4 Juillet 2025
L’Accident de Piano // De Quentin Dupieux. Avec Adèle Exarchopoulos, Jérôme Commandeur et Sandrine Kiberlain.
Avec L’Accident de Piano, Quentin Dupieux poursuit son exploration des recoins les plus sombres et absurdes de la psyché contemporaine, en prenant cette fois pour cible le monde de la célébrité, des réseaux sociaux, et la mise en spectacle de la souffrance. Plus narratif qu’à l’accoutumée, moins halluciné, ce nouveau long métrage semble jouer la carte d’un minimalisme inquiet, d’une noirceur assumée, presque froide. Le rire est là, certes, mais il grince, se fige, s’étrangle parfois. Et derrière la comédie noire, c’est un regard amer qui s’impose. Magalie (Adèle Exarchopoulos), influenceuse-star aux millions d’abonnés, vit dans une mise en scène permanente, transformant sa douleur physique en contenu viral.
Magalie est une star du web hors sol et sans morale qui gagne des fortunes en postant des contenus choc sur les réseaux. Après un accident grave survenu sur le tournage d'une de ses vidéos, Magalie s'isole à la montagne avec Patrick, son assistant personnel, pour faire un break. Une journaliste détenant une information sensible commence à lui faire du chantage… La vie de Magalie bascule.
Elle s’est brisé le bras dans un accident avec un… piano sensé l’écraser pour ses vidéos, un événement qui aurait pu n’être qu’un fait divers grotesque mais que Dupieux utilise comme point d’ancrage pour décortiquer un monde où l’image prévaut sur la réalité. Ce corps meurtri devient un business, un outil marketing, une machine à likes. La douleur n’est plus intime, elle est publique. Et dans ce renversement cruel, il y a quelque chose d’effrayant. Le film dresse autour d’elle une galerie de personnages secondaires que l’on devine plus spectateurs que protagonistes : un assistant (Jérôme Commandeur) passif-agressif, des fans interchangeables, des journalistes en quête de sensationnel. Tous orbitent autour de Magalie comme des satellites résignés à la subir.
Et c’est peut-être là l’un des aspects les plus réussis du film : cette ambiance claustrophobe dans laquelle personne ne semble vouloir (ou pouvoir) échapper à la spirale toxique qu’elle incarne. Le film frappe par son pessimisme. Aucun personnage n’est épargné, aucune lueur d’espoir ne vient vraiment contredire cette mécanique glacée. Même l’humour, pourtant signature du réalisateur, se fait plus rare, ou du moins plus corrosif. Il y a dans L’Accident de Piano un rejet affiché de l’idée même d’empathie. Magalie est odieuse, tyrannique, mais ce n’est jamais gratuit : elle est avant tout une victime d’un système qui l’a façonnée ainsi. En cela, le film tend vers quelque chose de tragique.
On est loin de la folie douce du Daim, ou des jeux de miroirs de Réalité. Ici, tout est plus lisible, plus cadré, presque sage. Le scénario suit une ligne claire, avec un début, un développement, et une conclusion, ce qui, dans le cinéma de Dupieux, peut surprendre. Mais cette rigueur formelle ne le rend pas plus accessible pour autant. Elle participe au contraire d’une forme de sécheresse. L’ironie mordante prend le pas sur la fantaisie. Il ne s’agit plus de perdre le spectateur dans un dédale d’absurde, mais de l’enfermer dans une logique implacable : celle d’un monde où la douleur ne vaut que si elle est monétisable. C’est autour d’elle que le film respire, tremble, vacille. Adèle Exarchopoulos offre ici une performance habitée, très loin de ses rôles habituels.
Elle incarne avec une précision troublante cette célébrité auto-centrée, hystérisée par les algorithmes, déconnectée de toute réalité humaine. Sa Magalie est à la fois détestable et pathétique. Elle suscite rarement la compassion, mais fascine dans sa dérive. À travers elle, Dupieux semble porter un regard lucide sur la déshumanisation par l’image. Face à elle, Sandrine Kiberlain incarne une journaliste culturelle cynique, presque fantomatique, qui ne semble exister que pour poser les questions les plus absurdes avec un détachement glacial. L’interaction entre ces deux personnages est peut-être l’un des meilleurs moments du film : deux formes de vide qui se répondent, se jaugent, se consument dans une joute sans chaleur.
L’une des thématiques centrales du film est la viralité. Comment une image de douleur peut générer du profit, comment une chute, une blessure, une humiliation deviennent des leviers pour « percer ». Sur ce point, L’Accident de Piano rejoint une tendance actuelle du cinéma français à interroger la célébrité numérique et ses dérives. Mais là où certains choisissent l’empathie ou la rédemption, Dupieux préfère la mise à distance. Il n’y a pas de salut dans ce monde-là, seulement une fuite en avant. Le film donne parfois le sentiment de ne pas aller au bout de ses idées. La critique est claire, le ton est affirmé, mais l’ensemble manque de cette imprévisibilité qui faisait la force de ses œuvres les plus marquantes.
Le récit avance sans surprises majeures, les dialogues – bien que savoureux – ne parviennent pas toujours à masquer une certaine platitude narrative. Ce n’est pas un film vide, mais il laisse sur sa faim. Ce qui distingue L’Accident de Piano du reste de la filmographie de Quentin Dupieux, c’est sa frontalité. Là où ses précédents films jouaient du flou, de l’ellipse, de l’absurde pour tordre le réel, celui-ci choisit une approche plus directe. Cela peut désarçonner. Mais cette volonté de dire plutôt que de suggérer, de dénoncer plutôt que de questionner, donne au film une tonalité plus sombre, plus démonstrative. Certains y verront une maturité nouvelle, d’autres un affaiblissement du style.
Le film n’est pas sans qualités. L’image est soignée, la mise en scène efficace dans sa sobriété, les acteurs impeccables. Mais il lui manque un souffle, un vertige. Ce sentiment que tout peut basculer à chaque instant, qui faisait le charme déconcertant de ses meilleurs longs-métrages. Il y a ici un regard, mais moins de cinéma. L’Accident de Piano de Quentin Dupieux propose une satire grinçante du monde des influenceurs, portée par une Adèle Exarchopoulos saisissante dans le rôle d’une célébrité brisée qui transforme sa douleur en contenu. Plus linéaire que ses films précédents, ce long-métrage questionne la viralité, la mise en scène de soi et l’obsession contemporaine pour la visibilité.
Dans une ambiance pesante, presque clinique, Dupieux dresse un portrait pessimiste d’une société où l’image prévaut sur l’émotion. S’il manque parfois de folie et d’inattendu, le film marque néanmoins une étape importante dans la filmographie du réalisateur, qui troque l’absurde contre une noirceur plus frontale. Une œuvre imparfaite, mais pertinente, qui invite à réfléchir sur les dérives de la célébrité 2.0.
Note : 6.5/10. En bref, L’Accident de Piano de Quentin Dupieux propose une satire grinçante du monde des influenceurs, portée par une Adèle Exarchopoulos saisissante dans le rôle d’une célébrité brisée qui transforme sa douleur en contenu.
Sorti le 2 juillet 2025 au cinéma
Retrouvez sur mon blog des critiques de cinéma et de séries télé du monde entier tous les jours
Voir le profil de delromainzika sur le portail Overblog