5 Novembre 2025
J’ai regardé Entrepreneurs sans trop savoir à quoi m’attendre. Le duo Pantomima Full, formé par Rober Bodegas et Alberto Casado, m’intriguait, mais la transition de leurs courts sketches à une série complète me laissait sceptique. Pourtant, dès les premiers épisodes, il est clair que cette saison 1 n’a pas pour ambition de divertir de manière classique. La série se place quelque part entre la satire et l’observation, et elle passe en revue les contradictions du monde des start-ups avec un regard qui n’épargne personne, ni les personnages, ni les spectateurs.
Gonzalo, fils d’un propriétaire de bar, échoue systématiquement dans ses entreprises nocturnes financées par son père. Acculé à une dernière chance avec un nouvel espace, il s’associe à un gourou autoproclamé pour ouvrir un espace de coworking, sous la supervision de sa sœur Julia.
La saison comporte dix épisodes d’une vingtaine de minutes chacun, un format qui favorise la légèreté tout en permettant de creuser certains aspects du quotidien entrepreneurial. L’histoire suit un groupe de jeunes gens persuadés de pouvoir transformer leurs idées en succès instantané. Pour cela, ils fréquentent le coworking « No Comfort Zone », un lieu imaginé comme un microcosme de la culture start-up : bureaux partagés, conférences improvisées, café à volonté et surtout, beaucoup d’ego. Gonzalo, incarné par Bodegas, est à la tête de ce lieu. Jacobo, joué par Casado, se pose en mentor auto-proclamé et influenceur du monde des affaires.
Tous deux incarnent des caricatures crédibles : Gonzalo oscille entre prétention et maladresse, Jacobo entre arrogance et charme irritant. Ce qui frappe immédiatement, c’est la manière dont la série déconstruit l’idée répandue selon laquelle quitter un emploi stable pour se lancer dans l’entrepreneuriat serait synonyme de liberté et de succès. Les personnages se battent pour faire survivre leurs projets, mais la réalité les rattrape vite. La série montre que, dans ce milieu, avoir un réseau solide peut compter plus que la qualité d’une idée. Entre les discussions sur les levées de fonds, les tutos motivants et les mini-défis quotidiens, la série dépeint un univers où le discours du « sois ton propre patron » devient presque une blague absurde.
L’humour de la série n’est jamais forcé. Il repose sur des dialogues ciselés, sur des situations où chacun se révèle, parfois malgré lui. Les conversations entre les personnages sont souvent le moteur des scènes, et c’est là que l’écriture de Pantomima Full fait mouche. Il ne s’agit pas d’un festival de gags visuels ou de cascades absurdes, mais de petites trahisons du quotidien entrepreneurial, de moments où les personnages montrent leur fragilité, leur ego ou leur naïveté. Ces instants créent une gêne drôle et reconnaissable pour quiconque a déjà approché le monde des start-ups ou des espaces de coworking. Le casting soutient parfaitement cette vision. Rober Bodegas parvient à rendre Gonzalo attachant malgré ses défauts évidents.
Il est patétique dans certaines situations, mais reste crédible. Casado, en Jacobo, incarne un charlatan savamment calculé : on le déteste et pourtant, on ne peut s’empêcher de sourire devant ses exagérations. Aura Garrido apporte un contrepoint intéressant avec Julia, une personnage lucide et désabusée qui observe le chaos ambiant avec une certaine distance. Sa présence permet au spectateur de respirer au milieu de l’agitation constante et d’avoir un point d’ancrage dans ce tourbillon de prétentions et de mini-crises existentielles. Les personnages secondaires, eux, sont plus inégaux. Certains apparaissent comme des clichés, qu’il s’agisse du jeune investisseur immature, de la youtubeuse en quête de visibilité ou de l’employé qui ne sait pas trop pourquoi il est là.
Cette faiblesse du casting secondaire se fait sentir surtout lorsqu’ils sont au centre de l’intrigue. Il manque parfois de la profondeur pour que toutes les interactions aient le même impact que celles avec Gonzalo, Jacobo ou Julia. Néanmoins, le rythme rapide des épisodes permet de passer outre et de rester accroché à la dynamique générale. L’esthétique de la série mérite une mention particulière. Le coworking est filmé avec une lumière naturelle, presque publicitaire, qui souligne le contraste entre l’apparente efficacité et le chaos réel. Les espaces sont utilisés de manière intelligente, renforçant l’impression d’un lieu vivant et crédible.
