Maigret (2025) (Saison 1, 6 épisodes) : un retour soigné mais sans âme du commissaire légendaire

Maigret (2025) (Saison 1, 6 épisodes) : un retour soigné mais sans âme du commissaire légendaire

Quand j’ai lancé cette nouvelle adaptation de Maigret, je n’ai pas pu m’empêcher de penser aux après-midi d’été passées devant les rediffusions de Jean Richard ou Bruno Cremer chez mes grands-parents. Ce personnage de Georges Simenon a bercé des générations entières, et dans mon esprit, il appartient presque à un certain patrimoine télévisuel français. Alors forcément, découvrir un Maigret (2025) tourné par les Britanniques, dans un Paris reconstitué et souvent un peu trop propre, m’a inspiré une curiosité teintée de méfiance. Je n’attendais pas une copie conforme, mais je craignais le décalage entre la chaleur d’un Paris populaire et l’élégance froide d’une production anglo-saxonne. 

 

Après avoir regardé l’intégralité des six épisodes de cette première saison, mon sentiment reste partagé : Maigret (2025) n’est pas une trahison, mais c’est une série qui passe à côté de ce qui faisait l’âme de son héros. La série choisit de transposer Jules Maigret dans un Paris contemporain. Téléphones portables, caméras de surveillance, réseaux sociaux : tout y est. Le commissaire, incarné par Benjamin Wainwright, garde pourtant les traits fondamentaux du personnage : calme, intuitif, plus proche de l’humanité des suspects que de la rigueur administrative de la police. Ce mélange entre modernité et héritage classique crée une impression étrange. 

 

D’un côté, la mise en scène reste posée, presque littéraire, avec une photographie soignée et un goût évident pour les silences. De l’autre, l’ancrage dans notre époque paraît parfois plaqué, comme si le scénario n’assumait pas totalement le saut temporel. On sent que le scénariste Patrick Harbinson (qui a travaillé sur Homeland et 24 Heures chrono) a voulu construire un Maigret cérébral, sans action excessive, loin du bruit et de la fureur des séries policières américaines. Cette volonté est louable, mais elle laisse aussi une impression de distance : les émotions semblent filtrées par une vitre invisible. Le cœur de la série repose naturellement sur l’interprétation de Benjamin Wainwright. 

 

Il livre un commissaire plus jeune, plus intérieur, presque fragile par moments. Sa façon d’observer, de se taire, de douter, fonctionne dans les premiers épisodes. Ce Maigret est un homme encore en construction, conscient du poids de son uniforme, mais qui refuse d’être dévoré par le cynisme. Pourtant, il lui manque quelque chose d’essentiel : cette densité humaine, cette bonhomie grave que portaient Jean Richard ou Bruno Cremer. Là où leurs regards suffisaient à faire comprendre toute la complexité d’un meurtrier ou la fatigue d’un flic vieillissant, Wainwright semble parfois trop calculé, trop contenu. Je comprends le choix de ne pas imiter, mais à force de chercher la sobriété, la série perd un peu de chair. 

 

Même sa pipe, devenue un simple souvenir hérité du père, paraît symboliser ce glissement vers un Maigret assagi, presque aseptisé. Parmi les réussites de la série, je retiens surtout la relation entre Maigret et son épouse Louise, interprétée par Stefanie Martini. Leur couple respire une douceur rare dans les séries policières modernes. Pas de drame conjugal, pas de rivalité sous-jacente : juste deux êtres qui s’aiment, se comprennent et s’écoutent. Ce lien apporte une dimension intime précieuse au récit. Louise n’est pas cantonnée au rôle de femme inquiète attendant son mari : elle dialogue avec lui, devine ses tourments, devient presque son miroir moral. 

 

Dans un genre souvent dominé par les solitaires torturés, cette stabilité conjugale est un choix audacieux. Mais même cette belle idée n’est pas exploitée à son plein potentiel. J’aurais aimé que la série prenne plus de temps pour explorer leur quotidien, leurs échanges, cette complicité tranquille qui fait tout le charme du couple Maigret dans les romans. La première saison se compose de six épisodes divisés en trois grandes affaires. Ce format en binômes d’épisodes donne de l’espace à l’intrigue et évite l’écueil du case-of-the-week. Le rythme volontairement lent permet à la réflexion d’exister : chaque crime devient le prétexte à une exploration des failles humaines plutôt qu’à un simple jeu d’indices.

 

Dans la première enquête, “The Lazy Burglar”, la série prend le temps d’installer ses personnages et son ton. L’ambiance est posée, presque feutrée, mais manque un peu de tension dramatique. Les deux affaires suivantes, “Maigret’s Failure” et “Maigret Comes Home”, creusent davantage la dimension personnelle du commissaire : son passé, ses doutes, sa manière d’affronter la culpabilité. C’est dans ces épisodes que le potentiel de la série se révèle vraiment. Le scénario prend le risque de l’introspection et s’éloigne des clichés du flic génial ou du drame surjoué. En revanche, la mise en scène aurait gagné à assumer un peu plus de souffle narratif. Par moments, tout semble trop maîtrisé, presque étouffé.

