Fate (2025) (Saison 1, 6 épisodes) : une comédie humaine sur la tradition et le hasard

Fate (2025) (Saison 1, 6 épisodes) : une comédie humaine sur la tradition et le hasard

Fate (La suerte. Una serie de casualidades en VO), est une série qui avance à contre-courant. Créée par Paco Plaza et Pablo Guerrero, cette fiction espagnole diffusée en six épisodes préfère s’attarder sur les détails du quotidien, les maladresses de la vie et les coïncidences qui transforment un parcours ordinaire en récit presque poétique. Ce n’est ni une série sur les taureaux ni une satire du monde qui les entoure, mais plutôt un regard attendri – et parfois désabusé – sur ce qu’il reste d’une tradition qui vacille entre fierté et anachronisme. L’histoire se déploie autour de deux personnages que tout semble opposer. David, chauffeur de taxi, vit au rythme d’une routine banale. 

 

Le chauffeur de taxi David devient le chauffeur d'un célèbre toreador connu sous le nom d'El Maestro, qui tente un retour après des années d'absence dans l'arène. La perspective d'El Maestro change, et il commence à considérer David comme un porte-bonheur.

 

Sa simplicité, parfois maladroite, en fait un témoin privilégié de la société qui l’entoure, sans jamais en être un acteur central. À l’inverse, El Maestro, ancien toreador vieillissant, porte en lui les restes d’une gloire passée. Il vit dans un monde qui n’existe plus, un espace fait de rituels, de respect et de gestes codifiés que la modernité a peu à peu effacés. Leur rencontre tient du hasard, mais c’est précisément là que réside la clé de la série. Ce face-à-face entre deux univers – celui du bitume et celui de l’arène – devient le moteur d’une réflexion plus large sur le temps qui passe, sur la difficulté d’accepter que tout change, même ce qu’on croyait immuable. Dès les premières minutes, la série installe un climat particulier. 

 

Le scénario joue avec les contrastes : la grisaille urbaine répond à la lumière dorée de la campagne, les silences du taxi se heurtent au vacarme des bars et des fêtes populaires. Fate n’essaie pas d’être drôle à tout prix. L’humour y est discret, souvent né de la situation plus que du dialogue. Il s’agit moins de rire que de sourire face à l’absurdité du quotidien. Paco Plaza, plus connu pour son travail dans le cinéma d’horreur, surprend ici par sa retenue. La mise en scène reste sobre, presque pudique. Il filme ses personnages sans jugement, avec une curiosité sincère pour leurs contradictions. Il ne cherche pas à ridiculiser la tauromachie ni à la glorifier. 

 

Ce qu’il montre, c’est un écosystème en déclin, peuplé de figures attachées à un code d’honneur que le monde extérieur ne comprend plus. Ricardo Gómez, dans le rôle de David, apporte à son personnage une humanité désarmante. Sa naïveté ne sonne jamais faux. C’est un homme ordinaire, spectateur malgré lui d’un univers qu’il ne maîtrise pas. À travers lui, la série explore cette impression de décalage que chacun peut ressentir face à un monde en constante évolution. Óscar Jaenada, de son côté, incarne El Maestro avec une retenue qui force l’attention. Sa prestance naturelle et son regard fatigué racontent autant que ses mots. 

 

Ce toreador à la voix éraillée, qui parle plus pour combler le silence que pour se faire entendre, devient le symbole d’une époque qui refuse de disparaître. Le duo fonctionne par contraste : là où David observe, El Maestro s’exprime ; là où l’un doute, l’autre se raccroche à ses certitudes. Leur relation, parfois conflictuelle, finit par révéler une forme de complicité inattendue. Il ne s’agit pas d’une amitié au sens classique, mais d’une reconnaissance mutuelle, celle de deux hommes confrontés à leurs propres limites. La série plonge dans un décor profondément ancré dans la culture espagnole : les bars de route, les villages poussiéreux, les routes qui serpentent entre champs et arènes. 

 

Pourtant, Fate ne cherche pas à représenter un folklore. Elle s’intéresse à ce qu’il y a derrière les symboles : la solitude, la peur de vieillir, le besoin d’appartenance. À travers la tauromachie, c’est toute une vision de la société qui se dessine. Le monde du Maestro, régi par la fierté et les traditions, se heurte à celui de David, fait de pragmatisme et d’incertitude. Cette opposition reflète une tension plus large, celle d’une Espagne partagée entre le respect du passé et le besoin d’avancer. Plaza et Guerrero évitent le piège de la nostalgie. La série n’idéalise pas le passé. Elle montre plutôt comment les habitudes, même les plus ancrées, deviennent des refuges face au changement. 

