31 Mars 2025
Barbès, Little Algérie // De Hassan Guerrar. Avec Sofiane Zermani, Khalil Gharbia et Khaled Benaissa.
Barbès, Little Algérie pose sa caméra dans l’un des quartiers les plus emblématiques de Paris, au carrefour de plusieurs cultures, entre traditions et modernité. Ce film d’Hassan Guerrar, coécrit avec Audrey Diwan, oscille entre chronique sociale et comédie douce-amère, tout en mettant en lumière les destins croisés d’une communauté en quête d’équilibre. À travers l’histoire de Malek, quadragénaire tiraillé entre son passé et son avenir, et de son neveu fraîchement débarqué d’Algérie, le film esquisse un portrait contrasté de Barbès.
Malek, la quarantaine, célibataire, vient d’emménager à Montmartre et accueille bientôt chez lui son neveu Ryiad fraîchement arrivé d’Algérie. Ensemble ils découvrent Barbès, le quartier de la communauté algérienne, très vivant, malgré la crise sanitaire en cours. Ses rencontres avec les figures locales vont permettre à Malek de retrouver une part de lui qu’il avait enfouie, de renouer avec ses origines et de commencer à faire le deuil de ses disparus.
Entre solidarité et tensions, entraide et débrouille, il capte avec justesse l’atmosphère unique de ce quartier où tout semble possible, pour le meilleur comme pour le pire. Dès les premières images, Barbès se dévoile dans toute sa complexité. Ce coin du nord de Paris, marqué par l’immigration et les mutations urbaines, devient un personnage à part entière. Dans les ruelles animées, les cafés bondés et les commerces de proximité, une vie intense se déploie, où chacun tente de se frayer un chemin entre espoir et désillusion. L’histoire suit Malek, un homme au charisme discret qui tente de retrouver un sens à son existence en s’installant dans ce quartier qu’il connaît sans vraiment y appartenir.
Son arrivée coïncide avec celle de Ryiad, son jeune neveu débarqué d’Algérie, dont les premiers pas dans cette ville inconnue ne tardent pas à attirer l’attention des mauvaises personnes. À travers leur relation, le film interroge les notions de transmission, d’identité et de survie dans un environnement où les opportunités et les dangers cohabitent en permanence. Le film joue sur plusieurs registres. D’un côté, il y a cette légèreté propre aux chroniques de quartier, où les dialogues fusent avec une gouaille typiquement parisienne, et où certaines situations frôlent le burlesque.
De l’autre, une tension sous-jacente s’installe progressivement, rappelant que derrière les éclats de rire se cachent souvent des blessures profondes. Malek, interprété par Sofiane Zermani, incarne cette dualité. Ancien baroudeur fatigué par la vie, il aspire à une forme de rédemption, mais se heurte à un quotidien où la violence et la débrouille sont parfois les seules réponses possibles. À ses côtés, un casting solide donne vie à cette galerie de personnages hauts en couleur. Eye Haïdara, Clotilde Courau et Adila Bendimerad apportent une énergie et une présence remarquables, chacune incarnant une facette de ce monde où les femmes, bien que souvent reléguées en arrière-plan, jouent un rôle crucial.
L’une des grandes forces du film réside dans sa capacité à montrer les contrastes qui façonnent ce microcosme. Barbès, c’est à la fois un refuge et un piège, un lieu de solidarité mais aussi de confrontations. Certains cherchent à s’intégrer, d’autres à préserver leurs racines, tandis que d’autres encore naviguent entre ces deux mondes sans vraiment savoir où se situer. Le personnage de Ryiad est central à cette réflexion. Tout juste arrivé, il découvre un environnement où les repères sont brouillés.
Loin de son pays natal, il doit apprendre à composer avec de nouvelles règles du jeu, entre tentations faciles et le regard bienveillant mais exigeant de son oncle. À travers cette dynamique intergénérationnelle, le film explore les tensions entre les aspirations des plus jeunes et l’expérience des plus âgés. Ce choc des perspectives donne lieu à des échanges parfois drôles, parfois poignants, mais toujours empreints d’une sincérité qui renforce l’attachement aux personnages. Hassan Guerrar adopte une approche proche du cinéma-vérité, avec une caméra souvent en mouvement qui capte l’énergie brute des lieux et des personnages.
Cette liberté dans la mise en scène confère au film une authenticité qui renforce son impact émotionnel. Les scènes de rue, en particulier, sont d’une grande justesse. Rien n’est figé, tout semble saisi sur le vif, comme si l’on plongeait dans le quotidien de Barbès sans filtre ni artifice. Cette immersion permet de ressentir pleinement la vie du quartier, avec ses éclats de voix, ses petites combines et ses moments de fraternité fugaces. La musique, discrète mais bien dosée, accompagne ce voyage avec une sensibilité qui souligne les émotions sans jamais les surligner.
Entre influences orientales et sonorités urbaines, elle contribue à ancrer le film dans cette réalité où les identités se croisent et se mélangent. Le casting joue un rôle clé dans la réussite de Barbès, Little Algérie. Sofiane Zermani, en tête d’affiche, impose une présence forte tout en conservant une certaine retenue. Son jeu tout en nuances permet de ressentir les dilemmes intérieurs de son personnage sans qu’il ait besoin d’en faire trop. Autour de lui, les rôles secondaires ne sont pas en reste. Khaled Benaïssa, par exemple, incarne un personnage débrouillard et rusé, rappelant les figures attachantes du cinéma italien des années 60.
Chaque personnage apporte une pierre à l’édifice, contribuant à donner du relief à cette mosaïque humaine. Si Barbès, Little Algérie séduit par son humour et sa chaleur humaine, il ne tombe jamais dans l’idéalisation. Le film montre aussi les failles de ce microcosme, les contradictions d’un lieu où l’entraide côtoie la loi du plus fort. Il y a dans cette œuvre une véritable réflexion sur ce que signifie appartenir à un endroit, sur la manière dont les identités évoluent en fonction du contexte. Le regard du réalisateur, bienveillant mais lucide, évite les clichés en mettant en lumière la complexité de cette réalité.
Certaines longueurs peuvent se faire sentir, et l’absence d’un véritable fil conducteur narratif peut déconcerter. Mais cette structure éclatée fait aussi partie du charme du film, qui fonctionne davantage comme une succession de tranches de vie que comme un récit traditionnel avec un début et une fin bien définis. Barbès, Little Algérie est un film qui, sous ses airs de chronique légère, aborde des thèmes profonds avec une justesse qui touche.
À travers des personnages sincères et une mise en scène immersive, il dresse le portrait d’un quartier en perpétuelle évolution, où chacun tente de trouver sa place entre espoirs et désillusions. Hassan Guerrar signe une œuvre humaine et sensible, qui capture l’essence d’un lieu emblématique et des vies qui l’animent. Entre rire et gravité, entre débrouille et solidarité, le film témoigne d’une réalité rarement mise en avant sur grand écran, offrant un regard authentique sur cette petite Algérie nichée au cœur de Paris.
Note : 7/10. En bref, un premier film réussi qui nous propose une immersion vibrante dans un quartier en mutation. C’est imparfait mais ça fonctionne.
Sorti le 16 octobre 2024 au cinéma - Disponible en VOD
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