7 Avril 2025
Leurs enfants après eux // De Ludovic Boukherma et Zoran Boukherma. Avec Paul Kircher, Angelina Woreth et Syyid El Alami.
Certains films captent l’air du temps, d’autres vont chercher plus loin. Leurs enfants après eux fait partie de ceux qui sondent les silences, les regards, les non-dits d’une époque. Ce n’est pas simplement un drame social, ni seulement une histoire d’amour contrariée ou un récit d’adolescence. C’est un peu tout ça à la fois, sans chercher à tout dire, mais en le montrant avec justesse. Adapté du roman de Nicolas Mathieu, lauréat du Prix Goncourt en 2018, ce film réalisé par Ludovic et Zoran Boukherma raconte l’errance d’un jeune garçon sur plusieurs étés, dans une vallée de l’Est de la France.
Août 92. Une vallée perdue dans l’Est, des hauts fourneaux qui ne brûlent plus. Anthony, quatorze ans, s’ennuie ferme. Un après-midi de canicule au bord du lac, il rencontre Stéphanie. Le coup de foudre est tel que le soir même, il emprunte secrètement la moto de son père pour se rendre à une soirée où il espère la retrouver. Lorsque le lendemain matin, il s’aperçoit que la moto a disparu, sa vie bascule.
Le décor : des hauts fourneaux éteints, une région désindustrialisée, et une génération paumée qui tente de s’inventer un futur, à défaut d’en hériter un. Le film suit Anthony, de l’âge de 14 ans jusqu’à sa majorité, entre 1992 et 1998. On traverse avec lui les saisons de la jeunesse, ses emballements comme ses déceptions. Ce n’est pas un héros au sens traditionnel du terme. C’est un ado banal, ni meilleur ni pire que les autres, mais profondément humain. C’est dans cette normalité que le film trouve sa force. Il n’y a pas d’événement spectaculaire, mais des petits drames du quotidien qui, mis bout à bout, dessinent une fresque poignante.
La mise en scène choisit l’immersion. Pas de voix off pour guider, pas de discours appuyé. Le regard est brut, parfois contemplatif. Les choix de plans sont souvent fixes, laissant le temps à l’émotion de s’installer. Et lorsque la caméra bouge, c’est pour accompagner un geste, une course, une échappée. Cela crée une sorte de proximité silencieuse avec les personnages. Ce qui ressort, c’est ce mélange de dureté et de tendresse. Le film ne cherche jamais à magnifier cette époque, mais il ne l’enlaidit pas non plus. Il la montre telle qu’elle est perçue à travers les yeux d’un adolescent.
Il y a l’ennui, les frustrations, les premières fois, les erreurs, les silences pesants avec les parents, les amitiés fragiles, les amours maladroites. La relation entre Anthony et Stéphanie traverse tout le récit. Une rencontre d’été, des sentiments qui débordent, puis l’éloignement progressif. C’est raconté avec sobriété, sans exagération. Ce qui pourrait devenir un cliché adolescent est ici traité avec une certaine pudeur. Il y a aussi le personnage d’Hacine, que le film ne réduit pas à un antagoniste mais explore dans ses propres contradictions.
Leurs confrontations ne sont jamais gratuites : elles révèlent des failles, des blessures plus profondes. La musique occupe une place importante. Peut-être parfois un peu trop, mais elle participe à l’identité du film. Des titres marquants des années 90 ponctuent les scènes, de manière assez instinctive. Parfois rock, parfois variété, la sélection musicale colle aux émotions sans forcément chercher la cohérence stylistique. Ça fonctionne, parce que c’est fidèle à cette période où l’on écoutait autant Cabrel qu’Aerosmith, sans souci de genre. Paul Kircher, dans le rôle d’Anthony, livre une performance assez nuancée.
Son jeu, parfois un peu en retrait, donne malgré tout une vraie épaisseur à son personnage. Il incarne bien cette forme d’introversion adolescente, où tout se passe à l’intérieur. Il ne surjoue jamais, et c’est peut-être ce qui rend son personnage si crédible. Sayyid El Alami, en Hacine, impressionne par sa présence. Il apporte une intensité réelle à chaque apparition, sans forcer. Ses scènes face à Kircher sont parmi les plus marquantes du film. Angelina Woreth, qui incarne Stéphanie, apporte à son personnage une justesse touchante, sans tomber dans la caricature de la "fille inaccessible". Et puis, il y a Gilles Lellouche.
Sa performance mérite d’être soulignée. Dans un rôle plus grave qu’à l’accoutumée, il incarne un père fatigué, dépassé, un homme brisé sans l’avouer. Il évite tous les écueils du pathos, tout en réussissant à émouvoir profondément. Certaines scènes, notamment celles qui le montrent dans sa solitude, sont particulièrement fortes. Adapter un roman couronné du Goncourt n’est jamais évident. Le style littéraire de Nicolas Mathieu ne pouvait pas être retranscrit à l’identique, mais les réalisateurs trouvent une manière de lui rendre hommage autrement.
Par l’image, le rythme, les silences. Le film ne trahit pas l’esprit du livre. Il le transpose avec sa propre sensibilité. Les Boukherma prennent leur temps pour raconter cette histoire. Parfois peut-être un peu trop. Certaines scènes paraissent redondantes, certains moments s’étirent. Mais paradoxalement, cela participe aussi à cette sensation d’être immergé dans une époque, dans une routine pesante que les adolescents cherchent à fuir. La dernière partie du film prend une tournure plus sombre. Une sorte de basculement inévitable, où les erreurs du passé refont surface.
Il y a une tension qui monte doucement, jusqu’à un point de rupture. Ce n’est pas spectaculaire, mais c’est marquant. La fin, sans en dévoiler trop, offre une ouverture discrète. Un regard, un geste, une décision. Rien de théâtral, mais suffisamment fort pour laisser une trace. Il y a dans ce dernier acte une forme de lucidité. Pas d’optimisme naïf, mais une idée que les choses peuvent peut-être changer, à leur rythme. Leurs enfants après eux n’est pas un film qui cherche à en mettre plein la vue. Il préfère observer, accompagner, montrer sans commenter.
Il touche parce qu’il reste proche de ses personnages, parce qu’il parle de choses simples mais vraies : la difficulté de grandir, le poids du milieu social, la quête de sens dans un monde qui se transforme. Loin des effets faciles, les Boukherma signent une œuvre sensible, mélancolique et sincère. Une chronique d’une jeunesse en suspens, entre deux époques, entre deux choix. Et si le film n’est pas exempt de défauts – quelques longueurs, un rythme parfois hésitant – il réussit à capturer quelque chose de rare : la sensation de revivre ses propres étés perdus.
Note : 7/10. En bref, Leurs enfants après eux n’est pas un film qui cherche à en mettre plein la vue. Il préfère observer, accompagner, montrer sans commenter. Il touche parce qu’il reste proche de ses personnages, parce qu’il parle de choses simples mais vraies : la difficulté de grandir, le poids du milieu social, la quête de sens dans un monde qui se transforme.
Sorti le 4 décembre 2024 au cinéma - Disponible en VOD
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