13 Octobre 2025
Il y a quelque chose d’à la fois fragile et profondément familier dans Film Club, la mini-série britannique en six épisodes créée par Aimee Lou Wood et Ralph Davis. Ce n’est pas une comédie au sens classique, ni un drame psychologique pur. C’est une histoire de repli, d’amitié et de cinéma, racontée avec cette pudeur typiquement anglaise qui évite les grands effets sans jamais devenir froide. Au centre, il y a Evie, jeune femme vivant à Manchester, incapable de franchir la porte de la maison maternelle depuis un effondrement psychologique dont les contours ne sont jamais entièrement explicités. Une crise, un “wobble”, comme elle le dit elle-même, et la vie s’est figée.
Tous les jeudis à 21 heures, Tom et Evie regardent un film ensemble dans son garage. Evie décore l'espace avec amour pour qu'il corresponde au film de la semaine. Ils partagent le même amour pour le cinéma. Secrètement, l'un et l'autre sont amoureux mais n'osent pas se déclarer. Quand Tom accepte un emploi à l'autre bout du pays dans six semaines. Cela signifie qu'Evie n'a plus que six ciné-clubs pour dire à Tom ce qu'elle ressent, sous peine de le perdre à jamais.
Ce n’est pas une métaphore : Evie ne sort plus. Son refuge, c’est un garage transformé en salle de projection où elle recrée chaque semaine l’univers d’un film culte. Alien, Le magicien d’Oz, Les évadés… Les murs changent, les accessoires se multiplient, et pendant quelques heures, la réalité s’efface. Ce garage, c’est le cœur battant de Film Club. Ce n’est pas seulement un décor : c’est une extension de l’état mental d’Evie. Chaque transformation semble à la fois une tentative de contrôle et un moyen de se réinventer. Le cinéma devient ici un rituel thérapeutique, mais sans discours appuyé sur la guérison. Il y a une forme de modestie dans la manière dont la série aborde l’anxiété.
Aucune scène de révélation, pas de monologue explicatif, juste une succession de gestes qui traduisent un besoin d’ordre, de beauté, et de contact humain, même si ce contact est limité à quelques proches. L’univers de Film Club tient dans cette tension entre le refuge et la prison. Evie s’y protège, mais elle s’y enferme aussi. La série n’en fait pas un symbole appuyé : c’est le spectateur qui le ressent, presque malgré lui, à travers les détails – la lumière froide du matin sur les murs, les objets accumulés, le bricolage obstiné. Ce qui m’a frappé, c’est la manière dont Film Club parle de lien humain sans le rendre spectaculaire. Le rapport entre Evie et Noa, son meilleur ami, est au centre du récit.
Une amitié née à l’université, nourrie par un amour commun du cinéma, par des années de complicité et de dialogues remplis de citations. Pourtant, quelque chose s’effrite. Noa a trouvé un emploi à Bristol, et son départ imminent agit comme un déclencheur. Pour Evie, ce n’est pas seulement la peur de la solitude : c’est la remise en question d’un équilibre fragile. Leur relation n’est jamais figée dans un schéma romantique. Il y a bien une ambiguïté, une tendresse diffuse, mais Film Club ne cherche pas à la résoudre. Au contraire, la série laisse place au silence, aux malentendus, aux émotions qui s’expriment maladroitement.
Nabhaan Rizwan interprète Noa avec une sobriété rare, tandis qu’Aimee Lou Wood, dans son propre rôle de co-créatrice et d’actrice principale, déploie une palette de nuances dans la retenue, sans jamais surjouer la vulnérabilité. Autour d’Evie, il y a sa mère, Suz, et sa sœur, Izzie. Deux présences à la fois aimantes et étouffantes. Suz, interprétée par Suranne Jones, est ce genre de mère qui ne cesse de s’agiter pour éviter d’affronter la peur. Toujours positive, toujours dans l’action, elle croit pouvoir forcer la joie, quitte à rendre chaque moment plus pesant. Izzie, plus jeune, plus désabusée, oscille entre affection et exaspération. Leurs scènes à trois ont cette authenticité du quotidien où l’amour se mêle à l’irritation, où la tendresse côtoie la lassitude.
Ce n’est pas une famille dysfonctionnelle dans le sens dramatique du terme, mais plutôt un foyer abîmé par l’inquiétude. Chacune tente de préserver l’autre, souvent au mauvais moment, souvent de la mauvaise manière. Ce sont ces maladresses, d’apparence banale, qui donnent à la série son réalisme émotionnel. Film Club s’inscrit dans une tendance récente de la télévision britannique : celle de ces comédies douces-amères qui abordent la santé mentale sans pathos. Le ton rappelle parfois This Way Up d’Aisling Bea ou The Dry de Nancy Harris, mais Aimee Lou Wood et Ralph Davis adoptent une approche plus simple, plus contemplative. Les épisodes ne cherchent pas la chute ou la réplique marquante. Ce sont des morceaux de vie, des fragments de conversations, des petits gestes de résistance.
