Des vivants (Mini-series, 8 épisodes) : une série qui ne raconte pas le Bataclan, mais la vie après

Des vivants (Mini-series, 8 épisodes) : une série qui ne raconte pas le Bataclan, mais la vie après

Des vivants est une oeuvre qui ne cherche pas à expliquer un drame mais plutôt à regarder ce qu’il laisse derrière lui. La mini-série ne s’attarde pas sur les faits du 13 novembre 2015, elle ne rejoue pas l’attaque du Bataclan dans le détail, elle ne cherche pas à faire revivre l’horreur. Elle s’intéresse à l’après, à ces jours où il faut continuer à respirer alors que le corps et la mémoire sont restés bloqués dans un couloir de service pendant deux heures et demie. Huit épisodes pour raconter ce que signifie « survivre », quand le mot semble presque trop grand, trop abstrait, pour des existences qui ne tiennent plus qu’à un fil. Ce qui m’a frappé dès le premier épisode, ce n’est pas le choc, mais le silence. 

 

Marie, Caroline, Sébastien, Arnaud, Grégory, Stéphane et David forment le groupe des autoproclamés "Potages" (contraction de "potes" et "otages"). Le soir du 13 novembre 2015, ils ont fait face aux terroristes pendant plus de deux heures dans un étroit couloir du Bataclan. De leur survie miraculeuse est né un lien unique et indéfectible.

 

Pas le silence d’une série qui n’ose pas montrer, mais celui des personnages qui ne savent plus quoi dire. Certains retournent travailler, comme si l’organisation du quotidien pouvait servir de pansement. D’autres restent enfermés chez eux, incapables de passer la porte. Personne ne réagit de la même manière, et c’est précisément là que la série trouve sa matière : elle montre une reconstruction non linéaire, sans modèle héroïque, sans discours tout prêt sur la résilience. Il n’y a pas de méthode, juste des corps et des esprits cabossés. Jean-Xavier de Lestrade a choisi la trajectoire intime plutôt que la reconstitution spectaculaire. 

 

L’attentat n’apparaît pas comme une scène choc insérée pour faire événement dans le récit, mais comme une mémoire qui revient par fragments, par mots, par gestes. La prise d’otages n’est pas montrée avant d’être racontée. La série commence quand la plupart des récits habituels se terminent : au moment où il faut faire face au vide. Ce choix narratif change tout. Il ne s’agit pas de savoir ce qui s’est passé, mais comment on vit avec ce qui s’est passé. Le temps devient le moteur du récit : les jours d’après, les semaines d’après, les mois d’après, les années d’après. On voit les visages changer, les relations se fissurer ou se réinventer, la fatigue s’installer puis, par moments, reculer.

 

Cette écriture progressive donne une place importante aux silences, aux regards, aux micro-détails du quotidien : une crise de panique au supermarché, une dispute de couple autour d’un mot mal placé, un effort pour dormir hors du lit conjugal, une chanson qui prend soudain un sens différent. La série repose sur sept personnages inspirés de véritables rescapés. Ils se surnomment eux-mêmes les « Potages », contraction de « potes » et « otages ». Ce nom dit déjà quelque chose : l’ironie comme bouée de sauvetage, le lien comme seule façon de supporter ce que personne autour d’eux ne peut vraiment comprendre. La force de la série tient dans cette dynamique collective. 

 

Aucun survivant n’est montré comme un modèle ou un échec. Ils ne vont pas tous au même rythme, ne portent pas le trauma de la même façon, ne cherchent pas la même issue. Certains veulent absolument témoigner, d’autres veulent disparaître. Certains gardent leur colère comme moteur, d’autres s’y brûlent. Rien n’est simplifié, rien n’est romantisé. Et surtout, il y a l’humour. Pas celui qui apaise ou relativise, mais celui qui surgit parce qu’il n’y a rien d’autre à faire. Un humour brut, parfois dérangeant, mais profondément humain. Les scènes au bistrot, les délires musicaux improvisés, les blagues absurdes au milieu du chaos : ce sont des respirations réelles, pas des artifices scénaristiques. 

