contradiction suffisent à relancer le doute. Le montage lent, les teintes froides d’Oxford, la musique presque absente renforcent cette impression de distance. On n’assiste pas à une course-poursuite, mais à une dérive. Et c’est précisément ce rythme qui rend les deux premiers épisodes efficaces : il laisse le temps de s’attacher aux personnages avant de les fragiliser. Ce début de saison aborde des thèmes récurrents chez Mick Herron : la surveillance, la corruption, la perte de repères moraux.
Mais il y ajoute une dimension intime : comment une vie tranquille peut se fissurer au contact du mensonge d’État. Ce mélange entre espionnage et drame personnel crée un équilibre singulier, où l’émotion prime sur la démonstration. Les seconds rôles — qu’il s’agisse de Malik, soumis à son supérieur, ou de Wigwam, l’amie peut-être complice — participent à ce climat d’instabilité. Chacun semble cacher quelque chose, même les plus proches. Et plus Sarah avance, plus son entourage s’effrite. Après ces deux premiers chapitres, je ressors avec une impression de malaise intriguant. Le récit avance sans chercher à séduire, les dialogues sonnent justes, et les zones d’ombre s’accumulent sans réponse immédiate.
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Ce n’est pas une série qui cherche à briller par le rythme ou la surprise, mais par l’épaisseur de ses personnages. Sarah m’apparaît comme une figure de résistance involontaire, celle d’une femme qui refuse d’être spectatrice. Zoë, de son côté, représente une autre forme de lucidité, plus froide mais tout aussi fragile. Leur alliance à venir promet un récit plus tendu, plus humain aussi, où le danger vient autant de la manipulation que de la solitude. Down Cemetery Road débute comme un drame domestique et se transforme peu à peu en labyrinthe politique. Les deux premiers épisodes posent les bases d’un récit où l’intime devient politique et où la vérité se dérobe à mesure qu’on s’en approche. Rien n’y est spectaculaire, mais tout y est chargé de tension.
En suivant Sarah Trafford, j’ai eu le sentiment d’assister moins à une enquête qu’à un réveil. Et c’est sans doute ce qui rend cette adaptation intéressante : elle montre que le vrai danger, parfois, commence juste derrière la porte du voisin.
Note : 8/10. En bref, Down Cemetery Road débute comme un drame domestique et se transforme peu à peu en labyrinthe politique. Les deux premiers épisodes posent les bases d’un récit où l’intime devient politique et où la vérité se dérobe à mesure qu’on s’en approche. Rien n’y est spectaculaire, mais tout y est chargé de tension.
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