L’influence de la réalisation d’Álex de la Iglesia se ressent dans la mise en scène, notamment dans le soin apporté aux cadres et aux mouvements de caméra qui donnent vie à cet univers sans en faire trop. Le montage rapide maintient l’attention et permet aux dialogues et aux situations de respirer sans s’essouffler. En observant la saison dans son ensemble, il est clair que la série a choisi de privilégier l’authenticité au détriment de la perfection narrative. Il n’y a pas de gros retournements de situation, et certains épisodes se limitent à un enchaînement de petites scènes où les personnages interagissent, se disputent ou échouent.
Cette approche peut frustrer ceux qui cherchent une intrigue dense ou des révélations spectaculaires, mais elle correspond bien à l’idée de montrer la banalité et l’absurdité du quotidien entrepreneurial. L’aspect le plus intéressant pour moi reste la critique implicite de la culture du succès rapide. Les personnages passent plus de temps à se vendre qu’à créer réellement quelque chose de tangible. Les conférences motivantes, les slogans inspirants et les selfies dans le coworking deviennent des éléments comiques lorsqu’on les regarde de près. La série invite à réfléchir sur notre fascination collective pour l’image de réussite, et sur la manière dont le langage du business peut devenir un spectacle vide de sens.
Malgré quelques faiblesses, Entrepreneurs atteint ce que peu de séries comiques réussissent : elle fait rire tout en donnant matière à réflexion. Plusieurs passages m’ont surpris par leur justesse dans la description des comportements et des obsessions de cette génération qui cherche à se réinventer en permanence. Il y a un humour qui touche autant à l’absurde qu’au familier, où l’on se reconnaît sans toujours vouloir l’admettre. En regardant les dix épisodes, j’ai aussi noté que la série fonctionne bien par petites touches. Chaque épisode peut se regarder isolément, mais le fil rouge qui relie les personnages et leurs échecs accumulés donne une cohérence appréciable.
Les moments de faiblesse ou de maladresse des personnages principaux renforcent l’effet comique et humain. Il ne s’agit pas d’une satire outrancière, mais d’un portrait où l’exagération reste proche de la réalité. La saison montre enfin une évolution subtile de certains personnages, notamment Gonzalo, qui tente d’apprendre de ses erreurs tout en restant fidèle à son style maladroit. Jacobo, malgré ses excès, révèle occasionnellement une part de fragilité, ce qui évite de le réduire à un simple cliché de coach arrogant. Julia continue de servir de point d’équilibre, mais son rôle reste essentiel pour que le spectateur puisse observer les absurdités du coworking sans être complètement submergé.
En conclusion, cette première saison de Entrepreneurs n’est pas une révolution de la comédie télévisuelle. Elle n’a pas besoin de l’être. Ce qui importe, c’est sa capacité à observer et à faire ressentir le ridicule et la fragilité des personnages dans un environnement très contemporain. La série se tient, épisode après épisode, et montre que la comédie peut être un outil pour comprendre les travers d’un certain milieu professionnel. Les 25 minutes par épisode passent vite, et même si certaines situations se répètent, l’ensemble reste agréable et stimulant.
Pour moi, Entrepreneurs trouve sa place parmi les productions comiques espagnoles récentes qui osent traiter des sujets contemporains avec un ton humain et direct. Elle ne transforme pas le ridicule en grotesque, mais en fait un miroir dans lequel il est difficile de ne pas se reconnaître, au moins un peu. Si la série continue, il sera intéressant de voir comment elle enrichira ses personnages secondaires et si elle parviendra à approfondir encore davantage cette satire du monde des start-ups. Pour l’instant, cette saison 1 remplit sa mission : faire rire, faire réfléchir et montrer, sans fioritures, l’envers du décor entrepreneurial.
Note : 6.5/10. En bref, Entrepreneurs trouve sa place parmi les productions comiques espagnoles récentes qui osent traiter des sujets contemporains avec un ton humain et direct. Elle ne transforme pas le ridicule en grotesque, mais en fait un miroir dans lequel il est difficile de ne pas se reconnaître, au moins un peu.
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