To Cook a Bear (Saison 1, 6 épisodes) : dans la gueule du mythe et des hommes

To Cook a Bear (Saison 1, 6 épisodes) : dans la gueule du mythe et des hommes

To Cook a Bear, adaptation du roman de Mikael Niemi, choisit la lenteur pour disséquer la nature humaine. Six épisodes, une enquête, et derrière elle, une autre — celle, plus sourde, des hommes contre eux-mêmes. La série, disponible sur Disney+, traverse les brumes du nord de la Suède du XIXᵉ siècle pour confronter la foi, la science, et la peur collective. Ce qui semble d’abord un drame historique à décor de neige devient rapidement un miroir tendu à la violence ordinaire, celle qui se dissimule derrière la morale et les mythes. L’histoire s’installe à Kengis, un village isolé, à la lisière des forêts et de la civilisation. 

 

Au milieu du XIXe siècle dans le village de Kengis, dans le nord de la Suède. Alors qu'un pasteur connaît un éveil spirituel qui a un impact profond sur les Samis et les Tornedaliens, le corps d'une fille de berger est retrouvé dans une tourbière. Bientôt, les villageois se lancent à la recherche de l'ours qu'ils pensent être le responsable de cet acte.

 

Les habitants y vivent dans un équilibre précaire entre croyances anciennes et misère quotidienne. C’est dans ce décor de solitude que s’avance un nouveau pasteur, Lars Levi Laestadius, interprété par Gustaf Skarsgård. L’homme porte une foi rigoureuse, teintée d’un esprit scientifique qui l’isole autant qu’il le distingue. Il prêche la tempérance, s’attaque à l’alcool et au vice, mais son véritable combat semble ailleurs : il cherche à comprendre la noirceur qui habite les hommes plus que celle des bêtes. À ses côtés, Jussi, un jeune Sami qu’il a recueilli, tente de trouver une place dans une société qui le rejette. Le duo forme un axe moral fragile : un prêtre éclairé et un fils adoptif condamné à vivre entre deux mondes. 

 

Leur lien ne se limite pas à la piété ; il devient un laboratoire de justice, d’éducation, et de résistance. Dans un monde dominé par les propriétaires et les dogmes, leur simple présence dérange l’ordre établi. Tout commence avec la disparition d’une jeune servante, Hilda. Son absence fait naître les rumeurs. Des traces d’ours, des branches brisées, des cris dans la forêt. Très vite, la peur s’organise autour d’un mythe commode : un ours tueur. Les villageois trouvent là une explication qui évite de questionner leur propre responsabilité. Pour le pasteur, au contraire, cette version a quelque chose de trop simple. Son instinct — ou peut-être sa foi en l’humanité — lui souffle que la bête n’est qu’un écran. 

 

L’enquête qu’il entame avec Jussi ne cherche pas tant à trouver un coupable qu’à comprendre pourquoi la vérité dérange à ce point. La série construit ici une double narration : le polar et la parabole. L’intrigue policière avance à pas mesurés, parfois maladroits, mais le cœur du récit réside dans la manière dont les hommes se servent du mythe pour masquer la violence sociale. La peur du « bear » devient un instrument politique. Elle permet de détourner les regards des puissants vers une menace extérieure, d’effacer les crimes commis par ceux qui tiennent le village d’une main ferme. Dans cet écosystème, la superstition est une arme.

 

Le pasteur, figure centrale, navigue entre le spirituel et le rationnel. Ses sermons cherchent à réformer les âmes, mais sa curiosité scientifique le pousse à examiner le monde comme un terrain d’observation. Il observe les traces, note les indices, mesure la logique du sang et des pas. Dans certaines scènes, il ressemble moins à un homme d’Église qu’à un détective sorti d’un roman de Conan Doyle. Cette dualité donne au personnage une texture particulière : il croit sans renoncer à la raison. Pourtant, cette posture finit par fissurer sa foi. Car plus il s’approche de la vérité, plus il découvre l’abîme moral de sa communauté. Ce rapport entre religion et enquête scientifique irrigue toute la série. 

 

To Cook a Bear explore la tension entre la foi qui apaise et la lucidité qui détruit. Le pasteur croit aux hommes, mais ce qu’il trouve dans leurs cœurs le met face à une autre forme de prédation. L’ours n’est plus une bête, mais une métaphore : celle du mal collectif, ancré dans les structures sociales et les préjugés raciaux. L’un des aspects les plus percutants de la série réside dans la manière dont elle traite la condition du peuple Sami. Jussi, le fils adoptif du pasteur, incarne cette fracture. Il subit le racisme des habitants, réduit à un statut d’intrus, malgré sa proximité avec l’homme d’Église. 

