13 Mars 2025
Presence // De Steven Soderbergh. Avec Lucy Liu, Chris Sullivan et Callina Liang.
Steven Soderbergh est un réalisateur qui aime surprendre, expérimenter et repousser les limites de la narration. Avec Presence, il propose une approche originale du film de fantômes en adoptant le point de vue d’une entité invisible, observant silencieusement une famille qui emménage dans une nouvelle maison. Ce choix immersif transforme l’expérience du spectateur, qui devient lui-même témoin silencieux de la vie et des tensions des habitants. Plutôt qu’un simple récit d’épouvante, Presence s’intéresse aux dynamiques familiales, aux non-dits et aux fissures qui fragilisent les relations.
Une famille emménage dans une nouvelle maison, où une mystérieuse présence hante les lieux.
Loin des clichés du genre, ce thriller psychologique explore la solitude, le deuil et l’incommunicabilité au sein d’un foyer qui, en apparence, semble ordinaire. Adopter la perspective d’un fantôme n’est pas une idée totalement inédite au cinéma, mais Presence l’exploite avec une approche radicale. Le spectateur est littéralement placé dans la peau de cette entité, piégée dans la maison, contrainte d’errer d’une pièce à l’autre. À travers ses yeux, on observe les nouveaux occupants, leurs habitudes, leurs doutes et leurs blessures invisibles. Ce point de vue crée une sensation d’omniscience, mais aussi d’impuissance.
L’entité voit tout, entend tout, mais ne peut interagir directement avec les vivants. Cette posture transforme le spectateur en voyeur involontaire, assistant à des instants de vie parfois banals, parfois chargés d’émotions contenues. Le choix de ce cadre narratif joue sur la frustration et l’empathie. La Presence n’est pas un esprit malveillant cherchant à hanter les lieux, mais une présence silencieuse qui observe sans pouvoir agir. Cette approche change radicalement la nature du film : au lieu d’un récit de terreur classique, il propose une réflexion sur la solitude et le désir d’être entendu.
L’histoire suit une famille qui emménage dans cette maison chargée d’une présence invisible. À première vue, elle semble correspondre à l’image classique du foyer américain : un couple, des enfants, une vie de banlieue rythmée par le quotidien. Mais au fil des scènes, la réalité s’effrite, révélant tensions, frustrations et secrets enfouis. Le père, incarné par Chris Sullivan, apparaît d’abord comme un homme stable et protecteur, mais son attitude laisse entrevoir une rigidité qui le coupe peu à peu de ses proches. La mère, jouée par Lucy Liu, oscille entre bienveillance et lassitude, tentant tant bien que mal de préserver l’équilibre familial.
Quant à l’adolescente, Chloé (Callina Liang), elle se détache progressivement de ce cadre, trouvant refuge dans sa chambre, là où la Presence semble le plus en phase avec elle. Cette relation implicite entre l’adolescente et l’esprit qui hante les lieux devient l’un des axes majeurs du film. La Presence ne cherche pas à effrayer Chloé, mais semble intriguée par elle, comme si elle percevait en elle un écho de sa propre solitude. Ce lien invisible donne au film une dimension plus intime et émotionnelle, loin des codes traditionnels du film d’horreur. Ce qui frappe dans Presence, c’est son refus d’emprunter les chemins classiques du film de hantise.
Soderbergh mise davantage sur l’atmosphère et la mise en scène que sur les effets de peur habituels. Il n’y a pas de jump scares appuyés, pas de manifestation spectrale grandiloquente. L’inquiétude naît plutôt de l’intrusion progressive de la Presence dans le quotidien de la famille, à travers des déplacements imperceptibles, des objets déplacés, des sons à peine audibles. Le travail sonore joue un rôle clé dans cette immersion. Des sifflements, des bourdonnements, des bruits étouffés donnent une texture sensorielle à cette présence fantomatique, sans jamais tomber dans l’excès.
L’ambiance sonore, couplée à une caméra flottante et fluide, renforce cette sensation d’être enfermé dans un espace familier devenu étrangement oppressant. Le véritable enjeu du film ne réside donc pas dans une terreur explicite, mais dans l’observation d’une famille qui se délite sous le regard d’un témoin invisible. Soderbergh met en avant une réalité contemporaine où l’érosion des liens familiaux est plus glaçante que n’importe quelle apparition surnaturelle. Le choix de la caméra subjective est l’un des aspects les plus marquants du film. Voir l’action à travers les yeux de la Presence modifie profondément la perception du spectateur.
Ce procédé instaure une proximité avec les personnages tout en maintenant une barrière invisible entre eux et l’entité qui les observe. Le déplacement de la Presence dans l’espace crée une dynamique particulière. Il n’y a pas de plans classiques, pas de coupes abruptes. Tout se déroule dans une continuité fluide, renforçant l’impression d’une errance spectrale. Cette approche donne au film un rythme particulier, parfois lent, presque contemplatif, mais toujours empreint d’une tension latente. La maison elle-même devient un personnage à part entière. Vide au début du film, elle se remplit peu à peu de meubles, d’objets, de vie… mais aussi de non-dits et de tensions.
Chaque pièce semble garder les traces invisibles de la Presence, rendant certains espaces plus lourds, plus chargés émotionnellement que d’autres. Un des moments les plus forts du film réside dans l’utilisation d’un placard comme refuge pour la Presence. Cet espace confiné devient un lieu d’observation privilégié, mais aussi un symbole du silence et de l’isolement, écho aux états d’âme de Chloé. Si Presence impressionne par son concept et sa mise en scène, son scénario laisse une impression plus mitigée. L’écriture de David Koepp, parfois trop appuyée, manque par moments de subtilité dans les dialogues et les dynamiques familiales.
Certains échanges paraissent trop écrits, trop explicatifs, là où la mise en scène se suffit souvent à elle-même pour transmettre l’essentiel. Les interactions entre les membres de la famille sont pourtant intéressantes, notamment la relation entre le père et la fille, qui apporte une touche d’émotion sincère. Mais certaines scènes paraissent moins inspirées, comme si le film oscillait entre un thriller domestique classique et une expérience cinématographique plus audacieuse. Malgré cela, Presence parvient à capter l’attention par sa singularité et son atmosphère pesante.
Même si son scénario n’est pas le plus marquant, il s’efface derrière la force de la mise en scène, qui donne au film toute sa valeur. Avec Presence, Steven Soderbergh ne cherche pas à effrayer à tout prix, mais à proposer une expérience sensorielle unique. En plaçant le spectateur dans le regard d’un fantôme silencieux, il l’invite à une observation froide et fascinante de l’intimité familiale. Ce parti pris peut séduire autant qu’il peut frustrer. Ceux qui attendent un film d’épouvante classique risquent d’être désorientés par son rythme lent et son absence de véritables moments de frayeur.
En revanche, ceux qui apprécient les films qui jouent avec la perception et qui explorent les relations humaines sous un angle original y trouveront un intérêt certain. Presence est une œuvre qui ne se livre pas immédiatement, qui prend son temps pour installer son ambiance et ses thématiques. Peut-être moins accessible que d’autres films du genre, il n’en reste pas moins une proposition intrigante, portée par un réalisateur qui continue, film après film, à repousser les limites du langage cinématographique.
Note : 6.5/10. En bref, une expérience cinématographique singulière qui colle parfaitement à ce que Steven Soderbergh aime faire : expérimenter.
Sorti le 5 février 2025 au cinéma
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