L’écriture s’attarde sur les détails, sur la texture des relations. Les dialogues, souvent drôles, ne visent pas la performance : ils sonnent vrais, parfois hésitants, parfois maladroits. C’est là que la série trouve sa justesse. Elle ne prétend pas expliquer ce qu’est la dépression ou l’agoraphobie. Elle montre juste ce que cela fait : le temps qui s’étire, la peur du dehors, l’énergie qu’il faut pour faire semblant d’aller bien. Ce qui lie tout le monde ici, c’est le cinéma. Dans Film Club, chaque projection devient un moment de connexion. Evie et Noa ne se contentent pas de regarder des films ; ils s’y réfugient, ils s’y comprennent à travers eux. Les références ne sont pas là pour faire sourire le spectateur cinéphile, mais pour traduire un lien.
Citer Le magicien d’Oz ou Alien, c’est dire ce qu’on n’ose pas exprimer autrement. La série joue avec cette idée que le cinéma peut être à la fois miroir et masque. On s’y cache pour mieux se reconnaître. C’est une réflexion subtile sur la manière dont les images nous accompagnent, comment elles deviennent un langage émotionnel. Le garage d’Evie n’est pas seulement décoré : il est peuplé de souvenirs, de projections intérieures. La réalisation ne cherche jamais l’esbroufe. Chaque plan est pensé pour servir l’état intérieur des personnages. Les couleurs changent au fil des projections, comme si les émotions d’Evie imprégnaient les murs. Les transitions entre les séquences du quotidien et celles des soirées filmées sont fluides, presque imperceptibles.
On passe du réalisme à la rêverie sans rupture nette. L’ambiance de Manchester – ses lumières ternes, ses matins froids, ses rues silencieuses – renforce cette impression de cocon. Rien n’est glamour, mais tout paraît vivant. Il y a une beauté particulière dans cette grisaille, celle d’un monde que le personnage principal observe encore à distance. L’une des réussites de Film Club tient dans ses personnages secondaires. Josh, le petit ami d’Evie, est d’abord présenté comme une figure rassurante, presque trop parfaite. Puis la série complexifie peu à peu son rôle, sans jamais tomber dans le cliché du compagnon toxique ou salvateur. Il fait partie de cette zone grise que la série explore si bien : celle des gens bien intentionnés, mais parfois maladroits face à la souffrance des autres.
Izzie, quant à elle, apporte une touche d’ironie qui équilibre les moments les plus lourds. Son humour sec cache une forme de lucidité. Elle sait que la situation de sa sœur ne se réglera pas à coups de bons sentiments. Et pourtant, elle reste, elle veille, à sa manière. Ce que raconte Film Club, au fond, ce n’est pas la maladie, ni même la guérison. C’est le temps qu’il faut pour réapprendre à vivre quand tout semble figé. Il n’y a pas de solution miracle, pas de scène où tout s’arrange soudainement. Ce qui compte, c’est la continuité : un message, une visite, une soirée filmée. La série montre qu’il existe des formes de courage minuscules, souvent invisibles.
Sortir du lit, décorer un mur, inviter quelqu’un, ce sont déjà des victoires. Evie avance à son rythme, et c’est cette lenteur qui rend le récit crédible. Même si Film Club aborde des thèmes lourds, elle ne se laisse jamais submerger par la tristesse. Il y a de l’humour, de la maladresse, des moments d’absurde – une mère qui récite un poème d’enfance au pire moment possible, une conversation sur la taille des tampons, un fou rire au milieu d’une crise. Ces détails donnent de l’air, évitent que tout devienne pesant. Cette légèreté n’efface pas la douleur, elle coexiste avec elle. C’est peut-être ce qui rend la série si sincère : elle accepte la contradiction.
Les personnages peuvent rire, se disputer, s’aimer et s’effondrer dans la même journée. Rien n’est linéaire, comme dans la vraie vie. À l’heure où beaucoup de fictions cherchent à impressionner, Film Club choisit la retenue. Elle ne promet pas de grandes révélations ni de twists spectaculaires. Elle préfère raconter une histoire ordinaire avec patience et respect. Six épisodes suffisent pour tracer le portrait d’une femme en reconstruction, d’une famille qui essaie de tenir, d’une amitié qui résiste à la distance. La série se termine sans tout résoudre, mais laisse une impression durable. Celle d’avoir partagé un moment sincère, presque domestique, où le cinéma devient un refuge commun.
En définitive, Film Club n’essaie pas d’être un manifeste sur la santé mentale ou une comédie romantique déguisée. C’est une œuvre intime sur la solitude et les liens qui empêchent de sombrer. Ce que j’en retiens, c’est cette idée simple : parfois, le monde se reconstruit à l’échelle d’un garage, autour d’un projecteur, d’un film qu’on connaît par cœur, et des quelques personnes qui restent là, semaine après semaine, à attendre qu’on rouvre la porte.
Note : 8/10. En bref, Film Club n’essaie pas d’être un manifeste sur la santé mentale ou une comédie romantique déguisée. C’est une œuvre intime sur la solitude et les liens qui empêchent de sombrer.
Prochainement en France
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