28 Octobre 2025
A House of Dynamite // De Kathryn Bigelow. Avec Rebecca Ferguson, Idris Elba et Greta Lee.
Dix ans après Detroit, Kathryn Bigelow revient derrière la caméra avec A House of Dynamite, un thriller géopolitique sur fond de menace nucléaire. Un pitch prometteur, une cinéaste experte en tension, et un casting de haut niveau mené par Idris Elba et Rebecca Ferguson : sur le papier, tout est là pour signer le grand retour de la réalisatrice. Sauf que le film, coincé entre expérimentation narrative et frilosité hollywoodienne, finit par ressembler à une bombe à retardement… qui n’explose jamais. Le film démarre sur une image choc : un missile nucléaire file droit vers les États-Unis. Pas un prologue, pas un rêve, mais le cœur du récit.
Lorsqu'un missile de provenance inconnue est lancé sur les États-Unis, une course s'engage pour déterminer qui est responsable et comment réagir.
Dès les premières minutes, la tension s’installe. Les écrans s’allument, les alarmes retentissent, les visages se figent. Bigelow filme le chaos avec la précision d’une chirurgienne. C’est sec, nerveux, angoissant. Le spectateur sent immédiatement que le danger n’est pas seulement dans le ciel, mais dans les bureaux, les protocoles, les chaînes de commandement qui s’emmêlent. L’histoire se déroule à travers plusieurs points de vue : celui d’Olivia Walker (Rebecca Ferguson), analyste en renseignement ; celui du secrétaire à la Défense Reid Baker (Jared Harris) ; celui de Cathy Rogers (Moses Ingram), employée de la FEMA ; et enfin celui du conseiller à la sécurité nationale Jake Baerington (Gabriel Basso).
Chacun, à sa manière, tente d’agir dans un système en surchauffe. Puis, au bout de quarante minutes, A House of Dynamite redémarre. Même décor, mêmes dialogues, autre perspective. Et c’est là que les choses se compliquent. Bigelow choisit une narration en trois segments parallèles, chacun racontant les mêmes vingt minutes de crise selon un angle différent : politique, militaire et civil. Sur le papier, c’est brillant. En pratique, beaucoup moins. La première partie fonctionne très bien — la tension est palpable, le rythme maîtrisé, Rebecca Ferguson impose son regard d’analyste lucide au milieu de la panique.
Mais à la deuxième boucle, le film commence à tourner à vide. Les scènes se répètent avec quelques détails en plus, sans réel enjeu nouveau. Le troisième segment, censé apporter la synthèse ou la révélation, finit par étouffer ce qu’il restait de tension. Le principe du multi-point de vue n’est pas un problème en soi — Angles d’attaque a prouvé qu’il pouvait être passionnant. Mais ici, chaque perspective dit la même chose, avec les mêmes dialogues et les mêmes silences. Le suspense, au lieu de monter, s’érode à mesure que l’on comprend que tout cela n’aura pas d’autre finalité que d’observer l’échec collectif. Résultat : une expérience frustrante, presque mécanique.
Kathryn Bigelow reste une immense technicienne. Sa manière de filmer la tension institutionnelle, héritée de Zero Dark Thirty, garde une efficacité impressionnante. La caméra tremble légèrement, respire avec les acteurs, s’attarde sur un geste, une hésitation, un souffle. Le montage, très sec, crée une sensation d’urgence constante. Pourtant, derrière cette virtuosité formelle, quelque chose sonne creux. Tout est trop propre, trop contrôlé. L’émotion, elle, ne trouve jamais sa place. A House of Dynamite ressemble à une simulation de crise, parfaitement exécutée mais dépourvue d’âme. Bigelow filme la peur comme un exercice de style, pas comme une expérience humaine.
Les bureaux étouffants, les visages fermés, les débats sans fin sur Zoom donnent plus l’impression d’assister à une conférence de presse qu’à une tragédie mondiale. Même le symbole central – la “maison de dynamite” qui menace d’exploser à tout instant – reste théorique. La tension est là, mais elle n’explose jamais. On attend la secousse, le moment où tout bascule. Il ne vient pas. Et quand le générique arrive, le film laisse une impression de demi-mesure, comme une alarme qui s’éteint d’elle-même sans explication. Le casting est irréprochable. Idris Elba, dans le rôle du président américain, apporte une autorité calme et un mélange de force et de vulnérabilité assez rare dans ce type de rôle.
Mais son arrivée tardive dans le film – après plus d’une heure d’attente – casse la dynamique. Le spectateur découvre un chef d’État humain, hésitant, mais déjà enfermé dans une fiction trop policée. Rebecca Ferguson tient le film à bout de nerfs. Son jeu minimaliste, précis, donne un peu de chair à ce monde de protocoles et d’écrans. Jared Harris, toujours impeccable, incarne à merveille la fatigue d’un pouvoir conscient de sa propre impuissance. Et pourtant, tous ces talents finissent par se neutraliser. À force de retenue, le film s’anesthésie. Bigelow voulait sans doute livrer un miroir des fragilités du monde contemporain.
Montrer comment la plus grande puissance militaire du monde pourrait s’effondrer sous le poids de ses propres procédures. Sur le papier, c’est passionnant. Mais à l’écran, le film s’enferme dans sa démonstration. Le spectateur n’a jamais vraiment accès à l’émotion, ni au chaos. Tout est filtré par des dialogues technocratiques et une mise en scène qui préfère la précision à la chair. Le problème, c’est que A House of Dynamite arrive en 2025, dans un monde saturé d’informations et de crises réelles. Ce que Bigelow filme comme une fiction catastrophiste ressemble parfois à un vieux fantasme politique, presque daté.
La présidence d’Idris Elba, pleine de sang-froid et de dignité, paraît aujourd’hui plus utopique que le missile lui-même. La dernière partie, censée rassembler toutes les pièces du puzzle, se résume à une série de plans indifférents. Bigelow conclut sans éclat, comme si elle craignait de trancher. L’écran devient blanc, les visages s’effacent, et le spectateur reste suspendu. Pas de résolution, pas d’explosion. Une fin ouverte, oui, mais surtout une fin molle, qui laisse un goût d’inachevé. Ce n’est pas un mauvais film. C’est un film qui retient tout, jusqu’à l’émotion. Trop maîtrisé pour être viscéral, trop intellectuel pour être émouvant. L’idée était belle : raconter la panique avant l’impact, observer comment la peur se propage dans les couloirs du pouvoir.
Mais la peur, ici, reste contenue dans les écrans. A House of Dynamite ressemble à une expérience cinématographique ambitieuse mais stérile. Kathryn Bigelow y déploie tout son savoir-faire, mais oublie le souffle qui faisait vibrer Démineurs ou Zero Dark Thirty. Le film brille par son casting, par sa mise en scène rigoureuse, mais échoue à provoquer autre chose qu’une admiration distante. La tension y est parfaite, le suspense calculé, mais l’émotion absente. C’est un thriller d’anticipation sans
Note : 4/10. En bref, A House of Dynamite ne fait pas exploser le cinéma, il le stérilise. Une mèche allumée dans une pièce vide. Et quand tout s’éteint, il ne reste que le silence – celui d’un film qui promettait la déflagration, mais n’a livré qu’un écho.
Sorti le 24 octobre 2025 directement sur Netflix
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