9 Octobre 2025
Frauds, la nouvelle création de Suranne Jones et Anne-Marie O’Connor, fait partie de ces séries qui laissent une empreinte ambiguë : imparfaite mais habitée, parfois maladroite mais pleine de vie. Sur six épisodes, cette première saison aborde le mensonge, la loyauté et la survie, à travers deux femmes qui refusent de disparaître. Le résultat n’est pas un simple thriller de braquage, mais une réflexion sur la complicité et les masques que chacun porte pour continuer à exister. Dès les premières minutes, Frauds s’amuse de son propre titre. Tout tourne autour d’une escroquerie, mais la vraie falsification se cache ailleurs : dans les rapports humains.
Bert, qui a passé la dernière décennie dans une cellule de prison espagnole avec le désir ardent de réussir un dernier coup, entend prouver sa valeur. Sam, sa partenaire, se contente, depuis dix ans, de vivre une vie tranquille dans les collines du sud de l'Espagne. Une fois libérée, Bert tente de faire sortir Sam de sa retraite pour un vol d'œuvres d'art de plusieurs millions de livres...
Bert (Suranne Jones), ancienne arnaqueuse libérée de prison pour raison médicale, retrouve Sam (Jodie Whittaker), son ex-partenaire de crime. Les deux femmes partagent un passé trouble, fait d’amitié, de trahisons et d’un lien qui n’a jamais été complètement rompu. Bert, rongée par la maladie, n’a pas l’intention de finir sa vie dans l’ombre. Elle veut réaliser “un dernier coup”, quelque chose qui lui survivra. Le plan est aussi absurde que fascinant : voler et remplacer un tableau de Dalí exposé au musée Reina Sofía de Madrid. Une œuvre choisie pour sa provocation et son obsession du double. L’art de la contrefaçon devient alors métaphore : chaque personnage tente de dupliquer sa propre vie, de se réinventer avant qu’il ne soit trop tard.
Le cœur de la série, c’est la relation entre Bert et Sam. Les deux femmes se retrouvent après des années de silence, avec entre elles un mélange de tendresse, de rancune et de culpabilité. Bert joue avec les limites, Sam tente de les redessiner. Cette dualité porte la série du début à la fin. Suranne Jones, magnétique dans son rôle d’ex-taularde rusée et provocante, fait de Bert une figure contradictoire : drôle, fatiguée, agressive parfois, mais toujours animée par une énergie vitale. À ses côtés, Jodie Whittaker compose une Sam plus réservée, presque ordinaire, mais dont la fragilité finit par devenir une force. Leur duo fonctionne moins sur la complicité que sur la tension.
Tout semble pouvoir exploser à chaque réplique, et c’est justement là que Frauds trouve son équilibre. Visuellement, la série assume son côté hybride : moitié film de casse, moitié drame intime. Le décor espagnol, entre la côte andalouse et Madrid, apporte une lumière inhabituelle à ce genre souvent urbain et sombre. Les plans larges d’arènes et d’églises contrastent avec les espaces confinés où le groupe prépare son coup. Il y a dans cette esthétique un désir de cinéma, même si tout n’atteint pas toujours la justesse recherchée. Certains épisodes traînent, d’autres s’emballent trop vite. La narration avance parfois de façon heurtée, comme si la série hésitait entre l’émotion et le divertissement.
Mais malgré ces déséquilibres, Frauds reste captivante parce qu’elle ose l’imprévisible. L’intrigue autour du vol de tableau n’est qu’un fil conducteur. Ce qui intéresse réellement la série, c’est ce que ce projet réveille chez chacun des personnages. Bert veut redonner du sens à sa fin de vie, Sam cherche à comprendre pourquoi elle continue de lui obéir. Les autres membres de l’équipe ne sont pas de simples faire-valoir : ils incarnent tous une forme d’invisibilité sociale. Jackie (Elizabeth Berrington), assistante de magicien vieillissante, rêve encore de reconnaissance dans un monde qui ne regarde plus les femmes de son âge. Bilal (Karan Gill), faussaire talentueux mais miné par ses dettes et ses erreurs, tente de prouver qu’il peut créer quelque chose de vrai en copiant le faux.
Et puis il y a Miss Take (Talisa Garcia), patronne de bar drag et mentor ambigu, qui transforme chaque apparition en performance. Chacun d’eux vit à la marge, et c’est précisément cette marginalité qui rend le groupe crédible. La série ne cherche pas à séduire par la subtilité. Les répliques claquent, parfois vulgaires, souvent drôles, toujours pleines d’une vérité désarmante. Derrière la provocation, il y a une forme de tendresse pour ces personnages qui se moquent d’eux-mêmes autant qu’ils trompent les autres. Certaines scènes virent à la farce, notamment lorsque Bert et Sam se déguisent pour infiltrer des lieux improbables — religieuses irlandaises d’un jour ou touristes en short.
Ces moments absurdes offrent une respiration bienvenue entre deux tensions plus sombres. Mais l’humour de Frauds n’efface pas sa mélancolie. Sous la légèreté, la série parle de regrets, de vieillissement, de solitude. Les déguisements, les arnaques et les faux-semblants sont autant de moyens de survivre à la peur du réel. Ce que Frauds raconte, au fond, c’est la lutte contre l’effacement. Bert et Sam ont dépassé la quarantaine, approchent de la cinquantaine, et vivent dans un monde qui n’attend plus rien d’elles. Leurs corps, leurs visages, leur manière de parler deviennent des terrains de résistance. La série évite le discours militant trop appuyé, mais son regard sur la féminité est lucide.
