14 Avril 2025
Kidnapping Inc. // De Bruno Mourral. Avec Jasmuel Andri, Rolaphton Mercure et Gessica Geneus.
Kidnapping Inc., réalisé par Bruno Mourral, n’est pas un film de plus sur un enlèvement. Il s’agit plutôt d’un récit profondément ancré dans un contexte social et politique tendu, livré sous une forme inattendue : celle d’une comédie noire. Derrière les rires, parfois nerveux, et les situations absurdes, se cache une critique percutante d’une société marquée par les contradictions, la débrouille, et une résilience presque désarmante. Le point de départ du film semble assez classique : un enlèvement qui tourne mal. Pourtant, très vite, les choses prennent un virage inattendu.
À Port-au-Prince, le fils d'un riche candidat à la présidence vient d'être enlevé. Les kidnappeurs exigent une forte rançon. Doc et Zoe sont deux gangsters amateurs mordus de foot qui doivent livrer le jeune homme à leur impitoyable patron. Impulsif, Zoe tue accidentellement le fils du candidat. Avec un tueur à gages à leur trousse, Doc et Zoe tombent par hasard sur Patrick et Laura, un jeune couple en route pour l'aéroport. Laura, enceinte de neuf mois, veut à tout prix accoucher d'un bébé américain. Malheureusement, Patrick ressemble comme deux gouttes d’eau au fils du sénateur. Doc et Zoe décident de kidnapper le couple et de remplacer le fils du candidat par son sosie Patrick. En plein milieu d’une élection présidentielle controversée et d’un complot politique, Doc et Zoe se lancent dans l’un des enlèvements les plus fous d’Haïti.
Le duo de ravisseurs, dont fait partie Doc, un personnage étonnamment attachant, ne suit pas les codes traditionnels du genre. Doc, malgré ses choix discutables, finit par susciter une forme d’empathie. Il incarne cette figure ambivalente, à mi-chemin entre le bourreau et la victime d’un système plus vaste, où chacun essaie tant bien que mal de s’en sortir. Face à lui, Laura, une femme déterminée, impose sa présence. Loin des archétypes habituels, elle incarne à la fois la force et la féminité, sans que l’un n’écrase l’autre. C’est d’ailleurs une des réussites du film : offrir des personnages nuancés, souvent ambigus, qui échappent à la caricature.
L’humour noir est omniprésent, parfois grinçant, mais jamais gratuit. Il sert de filtre pour aborder des sujets délicats : la corruption, les inégalités sociales, l’insécurité ou encore les séquelles toujours présentes du séisme. Le film ose parler de misogynie, de discrimination, de violence systémique, mais le fait à travers des situations décalées, presque absurdes, qui rappellent parfois le théâtre de l’absurde. Ce choix de ton permet de rendre ces thématiques plus accessibles, sans jamais les banaliser. Il s’en dégage une certaine vérité, celle d’un quotidien où l’humour devient une arme, un réflexe de survie.
Si le film se déroule à Port-au-Prince, il ne s’agit pas d’une carte postale idéalisée. Au contraire, Kidnapping Inc. prend soin de montrer différentes facettes de la capitale : ses rues animées, ses quartiers défavorisés, mais aussi les zones plus aisées. Il y a une forme d’authenticité dans ce choix de mise en scène. Le contraste entre les paysages côtiers et les réalités urbaines traduit bien la complexité de cette société, écartelée entre espoirs individuels et désillusion collective. Là encore, le film ne cherche pas à juger. Il observe.
Et dans ce regard, parfois ironique mais jamais condescendant, transparaît une volonté de raconter Haïti telle qu’elle est, dans toute sa diversité et ses contradictions. L’intrigue n’a rien de linéaire. Chaque scène semble ouvrir une nouvelle porte, chaque rebondissement redessine les contours du récit. Ce qui démarre comme une simple affaire de rançon se transforme peu à peu en course folle où les rôles s’inversent, les alliances se brouillent, et le spectateur se retrouve à naviguer entre comédie, thriller et drame social. Cette dynamique narrative évite la lassitude. On ne sait jamais vraiment à quoi s’attendre, et c’est précisément ce qui rend le film aussi captivant.
Il y a dans cette construction un vrai sens du rythme, même si certains passages auraient peut-être gagné à être légèrement resserrés. Sans jamais tomber dans le discours frontal, le film distille une critique sociale et politique efficace. À travers les dialogues, les lieux, les réactions des personnages, Kidnapping Inc. dévoile un système à bout de souffle, où les institutions semblent déconnectées de la réalité quotidienne. Le personnage de Laura, confrontée à l’inertie et à l’indifférence, illustre bien cette distance entre le peuple et ses dirigeants.
Le film ne cherche pas de responsables désignés, mais montre un engrenage où chacun tente de tirer son épingle du jeu, parfois au détriment des autres. Il y a là une forme de lucidité, qui ne cherche ni à accuser ni à excuser, mais simplement à exposer. Ce qui ressort avant tout de Kidnapping Inc., c’est son ancrage. Ce n’est pas un film hors-sol, ni une simple fiction plaquée sur un décor exotique. Il parle de maintenant, de ce que vivent beaucoup de gens, sans prétendre tout expliquer. Il montre une société marquée par l’instabilité, mais aussi par une étonnante vitalité. Les choix de réalisation traduisent cette énergie, cette urgence parfois, avec une caméra souvent en mouvement et des scènes où l’action et le verbe s’entrechoquent.
Kidnapping Inc. n’est pas un chef-d’œuvre au sens strict, mais c’est un film qui mérite d’être vu, justement parce qu’il ose sortir des sentiers battus. Il parvient à faire rire sans être léger, à émouvoir sans pathos, et à faire réfléchir sans donner de leçon. C’est rare. Il y a quelque chose de profondément humain dans cette histoire. Pas dans le sens idéaliste, mais dans sa façon d’explorer les failles, les paradoxes et les élans de ses personnages. C’est un cinéma vivant, brut, qui ne cherche pas à plaire à tout prix mais qui a clairement quelque chose à dire. Petit bonus pour la scène sur le bateau à la fin où l’on a un mec qui chie littéralement sur fond musical. Cette séquence symbolise parfaitement l’allure du film : un gros bordel.
Note : 7.5/10. En bref, pour qui cherche une œuvre singulière, à la croisée des genres, capable de mêler critique sociale, tension dramatique et humour corrosif, Kidnapping Inc. vaut le détour. Pas parfait, mais assurément marquant.
Sorti le 20 septembre 2024 au cinéma - Disponible en VOD
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