15 Octobre 2025
A Big Bold Beautiful Journey // De Kogonada. Avec Margot Robbie, Colin Farrell et Kevin Kline.
A Big Bold Beautiful Journey avait tout pour me séduire. Entre la présence de Colin Farrell et Margot Robbie, le retour derrière la caméra de Kogonada après After Yang (que j’avais adoré), et une promesse de fable romantique traversant les dimensions du temps et de la mémoire, tout laissait penser qu’on tenait là un petit bijou. Sauf qu’en pratique, le voyage s’avère plus contemplatif que bouleversant, et derrière ses belles intentions, le film finit par tourner un peu à vide. L’idée de départ est brillante : un homme, David (Colin Farrell), se rend à un mariage grâce à une agence de location de voitures un peu étrange.
Imaginez pouvoir ouvrir une porte et la franchir pour revivre un moment décisif de votre passé. Sarah et David, deux inconnus célibataires, se rencontrent lors du mariage d'un ami commun et, par un incroyable coup du sort, se lancent ensemble dans une aventure grandiose - drôle, fantastique et pleine d'émotions - où ils revivent des instants marquants de leurs vies respectives. Ces souvenirs retracent leurs parcours et pourraient bien leur offrir une chance de transformer leur avenir.
Son GPS l’oblige à reprendre contact avec Sarah (Margot Robbie), une femme qui a compté dans sa vie. Très vite, ce trajet banal se transforme en aventure introspective : chaque porte franchie devient un passage dans le passé, un souvenir à revisiter pour affronter les blessures du présent. C’est une idée de cinéma à la fois poétique et ludique, rappelant des films comme Eternal Sunshine of the Spotless Mind ou Lost in Translation. Un road movie intérieur où l’amour, la mémoire et le hasard se confondent. Sur le papier, c’est beau. Et parfois, à l’écran, ça l’est aussi. Kogonada sait composer des plans élégants, épurés, baignés de lumière diffuse. Il joue avec les reflets, les cadres, les silences.
On retrouve la patte contemplative d’After Yang, cette manière de filmer les émotions comme des fragments suspendus dans le temps. Mais ce qui fonctionnait à merveille dans un récit minimaliste de science-fiction peine ici à trouver le même souffle dans une romance fantastique. Visuellement, A Big Bold Beautiful Journey est soigné, parfois superbe. Kogonada continue d’explorer sa fascination pour les espaces géométriques, les transitions douces et les couleurs pastels. Chaque “porte” traversée par les personnages ouvre un nouvel univers visuel : une scène de théâtre, un salon d’enfance, une rue de pluie. Mais cette beauté finit par se refermer sur elle-même. Tout est trop maîtrisé, trop poli.
Le film semble hésiter entre la poésie et le concept. On regarde de jolies images défiler, sans toujours ressentir l’élan ou la nécessité émotionnelle derrière elles. Même la bande-son, signée Joe Hisaishi (le compositeur mythique des films de Miyazaki), n’arrive pas à insuffler la chaleur qu’on espérait. Ses notes planent, délicates, mais elles accompagnent un récit qui stagne. On aimerait que la musique fasse décoller les émotions ; elle se contente d’en souligner les contours. Le duo Colin Farrell / Margot Robbie avait de quoi intriguer. Lui, discret et mélancolique, elle, solaire et nerveuse. Ensemble, ils incarnent deux âmes cabossées, perdues dans leurs souvenirs.
Leur premier échange a quelque chose de charmant, presque magique. Mais à mesure que le film avance, cette alchimie s’essouffle. Farrell garde sa retenue, Robbie mise sur la spontanéité, mais leurs émotions ne se rencontrent jamais vraiment. Leurs dialogues sonnent souvent un peu creux, comme s’ils lisaient à voix haute les pages d’un carnet de développement personnel. Là où le film aurait pu nous emporter dans une spirale de sentiments contradictoires, il se contente de juxtaposer des moments doux-amers sans vraie progression. Chaque “porte” est censée révéler une blessure, une part d’eux-mêmes, mais ces blessures restent floues. On devine la douleur, on ne la ressent pas.
Le vrai problème du film réside dans son écriture. A Big Bold Beautiful Journey veut parler de la reconstruction, du pardon, du temps qui passe. De beaux thèmes, universels. Mais le scénario peine à leur donner chair. Les dialogues tournent souvent autour de phrases toutes faites, vaguement métaphysiques, qui sonnent plus comme des citations Pinterest que comme des confidences humaines. Les séquences d’introspection se succèdent, sans qu’un véritable enjeu dramatique ne se construise. Le rythme devient monotone, presque somnolent. La poésie du début finit par se diluer dans une abstraction qui frôle parfois le clip publicitaire.
Le concept des “portes” est une belle métaphore, mais son utilisation devient répétitive. Chaque passage ouvre une nouvelle scène du passé, mais sans montée en intensité ni réelle surprise. On finit par attendre la porte suivante plus par curiosité esthétique que par intérêt émotionnel. Kogonada reste un cinéaste à part. Sa sensibilité, son regard sur le temps et la mémoire, son goût pour la lenteur et la beauté formelle : tout cela est intact ici. Il signe une œuvre cohérente avec ses précédents films, notamment Columbus et After Yang. Mais dans A Big Bold Beautiful Journey, cette cohérence tourne à la redite. Le film donne parfois l’impression que le réalisateur se protège derrière son esthétique, au lieu de s’y confronter.
Là où After Yang touchait par sa pudeur, celui-ci frustre par sa distance. On sent le désir sincère de livrer un conte moderne sur la réparation émotionnelle, mais ce désir se heurte à une mise en scène trop cérébrale pour être pleinement émouvante. Il serait injuste de dire que A Big Bold Beautiful Journey est un échec. Il y a de la beauté, des idées, des éclats de sincérité. Certains moments touchent vraiment, comme une scène nocturne où David se retrouve face à son double adolescent, ou une discussion muette entre Sarah et sa mère. Mais l’ensemble reste trop inégal pour convaincre. Le film donne l’impression de regarder un rêve dont on admire la forme sans jamais pouvoir y entrer.
Il y a des films qui nous accompagnent longtemps après la projection. Celui-ci s’efface doucement, comme une image qui se dissout à mesure qu’on tente de la retenir. A Big Bold Beautiful Journey est un film attachant par son ambition et sa douceur, mais limité par sa structure et son écriture. Kogonada tente un pari audacieux : raconter l’amour à travers un voyage métaphorique dans le passé. Il échoue à en faire une expérience bouleversante, mais réussit malgré tout à livrer un objet de cinéma singulier, sincère, parfois désarmant par sa fragilité. C’est un film imparfait, lent, parfois frustrant — mais pas dénué de charme.
Un “grand voyage” un peu trop sage, qui laisse derrière lui plus de traces visuelles qu’émotionnelles.
Note : 5/10. En bref, A Big Bold Beautiful Journey est un film attachant par son ambition et sa douceur, mais limité par sa structure et son écriture.
Sorti le 1er octobre 2025 au cinéma
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