Critique Ciné : Animale (2024)

Critique Ciné : Animale (2024)

Animale // De Emma Benestan. Avec Oulaya Amamra, Damien Rebattel et Vivien Rodriguez.

 

La Camargue, ses taureaux, ses traditions viriles, ses paysages à couper le souffle. Dans Animale, ce décor unique devient le théâtre d’un récit centré sur Nejma, jeune femme en marge dans un monde dominé par les hommes. Elle est la seule femme de son clan, élevée parmi les éleveurs et les raseteurs, au cœur de la course camarguaise. Une figure solitaire et forte, plongée dans un univers où la masculinité règne, souvent sans partage. Le film débute avec cette tension palpable entre appartenance et exclusion, entre désir de reconnaissance et nécessité de s'imposer.

 

Nejma s’entraine dur pour réaliser son rêve et remporter la prochaine course camarguaise, un concours où l’on défie les taureaux dans l’arène. Mais alors que la saison bat son plein, des disparitions suspectes inquiètent les habitants. Très vite la rumeur se propage : une bête sauvage rôde…

 

Ce qui marque d’abord, c’est la puissance visuelle du film. La Camargue y est sublimée : ses ciels changeants, ses étendues sauvages, ses taureaux filmés avec une réelle fascination. On sent que la réalisatrice connaît son sujet. Le territoire devient un personnage à part entière, miroir des états d’âme de l’héroïne, témoin silencieux de ce qui se trame. La première partie du film pose solidement les bases. Nejma, incarnée par Oulaya Amamra, tente de trouver sa place dans un milieu où l’on ne fait pas beaucoup de place aux femmes. Sa présence parmi les gardians ne passe pas inaperçue. 

 

Le regard des autres est lourd, parfois hostile. La caméra capte ces tensions avec justesse, sans les surligner. C’est dans ces moments-là que Animale touche juste. Il y a quelque chose de vrai dans cette lutte quotidienne pour être vue, entendue, respectée. Oulaya Amamra donne à Nejma une intensité particulière. Elle sait être dure sans devenir froide, vulnérable sans fragilité excessive. Elle incarne un personnage qui tient debout, malgré les coups, malgré les silences pesants qui l’entourent. Elle reste le pilier du film, même lorsque le récit commence à s’égarer.

 

C’est précisément lorsque le film change de registre que le ton devient plus incertain. Après une soirée trop arrosée et des événements violents à peine esquissés, le récit bascule dans une zone hybride entre drame psychologique et fable fantastique. Le problème, ce n’est pas le choix du fantastique en soi, mais la manière dont il est amené. La transition semble abrupte, presque artificielle. Les éléments surnaturels apparaissent sans réel crescendo, comme s’ils tombaient d’un autre film. Il y a bien des tentatives de symbolisme – le corps de Nejma qui se transforme, les regards presque omniscients des taureaux, les lumières qui virent au mystique – mais cela reste flou. 

 

L’ambition est là, mais l’exécution manque de clarté. Le fantastique prend le pas sur l’émotion, sans pour autant offrir une structure assez solide pour porter l’ensemble. Depuis quelques années, le cinéma français s’ouvre de plus en plus au genre, et c’est une bonne chose. Mais Animale semble s’inscrire dans une mouvance déjà bien balisée : corps en mutation, vengeance féminine, paysages ruraux inquiétants... Des ingrédients qu'on a déjà vus, récemment, dans Titane ou Le Règne Animal. Ici, cette accumulation de codes donne parfois l’impression d’une recette déjà connue, comme si le film cherchait à cocher des cases plutôt qu’à inventer la sienne.

 

Certains moments laissent pourtant entrevoir ce que le film aurait pu être s’il avait davantage pris le temps d’explorer ses thématiques avec subtilité. Le regard sur la masculinité toxique, par exemple, est présent, mais souvent traité de façon frontale. L’enjeu écologique, lui, reste en toile de fond sans jamais vraiment s’affirmer. Quant à la représentation du corps féminin, elle oscille entre dénonciation et fétichisation, sans jamais trancher nettement. L’atmosphère du film reste l’un de ses points forts. La Camargue, filmée au fil des heures du jour et de la nuit, devient un territoire à la fois réel et mythique. 

 

Le travail sur les lumières, les textures, les sons – le pas des chevaux, les mugissements des taureaux, les cris étouffés – crée une ambiance presque hypnotique. C’est immersif, sensoriel. Mais au fil du récit, cette ambiance ne suffit plus à masquer les faiblesses narratives. Le scénario semble s’étirer, répétant certaines situations sans réelle évolution. Le twist final, censé donner une lecture nouvelle de ce qui précède, arrive un peu tard et avec une exécution qui laisse dubitatif. Il tente d’expliquer, mais finit surtout par rendre plus floue l’intention initiale du film.

 

Oulaya Amamra porte le film presque à elle seule. Son jeu habité donne au personnage de Nejma une réelle consistance. En revanche, le reste du casting est plus inégal. Certains rôles secondaires manquent de nuances, notamment les membres du groupe masculin, caricaturaux dans leur brutalité. Cela nuit à la crédibilité de certaines scènes, notamment dans la seconde moitié du film où les interactions deviennent plus tendues. La direction d’acteurs semble parfois relâchée, comme si l’urgence de filmer l’ambiance primait sur la précision des échanges. 

 

Cela contribue à cette impression que Animale est un film aux intentions claires mais à la réalisation hésitante. Au fond, le film porte un message clair : celui de la parole des femmes face à la domination masculine, du corps repris en main, de la révolte nécessaire. Mais ce message, pourtant fort, se dilue dans un récit trop chargé, où chaque idée semble courir après la suivante. À force de vouloir tout dire – féminisme, écologie, traditions, mythologie – le film perd parfois en lisibilité.

 

Le féminisme est là, évident, revendiqué, mais il aurait peut-être gagné en puissance s’il avait été moins démonstratif. La subtilité, dans ce genre de récit, peut parfois faire plus de bruit qu’une métaphore appuyée. Animale est un film ambitieux, porté par une actrice principale solide et un sens certain de l’image. La Camargue y est filmée comme rarement, avec soin et poésie. L’idée de traiter le féminisme à travers un prisme fantastique et animalier est séduisante. Mais le film finit par s’essouffler sous le poids de ses références et de son scénario mal équilibré.

 

C’est un premier pas intéressant dans l’univers du cinéma de genre au féminin, mais qui aurait mérité un traitement plus resserré et une direction plus affirmée. Il y a des fulgurances, des idées fortes, mais aussi une forme de confusion qui empêche Animale de pleinement convaincre. À découvrir malgré tout, ne serait-ce que pour sa proposition singulière et son décor habité.

 

Note : 6.5/10. En bref, si la fable féministe est intéressante et que les paysages de la Camargue sont magnifiques, les dérives fantastiques du film l’empêche de pleinement prendre son envol.  

Sorti le 27 novembre 2024 au cinéma

 

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