 

Dans cette approche, Fate prend des airs de chronique sociale, un portrait honnête d’un pays qui se redéfinit sans renier ce qu’il a été. La force visuelle de la série réside dans sa cohérence. La photographie oppose deux univers : la ville, filmée avec des tons froids et neutres, et le monde rural, baigné d’une lumière chaude presque crépusculaire. Ce contraste constant donne à la série un rythme visuel clair, presque poétique. Le taxi, présent dans la majorité des scènes, devient un espace symbolique. C’est à la fois un lieu de passage et de confession, une frontière mobile entre deux réalités. 

 

À travers les trajets de David, la série explore la distance entre la modernité et la tradition, sans jamais les juger. Le montage, lui, adopte une respiration irrégulière. Certains épisodes prennent leur temps, d’autres s’achèvent brusquement. Ce déséquilibre, loin d’être un défaut, renforce l’impression de spontanéité qui traverse tout le récit. Comme dans la vie, tout ne trouve pas de conclusion nette. Le titre original, Una serie de casualidades, résume parfaitement l’esprit de la série. Rien ne semble programmé, tout découle d’un enchaînement de hasards. Les personnages ne cherchent pas à dominer leur destin, ils s’y adaptent, parfois avec maladresse, parfois avec résignation.

 

Cette approche confère à Fate une tonalité douce-amère. Le hasard n’y est pas traité comme un élément comique, mais comme une force discrète qui oriente les trajectoires sans qu’on s’en aperçoive. La série questionne ainsi la part de contrôle que chacun pense avoir sur sa vie. Jusqu’où décide-t-on vraiment de son chemin ? À quel moment faut-il simplement accepter de se laisser porter ? Sous ses airs de comédie, Fate parle d’existences suspendues, d’hommes qui tentent de donner un sens à ce qu’ils ne comprennent plus. Le rire y devient un moyen de survie, un rempart contre la désillusion. Derrière la légèreté apparente, la série aborde un thème profond : celui de la transmission. 

 

El Maestro, conscient de sa fin de parcours, cherche inconsciemment à transmettre quelque chose, même s’il ne sait pas exactement quoi. David, de son côté, absorbe ce qu’il peut, sans chercher à imiter ni à juger. Leur relation devient une métaphore de la société : un dialogue entre ce qui s’éteint et ce qui naît. Fate ne cherche pas à donner des réponses. Elle préfère poser des questions : qu’est-ce qu’être espagnol aujourd’hui ? Qu’est-ce qu’hériter d’un monde que l’on ne comprend plus ? Et surtout, comment trouver sa place quand le hasard semble décider à notre place ? Au terme de ses six épisodes, Fate (La suerte. Una serie de casualidades en VO) ne prétend pas bouleverser le paysage des séries espagnoles. 

 

Son ambition est ailleurs : raconter une histoire à taille humaine, avec ses imperfections et ses respirations. C’est une série qui se regarde sans attente particulière, mais qui reste en mémoire par son ton sincère et sa justesse. Les dialogues, souvent simples, sonnent vrais. Les silences disent autant que les mots. Et au fil des épisodes, le spectateur apprend à connaître ces personnages comme s’il les croisait au détour d’un café ou d’une route de campagne. Fate ne cherche pas à faire rire ni à faire pleurer. Elle observe, écoute et laisse le temps faire son œuvre. C’est peut-être là sa plus grande réussite : montrer que la vie, même dans ses détours les plus absurdes, a toujours quelque chose à raconter.

 

Fate est une œuvre discrète mais profondément humaine. Derrière sa comédie douce se cache une réflexion sur la fragilité du présent, sur ce que l’on choisit de préserver et sur ce qu’il faut laisser partir. Entre hasard et volonté, entre rire et mélancolie, la série trace le portrait d’une Espagne en transition, vue à travers deux hommes que tout oppose mais que la vie, par un curieux coup du sort, finit par réunir.

 

Note : 6.5/10. En bref, Fate est une œuvre discrète mais profondément humaine. Derrière sa comédie douce se cache une réflexion sur la fragilité du présent, sur ce que l’on choisit de préserver et sur ce qu’il faut laisser partir. 

Disponible sur Disney+

 

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