31 Octobre 2025
Hedda // De Nia DaCosta. Avec Tessa Thompson, Nina Hoss et Nicholas Pinnock.
Avec Hedda, Nia DaCosta revisite librement Hedda Gabler, la pièce d’Henrik Ibsen, en la transposant dans l’Angleterre des années 1950. L’exercice est périlleux, mais séduisant : redonner vie à une héroïne complexe, ici interprétée par Tessa Thompson, dans un cadre d’opulence et de contrôle social. J’ai trouvé le film à la fois intrigant, maîtrisé dans son atmosphère et souvent fascinant dans ses tensions, même si tout n’y fonctionne pas. C’est une œuvre où la beauté formelle dialogue sans cesse avec le trouble intérieur — et où la mise en scène, parfois trop calculée, finit par refléter la mécanique même du personnage principal.
Hedda se retrouve déchirée entre la douleur persistante d’un amour passé et l’étouffement silencieux de sa vie actuelle. Au fil d’une nuit chargée de tension, des désirs longtemps refoulés et des tensions cachées éclatent — entraînant Hedda et tous ceux qui l’entourent dans une spirale de manipulation, de passion et de trahison.
Dès les premières minutes, le film impose une ambiance singulière. Un vaste manoir, un couple tout juste rentré de lune de miel, et l’impression d’un bonheur déjà fissuré. Hedda, issue d’une bonne famille mais rongée par l’ennui, s’est mariée à George Tesman (Tom Bateman), un universitaire sans éclat, surtout utile pour lui offrir un statut. Le hic, c’est que le faste de leur nouvelle vie repose sur un château de dettes. DaCosta installe rapidement les enjeux : un poste de professeur à décrocher, une soirée à organiser, des invités triés sur le volet. En surface, tout semble parfaitement orchestré.
En réalité, cette fête mondaine devient une arène où chacun avance masqué, où les rapports de pouvoir se rejouent entre les coupes de champagne et les regards en coin. J’ai beaucoup aimé la manière dont la réalisatrice fait du manoir un véritable personnage : un espace à la fois somptueux et étouffant, comme si les murs eux-mêmes observaient la décadence qui s’y déroule. Tessa Thompson incarne une Hedda à la fois froide et brûlante. Sa diction précise, presque tranchante, donne au personnage une allure théâtrale assumée. Elle sourit peu, observe beaucoup, et manipule tout le monde comme si le monde n’était qu’un jeu de stratégie dont elle détiendrait les règles.
Ce qui m’a frappé, c’est la manière dont DaCosta et Thompson traduisent le vide intérieur du personnage. Sous la façade du contrôle, Hedda cherche désespérément à ressentir quelque chose. C’est dans ce manque — plus que dans ses actes — que réside la véritable tension du film. Et puis il y a cette idée, toujours présente en filigrane, que son pouvoir repose sur sa capacité à provoquer le chaos autour d’elle. Quand elle décide d’inviter son ancienne amante, Eileen Lovborg (interprétée par la fascinante Nina Hoss), tout le fragile équilibre du film vacille. La mise en scène de Hedda repose sur une construction en chapitres. Cinq actes, cinq descentes successives vers la perte de contrôle.
Ce choix m’a semblé pertinent : il renforce le côté théâtral de la narration tout en marquant la lente désagrégation de cette soirée mondaine. Cependant, DaCosta trahit un peu trop vite son jeu : le film s’ouvre sur une scène tirée du dernier acte, révélant dès le départ que la mort rôde. Ce parti pris enlève une part de suspense, même si la tension dramatique reste palpable. Sur le plan visuel, la photographie de Sean Bobbitt est souvent superbe — surtout dans la façon dont elle joue avec les reflets, la fumée, la lumière dorée des chandeliers. Pourtant, j’ai parfois regretté la distance que la caméra maintient avec ses personnages.
Certaines scènes auraient gagné à être plus intimes, plus viscérales. Là où DaCosta excelle, en revanche, c’est dans la chorégraphie des corps : Hedda qui traverse la pièce, un verre à la main, pour rejoindre Eileen sur la piste de danse, c’est sans doute le moment le plus fort du film. Un double mouvement de désir et de domination, capturé dans un travelling qui évoque presque Spike Lee. Le travail sonore joue un rôle central dans Hedda. Hildur Guðnadóttir, déjà connue pour ses compositions puissantes, signe ici une bande originale ample et texturée. Mais j’avoue qu’elle m’a parfois semblé trop présente.
Chaque geste de Hedda, chaque regard calculé, semble accompagné d’une nappe sonore qui souligne l’émotion au lieu de la laisser exister. Cette surenchère musicale atténue un peu la force des silences, pourtant si essentiels dans une histoire où tout se joue dans le non-dit. C’est dommage, car quand la musique se fait plus discrète, le film respire davantage. Les échanges entre Thompson et Hoss, notamment, gagnent alors une densité rare. Nina Hoss, dans le rôle d’Eileen, offre une performance d’une intensité impressionnante. Son arrivée change l’équilibre du film : là où Hedda domine, Eileen oppose la retenue. L’alchimie entre les deux actrices fonctionne immédiatement.
Imogen Poots, dans le rôle de Thea, apporte une douceur fragile, presque naïve, qui contraste avec la manipulation ambiante. Du côté masculin, les personnages sont moins développés : George reste terne, Brack (Nicholas Pinnock) trop fonctionnel, Greenwood (Finbar Lynch) purement utilitaire. Mais cette répartition des forces n’est pas un défaut en soi. Elle illustre le propos du film : un monde d’hommes où la seule vraie bataille se joue entre femmes, dans l’ombre du pouvoir. Hedda n’est pas un film parfait. Certains choix esthétiques manquent de fluidité, la mise en scène peut sembler distante, et la symbolique — notamment autour du pistolet et du manuscrit — reste un peu appuyée.
Mais j’ai trouvé l’ensemble cohérent, ambitieux, et porté par une vraie vision. Nia DaCosta ne cherche pas à moderniser Ibsen de manière gratuite ; elle l’interroge, elle le transpose, elle le confronte à des questions de genre, de désir, de pouvoir et de solitude. C’est une œuvre qui explore les contradictions humaines sans les résoudre, et qui préfère le trouble à la certitude. Le film n’atteint peut-être pas la grandeur qu’il vise, mais il dégage une authenticité rare dans ce genre d’exercice. Hedda est un drame d’intérieur où chaque regard devient une arme. C’est un film élégant, tendu, parfois frustrant, mais profondément habité.
Tessa Thompson y déploie une complexité fascinante, Nina Hoss la contrebalance avec une intensité bouleversante, et Nia DaCosta confirme qu’elle sait créer des univers denses, même quand sa mise en scène vacille. A la fin du film, j’avais la sensation d’avoir assisté à une expérience plus qu’à un simple film. Un bal masqué où chacun joue son rôle, jusqu’à ce que la vérité — ou la folie — éclate. Un film imparfait, certes, mais profondément vivant.
Note : 6/10. En bref, un drame élégant et maîtrisé où Tessa Thompson brille en femme prisonnière de ses propres manipulations, Hedda séduit par son atmosphère et sa complexité malgré une mise en scène parfois trop distante.
Sorti le 29 octobre 2025 directement sur Amazon Prime Video
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