2 Avril 2025
Deux Soeurs // De Mike Leigh. Avec Marianne Jean-Baptiste, David Webber et Michele Austin.
Mike Leigh revient avec Deux Sœurs, un drame qui s'intéresse aux blessures invisibles, celles que l'on porte en soi et qui finissent par empoisonner nos relations. À travers le parcours de Pansy, une femme rongée par la colère et l'amertume, le film explore comment les non-dits, les rancœurs et la solitude intérieure peuvent briser une famille. Sans grands effets ni scènes chocs, il propose une plongée réaliste et sans concession dans la détresse d’une femme qui n’arrive plus à communiquer autrement que par l'agressivité.
Pansy est rongée par la douleur physique et mentale et son rapport au monde ne passe que la par colère et la confrontation. Son mari Curtley ne sait plus comment la gérer, tandis que son fils Moses vit dans son propre monde. Seule sa sœur, Chantal, la comprend et peut l’aider.
Dès les premières minutes, Deux Sœurs donne le ton : Pansy se réveille en sursaut, visiblement hantée par un cauchemar. Mais son mal-être ne s’arrête pas à ce moment nocturne ; il l’accompagne tout au long de la journée. Elle est en colère contre tout et tout le monde, réagissant avec une brutalité déconcertante aux situations les plus banales. Un simple échange avec un inconnu dans un parking devient une altercation tendue. Une visite chez le dentiste se transforme en confrontation, la patiente refusant d’être traitée avec condescendance.
Rien ne semble pouvoir apaiser cette femme constamment sur la défensive. Mais Deux Sœurs ne se contente pas de dresser le portrait d’une femme agressive. Mike Leigh montre également la souffrance qui se cache derrière ce comportement explosif. Pansy n’est pas simplement irritable ; elle est enfermée dans une détresse profonde. Son foyer est marqué par un silence pesant. Son mari et son fils vivent avec elle sans véritablement exister à ses côtés. Les regards fuyants, les discussions réduites à l'essentiel : cette maison n’a rien d’un refuge.
Il y règne une froideur oppressante, comme si toute forme de tendresse avait été évacuée depuis longtemps. À l’opposé de Pansy, sa sœur Chantelle mène une vie bien différente. Sa maison est lumineuse, vivante. Elle entretient une relation équilibrée avec ses enfants et semble bien plus en paix avec elle-même. Pourtant, ces deux femmes ont grandi ensemble. Comment expliquer un tel contraste ? Deux Sœurs ne cherche pas à apporter une réponse simple. Le film n’attribue pas l’amertume de Pansy à un traumatisme unique ni à une cause évidente.
Il suggère plutôt que certains accumulent le poids du passé jusqu’à l’étouffement, tandis que d’autres parviennent à avancer. Cette opposition entre les deux sœurs structure le film, offrant une mise en perspective de la douleur de Pansy. Chantelle ne joue pas seulement le rôle du contrepoint ; elle incarne aussi la frustration et l’impuissance de ceux qui tentent d’aider un proche enfermé dans son mal-être. Malgré sa bienveillance, elle ne parvient pas à atteindre sa sœur, qui repousse toute tentative de rapprochement.
Ce que Deux Sœurs montre avec beaucoup de finesse, c’est que la détresse psychologique ne se manifeste pas uniquement par la tristesse et le repli. Elle peut aussi prendre la forme d’une rage incontrôlable, d’une hypersensibilité aux moindres contrariétés. Le film illustre comment cette souffrance devient un cercle vicieux : plus Pansy s’enfonce dans son mal-être, plus elle repousse les autres, et plus elle se retrouve seule, prisonnière de ses propres émotions. Leigh adopte ici une approche minimaliste. Pas de grands discours explicatifs ni de flashbacks détaillant les origines du mal-être de Pansy.
Juste des fragments de conversations, des tensions familiales implicites, des silences lourds de sens. Cette narration en creux renforce le sentiment de réalisme et laisse au spectateur la liberté d’interpréter le passé de Pansy. Visuellement, Deux Sœurs s’inscrit dans la continuité du cinéma de Mike Leigh. La mise en scène est épurée, privilégiant des plans fixes et une photographie naturelle. Le travail sur la lumière contribue à différencier les univers des deux sœurs : la maison de Pansy est terne, presque étouffante, tandis que celle de Chantelle respire la chaleur et la vie.
Ces choix esthétiques, sans être appuyés, participent à la construction du malaise qui imprègne le film. Les performances des acteurs jouent également un rôle essentiel dans l’impact du film. Marianne Jean-Baptiste livre une interprétation magistrale de Pansy, oscillant entre éclats de colère et épuisement émotionnel. Son jeu subtil évite de faire de son personnage une simple caricature de la femme en colère. Elle parvient à insuffler à Pansy une humanité troublante, rendant son personnage à la fois fascinant et inconfortable à regarder.
Face à elle, Michele Austin incarne une Chantelle plus mesurée, mais tout aussi crédible. Leur dynamique complexe, faite d’amour et d’incompréhension, constitue le cœur du film. Deux Sœurs n’est pas un film conçu pour plaire au plus grand nombre. Il ne propose ni résolution cathartique ni message réconfortant. Il expose simplement une réalité douloureuse : certaines blessures restent ouvertes, certains conflits familiaux ne trouvent jamais d’issue. Ce réalisme brut peut rendre le visionnage éprouvant. On assiste, impuissant, à l’auto-sabotage de Pansy, à la souffrance de ses proches, sans qu’aucune solution ne se dessine.
Ceux qui recherchent un drame classique, avec une évolution claire des personnages et une morale nette, risquent d’être déroutés. Mais pour ceux qui apprécient les films qui explorent avec sincérité la complexité des relations humaines, Deux Sœurs offre une réflexion poignante sur la solitude, le ressentiment et l’incapacité à exprimer ses émotions autrement que par la confrontation. Avec Deux Sœurs, Mike Leigh signe un drame intime et sans concession sur les fractures invisibles qui minent les familles.
À travers un portrait nuancé de la détresse émotionnelle, le film montre comment la douleur non exprimée peut se transformer en violence, comment l’amour peut se heurter à des murs infranchissables. S’il est difficile à recommander à tout le monde en raison de sa dureté émotionnelle, Deux Sœurs reste une œuvre forte, portée par des performances impressionnantes et une mise en scène d’une justesse rare.
Note : 8/10. En bref, avec Deux Sœurs, Mike Leigh signe un drame intime et sans concession sur les fractures invisibles qui minent les familles. À travers un portrait nuancé de la détresse émotionnelle, le film montre comment la douleur non exprimée peut se transformer en violence, comment l’amour peut se heurter à des murs infranchissables.
Sorti le 2 avril 2025 au cinéma
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