30 Octobre 2025
Aborder l’adolescence à la télévision sans sombrer dans le cliché ou la morale facile relève souvent du défi. Avec Pubertat, mini-série espagnole en six épisodes disponible sur HBO Max, Leticia Dolera s’attaque à ce territoire mouvant où l’innocence se heurte à la responsabilité, où les adultes prétendent tout comprendre alors qu’ils peinent à affronter leurs propres zones d’ombre. L’ensemble s’ancre dans un cadre communautaire précis – celui des castells, ces tours humaines emblématiques de la culture catalane – pour raconter la chute d’un équilibre collectif après une accusation d’agression sexuelle.
Derrière son apparente sobriété, Pubertat explore le poids des non-dits et la manière dont les comportements des adultes façonnent, souvent à leur insu, le regard que les jeunes portent sur eux-mêmes et sur le monde. La série débute dans une atmosphère presque sereine. Les répétitions des castells traduisent la confiance mutuelle, la solidarité, mais aussi la fragilité de cette petite communauté où chacun dépend des autres. L’image de ces corps empilés devient rapidement une métaphore du récit : si une seule personne faillit, c’est toute la structure qui menace de s’effondrer.
Cette symbolique accompagne le spectateur tout au long des six épisodes, comme un rappel constant que l’équilibre social, familial et émotionnel repose sur une base précaire. Mais Pubertat ne se contente pas d’un décor pittoresque. Très vite, la série bascule vers un terrain plus instable. Une jeune fille accuse trois garçons du groupe d’agression sexuelle. Le drame éclate d’abord en ligne, sur les réseaux sociaux, avant d’atteindre les familles. Dès lors, les visages familiers se transforment, les amitiés se fissurent, les parents s’enlisent dans la peur ou le déni. Ce passage brutal du collectif à la méfiance généralisée constitue sans doute le cœur émotionnel de la série.
L’une des forces du projet réside dans sa manière de pointer le rôle ambigu des adultes. Ces derniers prétendent protéger leurs enfants, mais leurs réactions révèlent surtout leurs propres limites. Certains refusent de croire que leur fils ait pu commettre une faute grave ; d’autres se perdent dans la culpabilité ou l’impuissance. Dolera filme ces contradictions sans les juger, laissant émerger une vérité simple : les adolescents ne deviennent pas violents, fermés ou maladroits par hasard. Ils reproduisent souvent, inconsciemment, les attitudes qu’ils observent autour d’eux. Cette approche rend les parents presque aussi vulnérables que leurs enfants.
Ils oscillent entre instinct de protection et besoin de justice, entre peur du scandale et exigence morale. Ce balancement constant crée une tension diffuse, bien plus inquiétante que les confrontations directes. À mesure que les épisodes avancent, chaque silence devient une prise de position, chaque regard un aveu implicite. Leticia Dolera opte pour une réalisation épurée, sans effets ni dramatisation excessive. La caméra reste souvent à distance, comme si elle refusait d’imposer un point de vue moral. Ce choix donne à Pubertat une dimension presque documentaire : les scènes de groupe sont filmées dans une lumière naturelle, avec un rythme qui imite le quotidien.
Les moments de tension, eux, se concentrent sur les gestes et les silences. Parfois, un simple plan fixe en dit plus qu’un dialogue explicatif. Cette sobriété fonctionne la plupart du temps, mais elle peut aussi créer une forme de distance. Certains passages paraissent trop maîtrisés, comme si la peur de l’émotion prenait le dessus. Là où le sujet exigerait parfois un souffle plus brut, la mise en scène reste contenue, presque clinique. Ce décalage entre l’intensité des thèmes et la froideur de la forme peut désarçonner. Pourtant, il s’agit sans doute d’une volonté : Dolera ne cherche pas à provoquer, mais à observer, à laisser le spectateur se confronter à ses propres jugements.
