31 Octobre 2025
Ce que cette nature te dit // De Hong Sang-Soo. Avec Seong-guk Ha, Yoon So-yi et Hae-hyo Kwon.
Hong Sang-soo fait partie de ces cinéastes qui ne se reposent jamais. Chaque année ou presque, il livre un nouveau film, toujours tourné avec peu de moyens, beaucoup de spontanéité et un goût certain pour l’auto-dérision. Ce que cette nature te dit ne déroge pas à cette règle. Tourné avec sa petite équipe habituelle et son acteur fétiche Hae-hyo Kwon, ce nouveau chapitre de sa filmographie s’inscrit dans la continuité de son œuvre : minimaliste, bavarde, drôle par touches, et pourtant profondément mélancolique. J’avoue, Hong Sang-soo m’avait un peu perdu avec La Voyageuse et son duo improbable avec Isabelle Huppert.
Donghwa, un jeune poète de Séoul, conduit sa petite amie Junhee chez ses parents, aux alentours d’Icheon. Émerveillé par la beauté de leur maison nichée dans un jardin vallonné, il y rencontre son père qui l’invite à rester. Au cours d’une journée et d’une nuit, il fait la connaissance de toute la famille et la nature de chacun se révèle.
Le charme discret de ses premiers films semblait dilué dans une sorte d’expérimentation un peu froide. Cette fois, j’ai retrouvé ce qui me plaît tant chez lui : une simplicité désarmante, une manière de filmer les rapports humains avec une justesse rare, et un humour toujours prêt à surgir là où on ne l’attend pas. Le point de départ est d’une banalité presque provocante : une jeune femme décide enfin de présenter son petit ami à ses parents. Trois ans qu’ils sont ensemble, et ce repas à la campagne, près de Séoul, devient le cadre d’une rencontre pleine de maladresses et de sous-entendus. Le père, interprété par Hae-hyo Kwon, observe le prétendant avec un mélange de curiosité et de méfiance.
L’homme est poli, un peu lunaire, et surtout, il se dit poète — un mot qui suffit à semer le trouble. Vivre de poésie, c’est déjà un luxe ; le revendiquer face à des parents attachés à la réussite sociale, c’est presque une provocation. Hong Sang-soo, fidèle à lui-même, filme tout cela sans emphase. Il laisse le temps à ses personnages de s’installer, de boire un verre, de se contredire. Les dialogues semblent anodins, parfois même ridicules, mais ils disent toujours plus qu’ils ne laissent paraître. Une remarque sur la pluie, un regard échangé autour d’un plat de poisson grillé, une hésitation sur le mot juste… et voilà que tout un rapport de force se dessine.
Ce que raconte Ce que cette nature te dit, ce n’est pas seulement la rencontre d’un jeune poète et de ses beaux-parents. C’est aussi la confrontation entre deux mondes : celui de l’art et celui de la respectabilité. Le père, ancien homme de théâtre, a connu ses propres désillusions. Il regarde ce garçon avec une curiosité teintée de jalousie. Peut-être se revoit-il, autrefois, à la place de ce jeune homme idéaliste et malhabile. La mère, plus discrète, observe, médie, et semble comprendre avant tout le monde que cette visite ne se passera pas comme prévu. Il y a chez Hong Sang-soo une manière très douce de parler de la gêne, du non-dit, de l’incompréhension entre les générations. Les personnages ne s’affrontent jamais vraiment. Ils se contournent, s’épuisent dans de petits malentendus.
Le malaise devient alors une sorte de musique de fond, presque familière. Et comme toujours chez le cinéaste, l’alcool finit par délier les langues. Les verres de soju s’enchaînent, les visages se détendent, la conversation déraille doucement. Derrière la banalité des gestes, une vérité affleure : celle d’un monde où chacun cherche sa place sans trop savoir comment la mériter. Visuellement, le film reste fidèle au style “bricolé” de Hong Sang-soo. L’image n’a rien de spectaculaire : elle vacille, parfois un peu floue, toujours à hauteur d’homme. Ce minimalisme technique peut désarçonner, mais il fait partie intégrante de son cinéma. Le cinéaste filme comme il respire, avec des plans fixes, de légers zooms, et surtout un sens aigu du rythme.
Chaque plan semble écouter les personnages autant qu’il les montre. Je ne dirais pas que l’image est belle — elle est sincère. Cette sincérité, justement, rend le film vivant. Elle nous invite à regarder au-delà du cadre, à prêter attention à ce que la nature “dit”, comme l’annonce le titre. Le bruissement des feuilles, la pluie qui tombe sur la véranda, les silences gênés entre deux phrases : tout participe à cette atmosphère contemplative où le temps s’étire sans peser. Sous ses airs tranquilles, Ce que cette nature te dit cache un regard acéré sur la société coréenne. Les rapports de classe, la réussite, le mérite, l’art, la transmission… Hong Sang-soo aborde tout cela avec une ironie tendre.
Il ne juge pas ses personnages, il les observe se débattre dans leurs contradictions. Le jeune poète se dit libre, mais dépend financièrement de sa famille. Le père se veut ouvert, mais son besoin de reconnaissance trahit une certaine amertume. Chacun cherche à sauver la face, à justifier sa place dans un monde où la valeur se mesure souvent au statut plutôt qu’à la sincérité. Le film parle aussi du vieillissement, du doute, de cette peur sourde de ne plus être à la hauteur de ses rêves. Le père, ancien artiste, incarne ce vertige. À travers lui, Hong Sang-soo semble interroger sa propre position de cinéaste vieillissant, toujours en quête de sens dans un milieu qui valorise la nouveauté plus que la constance.
Ce qui m’a surpris dans ce film, c’est la montée progressive d’une forme de colère. Le jeune poète, d’abord effacé, finit par se révolter face à l’hypocrisie polie de ses hôtes. Son explosion, aussi maladroite que sincère, rompt le calme apparent du récit. Hong Sang-soo capte ce moment sans musique, sans effet, juste avec la force du réel. C’est à la fois gênant et libérateur. Cette scène résume parfaitement l’art du cinéaste : faire surgir l’émotion là où tout semblait figé. Certains diront que Ce que cette nature te dit ne renouvelle pas le cinéma de Hong Sang-soo. C’est vrai qu’il reste dans sa zone de confort : mêmes acteurs, mêmes décors, mêmes repas arrosés.
Pourtant, c’est précisément ce qui fait la beauté du film. Il avance à petits pas, mais il avance. Il creuse toujours un peu plus loin cette question essentielle : que reste-t-il à dire quand tout a déjà été dit ? J’ai quitté la salle avec un sentiment doux-amer. Pas bouleversé, mais touché. Pas surpris, mais reconnaissant. Ce film m’a rappelé pourquoi j’aime le cinéma de Hong Sang-soo : parce qu’il parle de la vie telle qu’elle est, sans effets, sans drame inutile. Parce qu’il sait écouter les silences, et qu’il nous apprend à en faire autant.
Note : 6/10. En bref, Ce que cette nature te dit est un film modeste, drôle par instants, lucide toujours. Hong Sang-soo y signe une chronique familiale pleine de finesse, où chaque geste, chaque verre partagé devient un fragment de vérité. Une œuvre discrète, contemplative, mais bien plus riche qu’elle n’en a l’air.
Sorti le 29 octobre 2025 au cinéma
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