 

La caméra ne cherche pas à en faire une victime exemplaire, mais un être en tension. Il se débat entre la loyauté envers celui qui l’a sauvé et la honte que ce salut impose dans une société où son sang reste un motif d’exclusion. À travers lui, la série ne se contente pas d’évoquer la discrimination du XIXᵉ siècle ; elle renvoie à la persistance d’une hiérarchie invisible entre peuples. Les gestes de mépris, les insultes à peine murmurées, la peur des traditions samies, tout cela construit un climat de méfiance constante. Jussi n’est pas seulement témoin du racisme : il en devient le baromètre. 

 

Sa présence révèle à quel point la communauté s’effondre sur ses propres contradictions morales. Autour du duo principal gravitent des figures qui incarnent les tensions sociales du village. La propriétaire du moulin, Madam Sjödahl, interprétée par Pernilla August, impose sa loi économique avec un mélange de froideur et de lassitude. Le shérif Brahe, campé par Magnus Krepper, représente l’ordre local, plus soucieux de préserver la paix apparente que de chercher la justice. Ces personnages fonctionnent moins comme des individus que comme des symboles : la puissance, le compromis, la peur du changement. L’ensemble compose un théâtre figé où chaque visage porte la trace de la survie. 

 

Personne ne semble vraiment libre dans Kengis : ni les pauvres, ni les riches, ni même le pasteur. Chacun se débat dans un système qui se nourrit de la croyance en un mal extérieur. La série insiste sur cette circularité : plus la communauté cherche un monstre, plus elle révèle le sien. Visuellement, To Cook a Bear privilégie la matière au spectaculaire. Les paysages du nord suédois ne sont pas seulement un décor : ils participent à la narration. Le froid, la boue, le vent — tout concourt à rendre sensible la dureté de l’existence. La lumière, souvent laiteuse, semble filtrer à travers le doute. Les intérieurs sont sombres, saturés de bois et de silence. 

 

La photographie d’Aril Wretblad ancre le récit dans une temporalité rugueuse : on sent le poids du temps, la lenteur du travail, la fatigue de vivre. La mise en scène de Trygve Allister Diesen se garde d’effets faciles. Elle s’attarde sur les visages, les respirations, les hésitations. Il y a peu de musique, sinon celle du vent et du craquement du bois. Ce choix rend l’enquête presque introspective : elle progresse moins par révélation que par imprégnation. Le spectateur partage la lenteur du pasteur, ses doutes, ses déductions qui peinent à se transformer en certitudes. Si la série parvient à installer une atmosphère dense, elle souffre d’un rythme inégal. 

 

Le cœur du récit se dilue dans le milieu de saison, lorsque l’enquête semble tourner en rond. Les dialogues prennent parfois le pas sur la tension dramatique. Ce relâchement ne ruine pas l’ensemble, mais il altère la cohérence d’un projet ambitieux. Le dernier épisode resserre l’action, mais trop vite, comme si la conclusion venait solder une réflexion qui aurait mérité plus de souffle. Malgré cette fragilité, le propos reste clair : la vérité ne libère pas, elle isole. Le pasteur finit par comprendre que le mal qu’il traque n’est pas une aberration mais un système. Ce constat, loin de tout manichéisme, laisse la série dans un entre-deux dérangeant. Pas de rédemption, pas de coupable unique. 

 

Juste la certitude que la peur façonne les sociétés plus sûrement que la foi. Il serait réducteur de voir To Cook a Bear comme une simple enquête historique. Le crime n’est qu’un prétexte à explorer la corruption morale, la fragilité de la croyance, et la résistance à la différence. Chaque épisode avance un peu plus vers cette idée : comprendre le mal, c’est admettre qu’il nous ressemble. Le pasteur, figure de raison et de vertu, finit par se heurter à ses propres contradictions. Sa quête de justice se transforme en obsession, son humanisme en solitude. Ce basculement fait de la série une fable plus qu’un drame. Elle parle de l’impossibilité d’être juste dans un monde gouverné par la peur. 

 

Et si le titre, To Cook a Bear, évoque une chasse, c’est peut-être parce qu’il s’agit moins de tuer la bête que de comprendre pourquoi l’homme en a besoin. Le bear, ici, n’est qu’un miroir tendu à la part la plus obscure de la civilisation. À la fin de la saison, il ne reste ni triomphe ni consolation. Le village demeure, les mythes aussi. Le pasteur repart avec plus de questions qu’il n’en avait en arrivant. Jussi, lui, incarne la possibilité d’une autre voie, encore incertaine. Ce qui persiste, c’est l’impression d’un monde clos sur lui-même, où la lumière ne parvient jamais à chasser tout à fait la nuit. Mais c’est peut-être là que la série trouve sa force : dans cette obstination à ne pas résoudre ce qu’elle met en scène. La neige retombe, l’ours s’efface, et l’homme reste.

 

Note : 6.5/10. En bref, To Cook a Bear rappelle que les monstres ne vivent pas toujours dans les forêts, mais dans les certitudes. Le bear, ici, n’est qu’un miroir tendu à la part la plus obscure de la civilisation. 

Disponible sur Disney+

 

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G
coucou toi<br /> a découvrir cette serie :OP<br /> merci bien pour la découverte<br /> bonne semaine
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