Le casting adolescent constitue un des points les plus intéressants de la série. Les interprètes ne sont pas tous d’une grande justesse, mais leur sincérité crée une impression de vérité. Leurs hésitations, leurs regards fuyants, leurs colères mal contenues traduisent avec justesse la confusion d’un âge où tout semble flou. On sent à quel point les réseaux sociaux amplifient cette confusion : les accusations, les rumeurs et les prises de parti se propagent à une vitesse que les adultes ne comprennent pas. Face à eux, les parents incarnent la génération du silence. Ils portent le poids des tabous hérités et peinent à formuler ce qu’ils ressentent. La série ne les absout pas, mais elle évite aussi de les condamner.
Pubertat montre simplement des êtres dépassés par une situation où leurs repères s’effondrent. Ce regard, à la fois critique et compatissant, fait la richesse du projet. Même ancrée dans une communauté catalane très spécifique, la série touche à des questions universelles : le consentement, la honte, la rumeur, la responsabilité collective. Le choix du castell comme métaphore de la confiance est particulièrement pertinent. Il rappelle que le lien social repose sur la coopération, et qu’une faute individuelle peut fragiliser tout un groupe. Cette idée trouve un écho évident dans l’époque actuelle, marquée par la circulation rapide de l’information et par des jugements souvent immédiats.
La série s’attarde aussi sur la transmission : comment les blessures d’une génération se répercutent-elles sur la suivante ? Comment parler de sexualité ou de respect quand ces sujets restent tabous à la maison ? Pubertat ne propose pas de réponse, mais pose les bonnes questions. Elle oblige à reconnaître que les traumatismes se transmettent moins par les mots que par les attitudes. Malgré la force de son propos, la série souffre par moments d’un déséquilibre narratif. Certains épisodes s’étirent autour d’un même conflit, d’autres ouvrent des pistes sans les approfondir. On sent l’envie de tout aborder : la justice, l’éducation, la culpabilité, la reconstruction. Mais cette dispersion affaiblit parfois la tension dramatique.
Pourtant, cette imperfection rend aussi Pubertat plus humaine. Elle reflète la confusion du réel, où rien n’est tranché, où les émotions se contredisent. Ce manque de linéarité finit par devenir une forme d’honnêteté : les personnages tâtonnent, échouent, recommencent. Le spectateur, lui, reste dans le doute, à l’image des protagonistes. Ce flou, loin d’être une faiblesse totale, participe à l’identité de la série. En refermant le dernier épisode, une impression persiste : celle d’avoir assisté à un miroir social, plus qu’à un drame. Pubertat ne cherche pas à choquer ni à donner des leçons. Elle met simplement à nu une génération qui tente de comprendre ce que les précédentes ont préféré taire.
Le malaise qui s’en dégage n’est pas gratuit ; il vient du constat que les adultes, malgré leurs discours de responsabilité, ne savent toujours pas comment parler du corps, du désir ou du consentement. En ce sens, la série remplit pleinement sa fonction : elle ouvre un espace de réflexion que peu d’œuvres télévisuelles osent explorer avec autant de pudeur. Pubertat n’est pas une série spectaculaire, ni une fiction qui cherche à séduire à tout prix. Elle avance avec précaution, parfois trop, mais elle le fait avec une sincérité rare. Son intérêt réside moins dans son intrigue que dans la manière dont elle observe les dynamiques familiales et sociales face à une crise morale.
En six épisodes, Leticia Dolera signe une œuvre imparfaite, mais nécessaire : un regard lucide sur la façon dont les adultes façonnent l’adolescence par leurs silences, leurs contradictions et leurs peurs. Pubertat ne prétend pas apporter des solutions, mais elle pose des questions que beaucoup préfèrent éviter. Et c’est précisément pour cela qu’elle mérite d’être vue.
Note : 6.5/10. En bref, en six épisodes, Leticia Dolera signe une œuvre imparfaite, mais nécessaire : un regard lucide sur la façon dont les adultes façonnent l’adolescence par leurs silences, leurs contradictions et leurs peurs.
Prochainement sur HBO max en France. Disponible sur HBO max en Espagne.
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