 

Elles rappellent que la survie passe souvent par le rire, même mal placé. La série ne cherche jamais à forcer l’émotion. La mise en scène se tient au plus près du corps, sans effets appuyés. Les crises d’angoisse ne sont pas filmées comme des séquences spectaculaires, mais comme des moments où le monde se réduit à une respiration impossible. Ce qui marque, ce ne sont pas les cris, ce sont les tremblements silencieux. Le traumatisme se décline dans plusieurs dimensions : le rapport au corps, au sommeil, à la sexualité, au travail, aux autres. Les séances de thérapie ne sont pas là pour délivrer des vérités, mais pour montrer des tentatives d’apprivoisement. 

 

La série montre aussi ce que subissent les proches : les conjoints qui ne reconnaissent plus la personne qu’ils aiment, les enfants qui perçoivent des choses sans les comprendre. Un des aspects les plus intéressants, c’est la façon dont la mémoire devient fragmentaire. Des images reviennent par bouts, des détails s’entrechoquent, certains souvenirs sont effacés, d’autres amplifiés. La série n’essaie pas de reconstituer une vérité absolue. Elle montre un puzzle dont personne n’a l’image finale. Ce qui m’a touché avant tout, c’est la justesse du ton. Rien n’est héroïque, rien n’est larmoyant. Tout paraît fragile, même dans les moments où les personnages semblent tenir debout. 

 

Les acteurs ne jouent pas des « victimes » ni des « survivants » exemplaires, mais des gens qui ne savent plus comment habiter leur propre vie. C’est ce doute, cette instabilité permanente, qui donne chair à la série. L’autre réussite tient dans la manière dont le collectif devient vital. Les Potages n’ont pas choisi d’être ensemble, mais leur lien devient une forme de survie parallèle. Ils ne se sauvent pas les uns les autres, ils se soutiennent assez pour ne pas sombrer seuls. Enfin, la place de la musique crée un espace de respiration. Les scènes de chant ne sont pas là pour attendrir, elles rappellent que le corps peut encore vibrer, que la voix peut encore sortir, même quand elle tremble.

 

Le rythme lent peut dérouter. La série ne cherche pas à maintenir une tension narrative permanente. Elle laisse s’installer les silences, répète certains états émotionnels, s’attarde sur des détails du quotidien qui paraissent insignifiants. Ce n’est pas un défaut, mais il faut accepter que l’histoire avance autrement que dans une logique dramatique classique. Autre élément : le casting composé d’acteurs bien connus peut créer une distance pour certains spectateurs. On sait qu’ils n’étaient pas au Bataclan. On n’oublie jamais totalement qu’il s’agit d’une fiction. Personnellement, cette distance ne m’a pas gêné, mais je comprends ceux pour qui elle rend l’identification plus difficile.

 

Il reste encore peu de fictions qui parlent de l’après-attentat sans y projeter un discours politique, sans chercher l’angle moral, sans reconstruire un récit héroïque. Des vivants prend le parti inverse : montrer l’ordinaire fissuré, la vie qui continue mais plus jamais de la même façon. Rien ne se referme, rien ne se résout totalement, mais quelque chose s’invente, malgré tout. La série touche à une question essentielle : comment vivre quand le monde a prouvé qu’il pouvait basculer en une seconde ? Elle ne répond pas, elle observe. Et c’est peut-être ça qui la rend aussi nécessaire : elle n'explique pas, elle écoute.

 

J’ai regardé Des vivants comme on lit un journal intime partagé à voix basse. Il y a des moments d’inconfort, des moments de respiration, des moments où tout se resserre et d’autres où la vie revient par surprise. Rien n’est simple, rien n’est spectaculaire, mais tout sonne vrai. C’est une série qui ne fait pas le deuil à notre place, mais qui rappelle qu’il existe une façon de tenir debout, même quand tout s’est effondré. Je ne dirais pas qu’elle « répare », mais elle permet de rester du côté de ceux qui ont continué à vivre. Et rien que pour ça, elle mérite d’être regardée.

 

Note : 7.5/10. En bref, Des vivants explore moins l’attentat du Bataclan que la vie cabossée qui lui succède, en suivant des survivants dont la reconstruction fragile, collective et imparfaite dessine un récit profondément humain, sans héroïsation ni pathos.

Diffusée sur France 2 à partir du lundi 3 novembre 2025, disponible sur france.tv

 

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