Les héroïnes ne sont pas idéalisées : elles sont fatiguées, égoïstes parfois, et pourtant puissantes dans leur obstination à exister. Le personnage de Jackie illustre parfaitement ce propos. Elle sait qu’elle est devenue invisible aux yeux des autres, mais elle comprend que cette invisibilité peut devenir une arme. L’âge, la fatigue et la lassitude deviennent des outils dans un monde où tout repose sur l’apparence. Frauds montre des femmes qui n’ont plus rien à perdre et qui, pour cette raison même, retrouvent une liberté. Au fil des six épisodes, la série s’éloigne du simple divertissement pour explorer quelque chose de plus intime. Le lien entre Bert et Sam devient le vrai moteur du récit.
Entre elles, tout semble avoir déjà été dit, mais chaque silence en dit davantage que les dialogues. Leur relation navigue entre affection, jalousie et désir. Il y a dans leur amitié quelque chose de toxique, mais aussi d’authentique. Bert manipule, Sam résiste, puis finit par se laisser entraîner. Leur complicité est une forme d’addiction, une manière de revivre le passé. Ce jeu de dépendance émotionnelle donne à la série une dimension plus psychologique qu’attendue. Les premiers épisodes prennent leur temps, parfois trop. La série met un moment à trouver son souffle, comme si les personnages eux-mêmes hésitaient à reprendre du service. Mais dès le troisième épisode, Frauds décolle.
Le groupe se forme enfin, la mission prend forme, et les interactions gagnent en dynamisme. Les séquences de préparation du casse apportent une énergie nouvelle, presque ludique. L’épisode final, plus ample et visuellement plus ambitieux, clôt cette première saison sur une note à la fois ironique et poignante. Rien n’est vraiment réglé, mais chaque personnage semble avoir trouvé un espace où respirer. Frauds ne cherche pas à ressembler aux grandes productions américaines. Elle garde un ancrage britannique dans son écriture : une ironie sous-jacente, une attention au détail du quotidien, un sens de la dérision constant. Suranne Jones, également productrice, y trouve un terrain de jeu qui lui permet de repousser les limites de son image habituelle.
La série ne brille pas toujours par sa cohérence, mais elle surprend par sa capacité à conjuguer drame, humour et émotion. Elle montre qu’un récit de braquage peut devenir une étude de caractère, qu’une histoire de faux peut dire beaucoup sur la vérité. Le vol du tableau de Dalí n’est pas anodin. L’œuvre choisie, “Le Grand Masturbateur”, évoque la confusion entre désir et honte, rêve et réalité. Bert se projette dans cette image : un mélange de provocation et de désespoir. Copier cette œuvre, c’est pour elle une manière de laisser une trace, même fausse, avant de disparaître. La série interroge ainsi la frontière entre authenticité et illusion. Qu’est-ce qui fait la valeur d’une vie ? Le fait qu’elle soit vraie ou qu’elle soit vécue intensément, même dans le mensonge ?
Cette question traverse chaque épisode, sans jamais être résolue. Tout n’est pas parfait dans Frauds. Certains seconds rôles manquent de relief, notamment dans les deux premiers épisodes. Mais l’ensemble reste solide grâce à la sincérité des acteurs. Suranne Jones, charismatique et vulnérable à la fois, livre une prestation nuancée. Jodie Whittaker, plus en retrait, trouve sa place progressivement, jusqu’à un final où son personnage se révèle plus complexe qu’il n’y paraît. Elizabeth Berrington apporte une profondeur inattendue à Jackie, tandis que Talisa Garcia offre à Miss Take une présence à la fois tendre et inquiétante. Même les personnages secondaires semblent participer à une réflexion plus large sur le regard social et les identités que chacun porte.
Frauds n’a rien d’un produit calibré. Elle trébuche, se relève, improvise, s’amuse, comme ses personnages. Son charme tient justement à cette imperfection assumée. Elle ne prétend pas révolutionner le genre du heist drama, mais elle en détourne les codes avec une sensibilité qui lui est propre. Ce n’est pas une série qui cherche à épater, mais plutôt à troubler. Elle s’intéresse à la marge, à la fatigue du corps, à la complexité des liens. Elle parle de ce moment de la vie où les illusions s’effritent, mais où le désir de jouer persiste. À la fin du sixième épisode, il reste un goût étrange, entre satisfaction et nostalgie. Rien n’est totalement résolu, et pourtant tout semble à sa place.
Frauds ne se regarde pas comme un simple divertissement : elle s’observe comme un miroir déformant de nos propres contradictions. Ce que cette première saison réussit, c’est à faire du mensonge un terrain de vérité. Derrière les arnaques et les faux-semblants, la série parle du besoin de reconnaissance, de liberté et d’amitié. Suranne Jones et Jodie Whittaker livrent ici deux portraits de femmes à la fois fatiguées et vivantes, lucides et désordonnées, qui rappellent qu’il n’est jamais trop tard pour commettre une belle erreur.
Note : 7/10. En bref, Frauds est une série de braquage atypique où, derrière l’arnaque et l’humour noir, se cache un portrait touchant de deux femmes qui luttent contre l’effacement et cherchent à redonner du sens à leur vie.
Prochainement en France
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