 

Impossible de ne pas évoquer la question du décor. Si l’action se déroule à Paris, l’essentiel du tournage a eu lieu en Hongrie. Ce choix, probablement dicté par la production, se ressent à l’écran : les ruelles sont propres, les façades uniformes, et il manque cette rugosité typiquement parisienne. Le Paris de Maigret (2025) ressemble à une carte postale légèrement figée. Quelques cafés, un commissariat anonyme, quelques bords de Seine — mais sans la vie qui circule autour. Même la météo semble artificielle. Pour une série censée porter la mémoire d’un personnage aussi enraciné dans son environnement, cette absence d’âme urbaine est regrettable. 

 

Cela n’enlève rien à la qualité visuelle de la série : la photographie est élégante, la lumière souvent douce, et les plans sont composés avec soin. Mais cette beauté froide renforce le sentiment de déconnexion avec l’esprit des origines. Autour de Maigret gravitent plusieurs personnages secondaires qui auraient mérité plus d’espace. Justin Cavre (Rob Kazinsky), le collègue impulsif et rancunier, monopolise un peu trop de temps d’écran. Sa jalousie vis-à-vis du commissaire devient une tension artificielle, au détriment d’autres figures plus intéressantes. J’aurais aimé voir davantage Shaniqua Okwok et Reda Elazouar, dont le duo apporte un souffle de jeunesse. Leur présence esquisse une police plus diversifiée, mais leurs intrigues personnelles restent à peine évoquées.

 

De même, le procureur Mathilde Kernave (Nathalie Armin) dégage une intensité intrigante : son rapport ambigu avec Maigret laisse deviner un passé commun. Malheureusement, la série ne prend pas le temps de développer cette relation. Ce déséquilibre empêche la série de créer un véritable collectif. Or, dans l’univers de Simenon, Maigret n’est jamais seul : il évolue dans une humanité foisonnante, faite de collègues, de témoins, de petites gens. Ici, cette richesse se réduit souvent à quelques échanges fonctionnels. L’écriture de Patrick Harbinson témoigne d’un réel respect pour le matériau d’origine. Chaque dialogue semble pesé, chaque scène sert à dévoiler un fragment de vérité. 

 

Cette rigueur donne au récit une densité appréciable, mais elle bride aussi les élans spontanés. Là où Simenon laissait transparaître la fatigue, la chaleur d’un bureau enfumé ou l’odeur du café froid, cette version préfère la netteté du cadre et la froideur du numérique. Le réalisme poétique des romans laisse place à une approche clinique, presque chirurgicale. Cela dit, il faut reconnaître à la série une vraie cohérence : du premier au dernier épisode, elle garde son cap. Le ton reste sobre, les dialogues mesurés, la tension contenue. L’épisode final, plus intense, boucle correctement les fils narratifs tout en ouvrant la porte à une saison 2.

 

Ce qui dérange sans doute le plus, c’est le sentiment que cette version parle de Paris sans vraiment l’habiter. Les accents anglais, les dialogues, la diction impeccable — tout cela éloigne un peu plus le spectateur français. Maigret (2025) n’est pas une mauvaise série, mais elle ne parvient pas à s’approprier la culture du personnage. Ce n’est ni une trahison ni une réinvention audacieuse. Plutôt une transposition élégante, mais un peu froide. En comparaison, Steven Moffat avait su transformer Sherlock Holmes en une œuvre réellement moderne, ancrée dans son époque sans renier ses racines. Ici, la mise à jour technologique ne suffit pas à redonner souffle au mythe.

 

En refermant cette première saison, j’ai ressenti un mélange d’admiration et de frustration. Admiration pour la précision de la mise en scène, pour la délicatesse du jeu de Wainwright, pour la pudeur des dialogues. Frustration, parce que tout cela manque d’âme, de chaleur, de ce petit supplément de vie qui faisait tout le sel des adaptations françaises. Maigret (2025) prouve qu’il est possible de raconter des enquêtes sans explosions ni poursuites. Elle montre aussi qu’un rythme lent peut encore séduire dans un paysage saturé de séries rapides et bruyantes. Mais elle rappelle surtout qu’un personnage aussi emblématique que Maigret ne se résume pas à sa méthode : il est fait de son époque, de son décor, de sa langue, de son accent.

 

En voulant universaliser Maigret, la série finit par l’éloigner de sa nature profondément française. Reste une œuvre soignée, agréable à suivre, mais qui ne touche jamais le cœur comme le faisait celle de Simenon. Cette première saison de Maigret (2025) est une belle tentative, mais elle ne trouve pas encore sa pleine identité. Je reconnais à Benjamin Wainwright un vrai respect du personnage, et à Patrick Harbinson une volonté sincère de rendre hommage à l’univers de Simenon. Mais malgré la qualité de la réalisation et la justesse de certaines scènes, cette adaptation britannique reste une lecture extérieure d’un mythe français.

 

Elle n’est ni un échec ni un chef-d’œuvre : simplement une variation correcte, polie, qui se regarde sans passion. Si une saison 2 voit le jour, j’espère qu’elle saura lâcher un peu la bride, laisser entrer un peu de désordre, de fatigue, de Paris. Bref, un peu de vie.

 

Note : 4.5/10. En bref, cette première saison de Maigret (2025) est une belle tentative, mais elle ne trouve pas encore sa pleine identité. Je reconnais à Benjamin Wainwright un vrai respect du personnage, mais malgré la qualité de la réalisation et la justesse de certaines scènes, cette adaptation britannique reste une lecture extérieure d’un mythe français.

Prochainement en France

 

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